Chapitre 4 - C'est pas trop tôt!
― Laurie ! Réveille-toi !
Je suis bousculée en tout sens, sans pouvoir différencier le haut du bas. Tout est noir. Je me souviens subitement que je dors – révélation très étrange – et ouvre les yeux.
Romain, traumatisé, me secoue comme un sac de patates dans l'espoir que je sorte du sommeil.
― Que... Quoi ? Je marmonne.
Pour toute réponse, il tourne son regard apeuré vers notre feu de camp et je l'imite. Des loups. Toute une meute. Des loups, ou du moins, un truc qui y ressemble. Ils nous encerclent, faisant barrière de leurs corps. Nous sommes pris au piège, le dos contre le mur de pierre.
Ils sont au moins une demi-douzaine, tapis dans l'ombre de la fin de la nuit, visibles seulement par leurs deux yeux jaunes. Flippant.
Je réfléchis à toute vitesse. Dans tous les films que j'ai vus, les héros effraient les animaux sauvages avec du feu. Ça me paraît plutôt logique. Je jette un coup d'œil au nôtre. Les braises restantes se consument doucement.
La peur au ventre, je m'approche timidement du brasier, provoquant des grognements féroces supplémentaires. Je me penche le plus calmement possible pour ramasser une branche. Surtout, pas de mouvement brusque. Pitié, qu'il n'y en ai pas un qui en profite pour me sauter dessus. Quand je me relève, je ressens la présence de Romain à côté de moi. Il récupère lui aussi une arme et nous observons le comportement de nos agresseurs. Espérons qu'ils aient vraiment peur du feu.
La tension est à son comble quand l'un d'eux s'approche lentement, nous permettant de voir son vrai visage, si on peut dire ça comme ça. Il ressemble bien à un loup au pelage noir comme la nuit, si on lui ajoute une grande crinière plus sombre encore et des dents dégoulinantes de bave presque aussi longues que celles d'un tigre à dent de sabre. Ses pâtes avant se terminent par des serres crochues aux reflets jaunes. Mais le plus effrayant reste son regard, affichant clairement qu'il nous considère comme son casse-croûte.
Ce n'est décidément pas un loup mais bien une créature originaire de ce monde magique, qui m'observe, la faim au ventre. Je recule en titubant à la vue de l'animal qui, sentant ma peur, prend appuis sur ses pâtes arrières avant de bondir en avant, au-dessus du feu censé l'effrayer. Alors que je vois ses crocs se rapprocher dangereusement de ma tête, je tombe en arrière, lâchant ma torche inutile.
― Nooooooooooooooon !
Qui a hurlé ? Je n'en ai pas la moindre idée. Le temps est ralenti, presque suspendu, tout comme mon prédateur au-dessus des flammes. J'ai le temps de détailler parfaitement la scène ; Romain pétrifié de peur à mes côtés et une masse gigantesque qui va bientôt s'abattre sur moi. Adieu maman, adieu papa...
Et soudain, tout s'enchaîne en un éclair.
Quelque chose frappe la bête, dévie sa trajectoire et l'éjecte à plusieurs mètres de là, où elle s'effondre sans vie. Sa meute hurle son désespoir et sa rage mais un cri, plus bestial encore retentit pour leur faire face. Je regarde dans la direction du son mais malgré la lueur de l'aube, je ne parviens pas à distinguer le nouvel arrivant. Soudain apeurée, la horde régresse, oreilles plaquées. Émettant quelques derniers grognements furieux avant de disparaître dans les profondeurs de la forêt, là où j'espère ne plus jamais les revoir.
Une fois le danger écarté, je me tourne vers notre sauveur, espérant qu'il ne s'agisse pas d'un danger encore plus grand. Je fixe la silhouette élancée qui s'avance pendant que Romain a la bonne idée d'étouffer avec son pied le début de feu provoqué par ma torche.
― Ne craignez rien, je suis un ami.
Je plisse les yeux. L'aube nous permet enfin de discerner une forme humaine se tenant coite devant nous.
― C'était vous le cris ? Demanda Romain pas très rassuré.
― Oui. C'est le seul moyen d'effrayer des Alphyns. Ils ne devraient pas revenir de si tôt !
― Et bien... Merci à vous en tout cas, vous êtes arrivé juste à temps.
― On peut se tutoyer s'il te plaît ? Je dois avoir à peu près votre âge.
― Heu... d'accord, répond mon ami.
