Chapitre 38 - Entre deux mondes
― Pensez-vous que j'ai eu tort de lui mentir ?
― C'était la meilleure solution, elle n'aurait jamais accepté aussi vite si on lui avait tout dit.
Des sons étranges m'effleurent sans me percuter et je n'en saisis pas le sens, bien trop vague et distant : je suis immergée dans ma conscience, loin, bien loin de tout ça.
― Et puis, j'espère que le produit marchera, je ne l'ai jamais testé sur des humains et j'ai peur qu'il soit trop puissant pour son système immunitaire.
― Quels sont les risques ?
― J'en doute, mais... cela pourrait affecter ses constantes vitales, sur le long terme.
Je ne ressens plus rien si ce n'est l'opacité du néant. Je plane dans un ciel dépourvu d'étoiles, ou de tout autre chose, être ou émotion. Rien ne vient briser cette monotonie, à la fois effrayante et rassurante, pendant ce qu'il me semble des jours, voire des siècles entiers et identiques. Le temps est inexistant dans cette dimension monotone.
― Vous l'avez droguée ?! Vous n'aviez pas le droit !
Mais ce n'est pas désagréable, un peu comme le cocon d'une chenille, sa chrysalide. Une phase, une étape pour devenir nouvelle, évoluer. Une métamorphose de mon âme, un changement profond.
― Laurie... Laurie, je suis désolé, j'aurais dû être là... On va trouver une solution je te le promets.
Je ne suis qu'une pensée qui ère dans un monde vide et chaleureux, sans but et sans obstacles, simplement la sérénité de ne rien ressentir. Tous les tracas de ma vie se sont estompés dans cette noirceur rassurante, emportant avec eux les bons côtés de ma vie d'avant telle les bribes d'un rêve qui me coulent entre les doigts.
Je tente de me remémorer mon nom, mais j'en suis incapable, je ne sais plus qui je suis. Je suis, tout simplement.
Parfois le néant est si épais que je me sens presque étouffée, parfois il s'éclaircit et je cherche curieusement l'étoile qui m'éclaire, sans jamais la trouver. Mais je sais qu'elle veille sur moi, quelque part, loin et proche à la fois.
― Laurie ! Laurie ! On arrive ! Bientôt tu seras sauvée !
Et parfois j'entends une voix. Cette voix. Mon étoile. Celle que je ne peux voir.
Elle me berce, dissipe un peu les ténèbres, m'empêchant de sombrer totalement. Comme deux hémisphères, l'envie de rester ici pour toujours et celle de rejoindre la source de ces notes étrangement familières, me taraudent, m'écartèlent.
Mais la douleur se rappelle à moi à l'instant où je tente de m'approcher de cette lueur, me réduisant à la facilité d'abandonner. C'est toujours simple de déclarer forfait, bien plus que de se battre jusqu'au bout.
― Laurie... Les elfes n'ont pas le remède... Ils disent que c'est un secret perdu depuis des siècles, ils ont renoncé... mais pas moi !
Qui peut bien se soucier de moi, débris perdu dans l'espace, bien trop loin pour voir briller les étoiles ? Je ne suis qu'une coquille vide qui ne ressens rien, impuissante à quitter ces lieux qui deviennent malsains. L'obscurité me pèse, pourtant je ne connais rien d'autre, j'ai toujours été là, depuis la nuit des temps. Cette présence me laisse néanmoins imaginer le contraire, imaginer qu'il existe autre chose, un autre monde, rempli de couleurs, même si je suis incapable de me les représenter.
― Laurie ? Tu m'entends ? Oh je suis tellement désolée, nous n'aurions jamais dû partir sans vous... Je m'étais persuadée que tu étais en sécurité... Oh, si j'avais su ma Laurie...
Quelqu'un... d'autre ?
Il y a donc une autre dimension ! Si seulement je pouvais les rejoindre...
― Snoderim, tu penses pouvoir faire quelque chose ?
Encore une voix !...
― Je vais essayer.
À mon grand désespoir, les voix se taisent, et mon cosmos redevient inerte. Jusqu'à ce qu'une faible lueur s'insinue peu à peu dans le ciel. Qu'est-ce que c'est ?
Je m'ébahis de voir mes premières couleurs. Elles sont si nombreuses, si belles ! Des volutes apaisantes traversent mon univers, allégeant mes doutes et éclaircissant le néant.
J'ai l'impression de prendre un bol d'air frais, qui me redonne un peu d'espoir, remplissant doucement mais sûrement mon cœur d'émotions nouvelles.
Je prends peu à peu vie, je me construis de ce feu d'artifice, des sentiments qui s'en échappent. Mon vide intérieur se comble presque entièrement alors que je savoure la beauté de ce moment.
Ce bonheur extraordinaire est de bien trop courte durée à mon goût, car déjà les aurores s'estompent. Je prends alors conscience du vide immense qui m'habite sans la présence de ces inconnus qui daignent m'apporter un peu de leur lumière.
― Ça a marché ?
― Je l'espère.
― Laurie, serre la main si tu m'entends.
Mon âme sourit : je reconnais la mélodie de mon étoile.
― Rien...
― J'ai peu être une idée, venez.
Un silence total me recouvre, me coupant la respiration tant il est épais. Non, ne partez pas...
Je chute dans le vide. Leur départ m'attriste bien plus que ce que j'aurais pu prévoir. Pourtant, de maigres lueurs perdurent, du brouillard d'émotions, trop fin pour être remarqué, suffisamment présents pour être observé par qui connaît leur existence.
