Chapitre 42 - Révélations et explosions

Mes pensées déraillent, répétant en boucle la dernière phrase de Romain alors que celui-ci se laisse glisser, le dos contre la rambarde.

― C'est... C'est impossible, balbutié-je pour moi-même.

― Et pourtant si, crache-t-il amèrement. L'un de mes ancêtres était un elfe de pure souche.

Des milliers de questions se bousculent dans ma tête, toutes paraissant à la fois trop superficielles et trop importantes pour être énoncée à haute voix.

― Tu peux partir maintenant, je me doute que tu ne veux pas d'un hybride pour petit-ami. Pour ami tout court d'ailleurs.

Sa voix se brise sur ses derniers mots, me ramenant à la réalité.

― Ne sois pas ridicule Romain, argué-je en m'asseyant à ses côtés pour lui prendre la main. Tu es le même qu'avant d'apprendre cette information.

― Ce n'est pas mon impression.

Je soupire, un moyen dérisoire de gagner du temps pour mieux choisir mes mots. La musique et les rires du bal parviennent jusqu'à nous dans un arrière plan sonore encore plus désespérant.

― Romain je... je crois que je n'arrive pas encore à réaliser, mais... ce ne sont pas aux autres à te dicter ce que tu dois être. Hier, tu pensais être un homme, aujourd'hui on t'apprend que tu as des gènes d'elfe. Peut-être. Et alors ? Alors tu vas t'empêcher de vivre comme tu l'as toujours fait simplement parce que tu n'es pas ce que tu pensais être ?

― Je... non, mais...

― Écoute-moi s'il te plaît, supplié-je. Je sais bien que tout ce qu'il nous arrive est complètement fou – et j'ai toujours l'intime conviction que ce n'est qu'un rêve particulièrement réaliste – mais ça ne change pas qui nous sommes. Je t'aime pour ton cœur Romain, pas pour ta génétique, d'accord ?

Le garçon serre ma main dans la sienne, et m'adresse un regard miroitant de larmes. Je lui rends son pâle sourire, promesse que nous sommes tous deux dans ce bourbier et qu'on n'en sortira ensemble ou qu'on périra tous les deux.

― Ce n'est pas tout, ajoute-t-il après s'être raclé la gorge. Je suis de la famille royale.

― Parce qu'en plus tu es un cousin éloigné de Thalion ? Me troublé-je, l'idée me paraissant particulièrement étrange.

Il confirme d'un signe de tête. Des dizaines de points d'interrogation brouillent mon esprit, mais une autre question se faufile jusqu'à mes lèvres.

― Tu lui as dit ?

― Il le sait déjà, éructe Romain, le regard soudain dur.

De colère, il frappe la pierre avant de retenir un juron et de frotter ses doigts endoloris.

― Il était au courant, depuis le début, enchaîne-t-il douloureusement.

― Comment ça ?

― Il savait Laurie, il savait tout. Et la reine aussi.

Le garçon se prend la tête dans les mains, en proie à une détresse qu'il tente de contrôler. Paniquée par son état, je saisis ses poignets pour le forcer à me regarder avant qu'il ne se fasse du mal.

― Romain, explique-moi ! Qu'est-ce qu'il savait ?

― Pour la lettre, pour mon père, pour... pour tous ces mensonges !

Hors de lui, il se met finalement à crier, sa voix résonnant à la surface fixe du lac en de nombreux échos étouffés, comme autant d'émotions qu'il ose enfin extérioriser.

Alors qu'il fait les cents pas autour de moi, intenable, je tente d'assimiler les impensables vérités qui se déchaînent sur moi. Je n'arrive pas à croire qu'ils nous aient menti...

― Pourquoi ? Demandé-je d'une voix faible, dénuée de toutes les émotions qui me traversent pourtant telle une pluie de flèches.

― Mon père avait honte, explique-t-il rageusement. Honte de nous avoir mis en danger, honte de nous avoir menti, honte d'avoir disparu il y a des années, de nous avoir abandonnés, ma sœur et moi. Enfin, c'est ce qu'il m'a dit.

Un éclair de lucidité me frappe lors de sa dernière phrase.

― « Il t'a dit » ? Tu l'as vu ? Tu sais qui c'est ? Bombardé-je.

Nous échangeons un long regard grave, avant que le garçon ne confirme d'un signe de tête. Il prend une respiration tremblante, prêt à me révéler l'identité de celui que nous recherchons depuis notre arrivée ici, quand une explosion retenti à l'intérieur du château, suivie de grondements sourds, puis du silence seulement troublé par le festif brouhaha provenant du bal. Ils n'ont sans doute rien entendu.