Pendant qu'ils tapent la causette, je me sens de plus en plus mal. Le stress fait surface en moi et j'attrape le poignet de Romain pour m'y cramponner. C'est toujours comme ça ; je prends sur moi et encaisse les coups le temps qu'il faut, avant que ma boule de nerfs n'explose et me fasse craquer.
― Ça va ? Me murmure Romain.
― C'est rien, c'est les nerfs, dis-je pour voir disparaître la lueur d'inquiétude qui anime son beau regard bleu.
Pourtant, je tremble et des larmes menacent de quitter mes yeux. Après avoir hésité un instant, Romain passe un bras protecteur autour de mes épaules pour réchauffer mon corps glacé.
― Qui es-tu ? Je questionne l'inconnu pour briser le silence.
― Je suis Thalion, fils de feu Atanatar le Sage et héritier de la couronne du Royaume de Chrysocolia. Je suis celui qui doit vous ramener au château... « par la force si nécessaire » dit-il en dessinant des crochets des deux côtés de sa tête en en esquissant un sourire amusé. Mais j'ai eu du mal à vous retrouver.
― Par la force... ronchonne Romain.
― Tu es un elfe ? Je m'étonne tout à coup en lui coupant la parole.
― Tu n'avais pas remarqué ? Ironisa mon interlocuteur en souriant.
Ma question est en effet très bête ; Thalion est habillé d'une courte tunique verte brodée d'or et d'un pantalon large assorti. Dans son dos pends un carquois en bois d'if gravé d'or lui aussi, rempli de longues flèches torsadées. Il tient un arc assorti dans sa main gauche et ses longs cheveux blond platine pendent en cascade sur ses épaules. Si j'avais dû imaginer un Elfe, ça aurait été son portrait craché.
En tout cas c'est pas trop tôt ! On a failli l'attendre...
― Pourquoi as-tu eu du mal à nous retrouver ? On ne s'est pas caché non plus, intervient Romain pour me sortir de l'embarras.
― Quand vous êtes arrivés à la falaise, vous avez continué. Or moi, je vous y ai attendu car c'était le point de rendez-vous.
― Ah bon ? Je m'étonne. Personne ne nous a parlé de lieu de rendez-vous.
― Tout ce qu'on nous a dis, c'est de marcher vers le Soleil levant, continue Romain. Arrivés au bord du gouffre, on a décidé de suivre le sentier.
Thalion hoche la tête d'un air compréhensif.
― C'est un peu le désordre en ce moment, avec les tentatives d'invasions Ogres et le peuple qui panique...
J'échange un regard entendu avec Romain.
― Au fait... nous avons quelques questions, commence mon ami, presque avec malice.
― J'imagine, pouffe Thalion. Mais je ne suis pas très bien placé pour vous répondre... et on pourrait même me tirer les oreilles si je le faisais. Il vaut mieux que vous attendiez d'être au château.
― Mmm... marmonne Romain. S'il le faut vraiment...
― Pour le moment, je vous propose de vous reposer encore un peu, une longue chevauchée nous attend, poursuit l'Elfe en se prenant pour un guide touristique. Je dois encore préparer nos montures pour le voyage.
Une chevauchée ? des montures ? Enfin, ce n'est pas très important.
― Je peux aider ? demande Romain, soudain très enthousiaste.
― Bien sûr !
Et les deux nouveaux amis s'éloignent par un sentier presque invisible après s'être assurés que je ne tenais pas à les suivre.
Je soupire avant de récupérer la couverture de survie et mon précieux sac à dos puis de me diriger vers un promontoire de pierre, face au magnifique lever de Soleil. C'est la première fois que j'en vois un, en principe je dors et je ne suis pas du genre à me lever à 5 h du matin pour ça. Mais au vu de la beauté du moment, je ne serais pas surprise de changer mes habitudes.
L'astre stellaire a déjà pointé le bout de ses rayons au-dessus des montagnes enneigées, prêt, une fois de plus, à réchauffer ce monde qui est le sien. Sa douce lumière se reflète sur les quelques nuages épars créant un contraste fascinant d'orange et de bleu.
C'est en regardant cette immensité que je me sens toute petite, minuscule, insignifiante à côté de cet astre indispensable à la vie. Je m'assieds et remonte les jambes contre ma poitrine avant de poser mon menton sur mes genoux.