J'ai tout à réapprendre. Et chaque fois que mon étoile se fait entendre, je me sens un peu plus consistante, un peu plus vivante. Je me construis peu à peu une identité, une âme. Mais plus je prends forme, et plus ma force faiblit. Incapable de saisir l'intégralité des couleurs, des sons et des émotions qui me parviennent, mon efficacité diminue. Je suis plus proche que jamais de rejoindre la surface, mais le poids de mon âme en pleine expansion m'attire vers le fond. Je coule petit à petit, et ma détermination est mise à rude épreuve.
Moi qui croyais progresser, distinguer l'ombre d'un astre ou la position d'une supernova, je ne vois plus rien de tout ça. J'ai peut-être tout simplement rêvé. Un songe magnifique où j'atteindrais enfin l'objectif de tout un chacun : vivre.
― Alors c'est toi la fameuse malade ? Cela ne va pas durer rassure-toi ! J'ai déjà soigné un cas comme ça, il n'y a pas si longtemps. C'est une longue histoire... que je ne suis pas sûre de pouvoir révéler ! Mais on fera avec.
Est-ce le timbre de mon étoile ? J'ai l'impression de revenir au point de départ, celui où j'entendais sans écouter, où je percevais sans ressentir. Une différence pourtant : je n'avais pas conscience de ce que je manquais. C'était alors bien moins douloureux.
― Romain m'a beaucoup parlé de toi ! À l'entendre, tu es quelqu'un d'extraordinaire. Je n'en doute pas bien sûr, mais un discours différent serait étrange venant d'un garçon amoureux. Eh bien justement, le voilà !
Une étincelle s'allume en moi sans que je n'aie compris la moindre de ces paroles. Ai-je inconsciemment reconnu mon étoile ? Étrange : je suis sûrement l'inconscience même...
― Toi aussi tu lui parles ?
― Ça l'aide à rester éveillée.
― Vous êtes complètement siphonnés, elle est dans le coma.
― Casseur d'ambiance. Enfin, peu importe, le remède est prêt et absolument sans danger.
― C'est vrai ?!
L'obscurité s'intensifie et je me sens chuter à nouveau, plus bas, toujours plus bas. Si profondément que je ne perçois plus rien. Tout autour de moi est uniforme et je lutte pour conserver en moi le peu de sentiments que j'ai réussi à préserver. Les émotions et les pensées qui me constituent ruissellent, tentent de s'échapper de mon emprise. Je me désagrège, et ma volonté aussi. À quoi bon me battre pour demeurer poussière ?
Alors que l'espoir s'égoutte pour disparaître dans le froid du néant, un mince filet d'un blanc opalescent parvient jusqu'à moi. Il brille si fort que je suis incapable de le décrire, ni même de le discerner avec précision. Il s'enroule autour de moi, comme une main secourable, comme une bouée de sauvetage. Il me réchauffe et me réconforte, rassemble les bouts de moi éparpillés dans mon univers. Tel un puzzle incertain, je me redessine peu à peu et me laisse faire par ce miracle inattendu.
J'ai l'impression d'avoir coulé, coulé si profond que j'ai atteint les limons et que je peux enfin donner un grand coup de pieds dans le sable pour m'élancer vers la surface. La forme blanche me porte, m'entraîne à la vitesse de la lumière vers là d'où je viens. Le décor se garnit peu à peu de couleurs et de sons ; de vie.
La joie irradie en moi quand je vois pour la première fois l'étoile que je cherchais tant. Elle est là, loin et pourtant si proche. Nous fonçons droit dessus.
― Ah non ! Je te parie que Laurie va se réveiller justement quand je serais pas là !
Laurie ? Ce mot me paraît étrangement familier.
― Excuse.
Est-ce que ce ne serait pas...
― Romain, je suis sérieuse. Tu as des cernes à n'en plus finir, il faut que tu fasses une pause. Je m'occupe de Laurie.
Moi... ?
― OK.
Je redouble de motivation et nous accélérons encore.
― Elerinna ?
Cette fois j'en suis sûre, c'est bien mon étoile qui s'exprime.
― Merci.
Les mots sont de plus en plus clairs dans mon esprit alors que la noirceur se désintègre rapidement.
― Arrête de perdre du temps, ça ne te fera pas sentir meilleur, Romain.
Mon étoile s'appelle Romain.
Et elle s'apprête à partir !
La peur d'arriver après son départ me donne des ailes et les couleurs autour de moi défilent à une telle rapidité qu'elles se confondent les unes aux autres pour fondre en un blanc plus pur que tout ce qu'il m'a été donné de voir.
Je percute alors l'étoile de plein fouet et des sensations m'assaillent de toutes parts. Beaucoup de douleur, mais surtout l'immense joie d'être de retour parmi les miens. J'émerge enfin de cet océan d'émotions avant d'aspirer une grande rasade d'air.
J'ouvre les yeux et éclate en sanglots.
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Pfiouuu... c'en est enfin fini avec le pdv de Romain ! Je pensait pas que ce serait aussi long (de base il devait y avoir deux chaps pendant que Laurie était inconsciente, au final y en a 8 ;-; )
Bref, chapitre un peu étrange pour le retour de Laurie, je vous l'accorde, mais franchement j'ai trop aimé l'écrire !
Et bizarrement, elle se réveille juste au moment où Romain part, c'est bête ça...
Bref bis, c'était bien ?
Je suis trop contente d'avoir fini 2 chaps en une matinée héhé, mtn je dois aller manger et j'aurais des devoirs pour cette aprèm, alors je continuerais plus tard XD
A pluuuus
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