― Qu'est-ce que c'était ?! M'écrié-je, horrifiée.

― Aucune idée.

Romain franchi la porte-fenêtre de la terrasse pour se précipiter vers l'origine du bruit, moi sur les talons. Nos souliers d'elfes retentissent le long des couloirs, alors que nous montons d'un étage sans trop savoir où nous allons.

Nous stoppons notre course lors d'une intersection pour tendre l'oreille. Le temps semble se suspendre, perdu entre les lointains rires de nos amis et notre respiration saccadée.

Un craquement se fait entendre juste au-dessus de nos têtes, et nous repartons à toute allure à la recherche d'un escalier. Cul-de-sac. Romain jure contre ce foutu labyrinthe qu'est le château de Chrysocolia et je me retiens d'en faire de même. Nous finissons par trouver une volée de marche dans un corridor toujours aussi sombre et baigné d'une lueur bleue-verte.

Je suis Romain de près, consciente sans en connaître la raison du danger qui nous guette quelque part. Impossible, je me fais des idées : qui viendrait saccager le palais des elfes ? Ça n'a aucun sens, et il faudrait déjà pouvoir y rentrer ! Nous devons en avoir le cœur net.

Alors que nous ralentissons, à bout de souffle, sûrement perdus et que je m'apprête à demander s'il ne vaut mieux pas tout simplement prévenir les autres, des silhouettes sombres se dessinent au bout du couloir, accompagnées d'un chahut sans nom.

― Par ici, me souffle Romain en m'entraînant dans un embranchement encore plus obscur.

Nous nous plaquons dans le renforcement d'une porte inconnue, par instinct. Parmi des cliquettements désagréables s'apparentant à des bouts de métal entrechoqués et le claquement de dizaines de semelles sur la pierre, dénote le bourdonnement de mots échangés à voix basses.

Mes yeux s'agrandissent de terreur alors que je distingue, entre le mur de la bifurcation et l'angle de l'alcôve de la porte, des formes sombres et mouvantes parcourir le couloir. Les êtres qui se suivent en une file indienne désordonnée sont au moins aussi grands que des elfes – si ce n'est plus – et bien trois fois plus baraqués. Une armure de métal luisant les recouvre, garnie de piques en de nombreux endroits. Un choc métallique plus sonore que les autres attire mon attention sur une gigantesque hache ensanglantée que je n'envisage même pas de soulever.

Mes jambes vacillent légèrement alors que je prie pour qu'aucun d'eux n'entende le martellement de nos cœurs et ne tourne la tête vers nous.

Qu'est-ce que c'est que ces monstres ? Comment sont-ils arrivés jusqu'ici ?

Des tas d'hypothèses et de souvenirs brumeux se bousculent dans mes pensées, que j'essaye désespérément de canaliser. Et soudain, tout s'emboîte.

Les armées ogres ne cessent de lancer des offensives contre le bastion sud, et les forces Chrysocoliennes s'amenuisent rapidement, vaincues par la force haineuse de leurs adversaires. Or, chaque poste de surveillance elfe est muni d'un ancien portail magique permettant la fuite vers le palais en cas de repli d'urgence. On espérait que les ogres ne sachent plus l'activer... Mais visiblement, ils ont conservé la notice.

Romain – qui ne peut pas voir les ogres passer de là où il se trouve – me lance un coup d'œil anxieux et interrogateur. Je lui fais signe d'attendre que les intrus soient passés.

Par chance, aucun d'eux n'a l'idée de regarder en arrière, et la petite troupe continue son chemin sans se rendre compte de notre présence.

― Les ogres, soufflé-je le plus bas possible, ils ont ouvert le portail.

Le garçon fronce les sourcils un instant, avant comprendre mes allusions et de les lever d'un air affolé. Avisant le possible retour des créatures, il me saisit par le poignet pour m'entraîner dans la direction opposée.

― Qu'est-ce qu'on fait ? Me presse-t-il en avançant d'un pas rapide, mais le plus silencieux possible.

― Il est encore temps de prévenir les autres, affirmé-je. Ils ne savent pas se rendre dans le grand hall, mais nous oui.

Romain hoche la tête pour approuver mon plan, et nous accélérons le pas. Gauche, droite, puis encore à gauche et deux fois à droite... Le système de couloir elfique à l'avantage de nous tenir loin d'eux jusqu'à arriver à destination.