Qu'attend-on de nous ? Qu'on sauve le monde ? Comment en serions-nous capables alors même que nous avons survécu de justesse à une meute d'animaux sauvages ? Mes larmes, qui s'étaient enfin taries, dévalent de nouveau mes joues tout juste sèches.
Je n'ai presque rien ressenti pendant l'attaque des Alphyns, comme si mon cerveau retenait des informations pour que je ne panique pas, mais maintenant, toutes ces émotions me reviennent tel une tempête incontrôlable. Ce n'est pas la première fois que ça m'arrive ; après un gros stress dû à un examen, des moqueries ou simplement une fatigue extrême. J'espère cependant m'améliorer en self contrôle parce que ce ne sera sûrement pas la dernière fois que nous aurons affaire à la mort.
La mort...
Et dire que j'aurai pu la trouver quelques minutes plus tôt. Cette idée en elle-même me paraît trop lointaine pour être réelle. Je n'ai jamais connu la perte d'un être cher et, peut-être pour me rassurer, la mienne ou celle de Romain me paraît tout bonnement impossible.
Intellectuellement, je sais bien que ce n'est pas le cas. La mort peut nous rattraper n'importe quand, et ça n'arrive pas qu'aux autres. Et dans ce cas, je ne rentrerais jamais chez moi.
Mon cœur se serre un peu plus à cette pensée. Ma famille me manque, mes amis me manquent, mon chien me manque, ma maison me manque et même le lycée me manque !
Je repousse toute pensées qui les concernent, c'est mon seul moyen de ne pas craquer. C'est ce que j'ai fait toute la journée d'hier d'ailleurs : ne pas y penser, observer le paysage et faire de l'humour pour amoindrir ma peine.
Souvent je me dis que le rire efface les douleurs, mais je crois en réalité qu'il ne fait que les repousser, les combattre du mieux qu'il le peut pour nous permettre un répit avant d'affronter la situation en face.
Je ris amèrement de ma propre situation. Il y a 24 h à peine, je me levais sans savoir dans quel pétrin j'allais me retrouver. Je ne croyais pas aux Elfes. Ni à un monde parallèle. Et encore moins aux Alphyns ! D'ailleurs, dès que j'aurais retrouvé la civilisation et une connexion Wi-Fi, je me renseignerai à leur sujet. Les Hommes ont bien domestiqué les loups, on ne sait jamais... Non en fait, ils ont l'air un peu, beaucoup trop sauvages et carnassiers.
Un peu plus joyeuse après ma tentative d'humour, je récupère mon carnet d'écriture et déverse ma douleur sur le papier, transformant mon malheur en poésie, insignifiante dans la douce fraîcheur du matin.
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« Le doux chant de cet oiseau extraordinaire reflétait autant d'émotions qu'il peut y en avoir dans le cœur d'un Homme, exposant avec une justesse infinie la complexité des sentiments. Celui anéantit par le chagrin se laissait bercer par une symphonie prometteuse de joies quand celui ravagé par la colère y décelait une ritournelle apaisante et celui rejeté par ses frères croyait entendre la mélodie d'un amour porteur d'espoir.
Ses harmonies étaient si pures qu'elles pouvaient changer pour le bien le cœur le plus meurtri du monde et y effacer toutes traces de peine, de colère, de rage ou de haine.
Détenant dès lors le pouvoir de soigner le cœur des gens, Dieu décida de le doter du pouvoir de guérison physique – par des larmes d'amour uniquement – don subtil mais néanmoins nécessaire dans le monde des Hommes. »
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Je ne sais pas si vous connaissez l'Alphyn; c'est une créature issue de la mythologie germanique. Ce sont souvent des loups avec une queue et une crinière de lion, des pattes de griffon (donc des serres), une langue de serpent, des nœuds celtiques dans sa queue (oui c'est bizarre, mais j'y suis pour rien) et "des touffes de poils partout". (Merci Wikipédia)
Bon moi je l'ai imaginé un peu plus simple mais je le modifierait peut-être.
Voilà une image (empruntée à Internet) pour vous donner un idée:
C'est pas exactement la version des Germains de l'Antiquité mais je la trouvait plutôt jolie
Sinon, je publie tous les mardis à 9h30 (je programme hein, je suis pas un calendrier sur pattes (oui oui Nuits-Blanches je sais que tu m'imagines très bien comme ça)) mais j'ai pris cet horaire un peu au pif et dites moi si ça vous arrange que je change. 😁
A la semaine prochaine! (normalement)
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