Nous débouchons en sueur en haut du grand escalier, surplombant la foule des convives qui dansent toujours sans se douter de rien.

― LES OGRES SONT LA ! Hurlé-je, mes mains en porte voix pour couvrir la musique.

L'intégralité de l'assemblée pivote vers moi dans un sursaut collectif pour me dévisager sans comprendre. Les musiciens s'arrêtent en émettant d'étrange grincements pour se tourner eux aussi vers nous. Un silence pesant semble s'éterniser alors que tous digèrent mes paroles, mais très vite, des murmures inquiets s'élèvent et certains sortent immédiatement un couteau dissimulé dans les plis de leur tenue. Flippant d'aller à un bal avec une arme blanche.

― Que dis-tu ?! Me crie Mathilda en s'avançant en bas des escaliers.

― Les ogres on réussit à ouvrir le portail, expliqué-je, Romain confirmant à mes côtés. Ils vont arriver d'une minute à l'autre !

La panique gagne une bonne fois pour toutes les invités, qui commencent à s'éparpiller de manière désordonnée. Je reconnais Lyam qui, poignard en main, tente de calmer les mouvements de la foule, mais aussi Snoderim et Astal un peu plus loin, qui essayent de rassurer un groupe d'elfes. Suivant Romain, je dévale les marches pour rejoindre la reine Mathilda.

Celle-ci s'égosille, cherchant désespérément à capter l'attention générale pour organiser la fuite des convives.

― Combien sont-ils ? Nous accoste-t-elle dès que nous arrivons à sa hauteur.

― Une vingtaine je dirais, mais c'est difficile à dire.

Elle hoche vivement le menton avant de gravir quelques marches pour surplomber l'assemblée. Là, elle porte ses doigts à sa bouche et émet le sifflement le plus aigu que je n'ai jamais entendu, ramenant immédiatement le calme dans la pièce.

― Tous les invités sont priés de suivre calmement ma fille Astal en lieux sûrs, scande la reine pour être comprise de tous. Que les guerriers me suivent !

Deux mouvements contraires se forment suite au discours de Mathilda, certains suivant la voix cristalline de la princesse, d'autre emboîtant le pas de leur souveraine pour gravir l'immense escalier et partir à la recherche des ogres. Les elfes, décidés à protéger leur royaume, leur famille, coûte que coûte, déchirent leurs manches et leurs traînes encombrantes en lançant des cris de guerre.

― Qu'est-ce qu'on fait ? Demandé-je à Romain, tiraillée entre le besoin d'aider et la conviction que nous ne ferons qu'aggraver les choses par notre simple présence.

― On y va, me convainc le garçon en partant d'emblée à la suite des combattants.

Nous n'avons fait que quelques pas que Thalion nous interpelle.

― C'est hors de question !

Nous nous retournons d'un bloc pour l'apercevoir, lui et Elrinna, courir vers nous, épée et arc au clair.

― Je ne compte pas rester les bras croisés ! Proteste Romain avec véhémence.

― Tu n'es pas de taille ! Contre le prince en arrivant à notre hauteur.

― Pour une fois il a raison, approuve la guérisseuse. Partez avec Astal tous les deux, ne restaient pas là !

Romain semble sur le point de répliquer, mais je le saisis par le bras, le contraignant à me suivre vers la sortie qu'ont pris les invités tandis que nos deux amis gravissent les marches de malachite sans se retourner.

Il s'arrête à mis-parcours, refusant d'aller se cacher quand d'autres risquent leur vie.

― Romain, c'est stupide ! Argué-je.

― Mais c'est mon peuple ! Crie-t-il, au bord de la crise de nerf.

Je prends une grande respiration, détaillant rapidement son air perdu.

― Tu n'es pas armé Romain, et quand bien même, tu ne sais pas te battre. La seule façon de les aider, c'est de se mettre à l'abri.

Nous échangeons un long regard, histoire de voir qui cédera le premier, avant que le garçon ne capitule et ne me suive en direction de la porte de sortie empruntée par la foule des invités.

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Et coucouuuuu

Un PETIT peu d'action niark niark niark

Enfin, j'espère qu'on a pas perdu Nuits dès le début du chapitre... quoique

C'était bien décrit ? j'ai eu l'impression de me répéter des fois...

Pour le chapitre 43, je pensais utiliser le pdv de Thalion ou d'Elerinna, vous en pensez quoi ?

Allez à plus !

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