Chapitre 35 - Dernier espoir ?

pdv Romain

Nous enchaînons les couloirs déserts du palais elfique au pas de course alors que Thalion nous explique sa fameuse piste pour sauver Laurie.

― Tu as bien dit que c'était la dernière page qui était arrachée ? M'interroge-t-il, ses mèches blondes virevoltant dans l'air sec.

― Oui, il me semble, réponds-je sans deviner où il peut bien vouloir en venir.

― Peut-être que les mots se seront imprimés dans la couverture, m'éclaire-t-il, le regard obstinément braqué vers son objectif.

Je fixe son profil d'un air indécis, avant que Mao n'intervienne.

― Cela m'étonnerait vraiment, je ne pense pas que ce Docteur Amerigo ait suffisamment appuyé.

― Ça vaut le coup de vérifier quand même, non ? Riposte Astal, cherchant l'approbation générale.

Plusieurs hochent la tête. Nous négocions un virage à 90°.

― Le Docteur aura peut-être appuyé volontairement, au cas où, suppose le prince.

― Il n'y a qu'un moyen de le savoir, conclue-je en ouvrant sans ménagement l'un des imposants battants de la porte de la bibliothèque.

Sans ralentir, Thalion saisi le journal abandonné sur la table et un crayon posé là tout en s'asseyant sur la première chaise venue. Nous nous tassons tous les huit autour de lui alors qu'il recouvre la troisième de couverture d'une fine couche grise en penchant la mine de son outil d'espionnage. Tous retiennent leur souffle, surtout quand de maigres courbes blanches apparaissent à la surface du papier cartonné.

― Rah... C'est illisible, ronchonne Thalion.

Lyam s'éloigne de la table pour donner un coup de pied rageur dans le vide en marmonnant quelque chose à propos « d'une nouvelle fausse piste » pendant que les larmes remontent dans les yeux de mes amis. Je passe une main nerveuse dans mes cheveux en m'efforçant de ne pas tirer un bon coup pour les arracher.

Mathilda soupire et récupère le journal pour mettre fin à nos spéculations.

― Il se fait tard, la nuit est déjà tombée. Vous avez tous eu une journée éprouvante et je vous propose de reprendre nos recherches demain matin, après le repos complet.

Le regard d'émeraude qui nous scrute ne laisse pas voix à la protestation et nous capitulons à contre-cœur après qu'elle nous eut promis de continuer les recherches encore quelques heures avec ses conseillers et de reprendre aux premières lueurs de l'aube.

Je me retire donc dans ma chambre, en sachant très bien que je n'arriverais pas à dormir, mais en faisant comme si. Enfin seul, je sors un chandelier d'un des meubles ornés de fioritures à la mode elfique et les allume pour continuer ma lecture d'un ennuyeux livre d'histoire sur les relations entre les elfes et les ogres.

Les heures défilent au même rythme que mon efficacité diminue. Mes paupières sont lourdes, autant que mon cœur qui me somme de persévérer. Pourtant le sommeil me gagne petit à petit et je finis par m'assoupir sur le volume aux pages jaunies.


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― Aller debout la marmotte !

Une pensée embrumée se faufile dans mon esprit : je ne savais pas qu'il y avait des marmottes dans le Monde de l'Imaginaire. On me secoue légèrement l'épaule, et, voyant que je ne réagis pas, accentue les secousses. Je grogne, sans pour autant daigner ouvrir les paupières.

Je m'éveille peu à peu et prends conscience de ce qui m'entoure. Quelqu'un s'affaire autour de moi.

― Il faut pas traîner si on veut pas repartir avec toute la clique, commente la voix féminine qui farfouille dans ma chambre.

Je me frotte les yeux d'un geste endormi, mes muscles courbaturés par ma position peu confortable.

― Elerinna ? Mais qu'est-ce que tu fais là ? Je marmonne en reconnaissant l'intruse.

Une nuit d'encre obscurcie les fenêtres aux carreaux teintés.

― Tu te souviens de mon nom ? Parfait, on va pouvoir y aller.

― Où ça ? M'entêté-je d'une voix pâteuse.

― Chercher le remède pour ta petite amie. Allez bouge, me houspille-t-elle, un sourire amusé aux lèvres.

Il n'en faut pas plus pour me sortir de ma phase de sommeil et je saisis mon sac en toile qu'elle me tend.

― Tu connais le remède ?

L'espoir pointe dans ma voix, mais je tente de le contrôler avant d'être sûr que sauver mon amie soit possible.

― Yep, confirme-t-elle fièrement. Mais il me manque un ingrédient, alors on va le chercher. J'ai laissé un mot sur ton lit.

Elle jette son propre sac sur son épaule et me désigne la sortie pour m'inviter à passer devant. Je m'exécute tout en continuant de la bombarder de questions.

― C'est quoi l'ingrédient ?

― Une fleur de jour.

― C'est quoi une fleur de jour ?

La jeune elfe soupire.

― Une fleur assez rare qui ne fleuris qu'à l'aube.

― Mais comment tu peux connaître le remède ? Enfin, ça fait des jours qu'on le cherche et toi tu le connaissais ? T'aurais pu le dire plus tôt ! Les jours de Laurie sont comptés, et même si Mao pense qu'elle peut tenir encore deux jours sous médicament, on a aucune preuve que ce sera le cas. Elle est peut-être même morte cette nuit !

Je me mords la lèvre inférieure à cette pensée. Elerinna me fait signe de chuchoter et referme silencieusement la porte de ma chambre avant d'emprunter le couloir de droite.

― Calme-toi, soupire-t-elle. Non, je ne savais pas que je retrouverais la recette. Et je viens de lui rendre visite : tiendra jusqu'à ce qu'on revienne.

Mon cœur ralenti, légèrement rassuré.

― Comment tu t'es retrouvée dans ma chambre au fait ? Pourquoi ils t'ont laissée rentrer au palais ? J'enchaîne au détour d'un couloir, bien décidé à épuiser la liste des interrogations qui se bousculent dans ma tête.

― Personne ne l'a laissé rentrer, lance une voix peu amène dans notre dos.

Nous nous retournons d'un bloc pour découvrir un elfe blond, les bras croisés dans l'encadrement du corridor sombre aux teintes vertes.

― Ah salut Thalion, bien dormi ? Tenté-je sans savoir si son arrivée contrecarre nos plans ou non.

Le prince ne me répond pas, son regard empli de reproche fixé sur ma complice.

― Effectivement, je suis rentrée par mes propres moyens, déclare Elerinna avec un sourire narquois comme si je n'étais pas intervenu. J'étais étonnée de voir que notre passage secret est toujours ouvert d'ailleurs. Ce n'est pas très prudent, surtout venant de toi.

― Il y a un passage secret ? M'étonné-je, ravi. On va le prendre ?

― Initialement oui, mais c'est inutile en présence du prince des lieux, raille-t-elle.

― Qu'est-ce que tu fais ici Elerinna ? L'interromps Thalion d'un ton dur. Je t'avais pourtant interdit de remettre les pieds ici.

― Et voilà qu'il recommence, commente l'intéressée en levant les yeux au ciel. Pour ta gouverne, reprend-elle à l'adresse du prince, c'est moi qui les aie conduits jusqu'ici et qui détient votre dernière chance de sauver l'humaine. Alors soit tu nous laisses partir, soit tu nous suit, mais on est pressés là.

Les deux opposant se dévisagent quelques secondes.

― Très bien, cède Thalion avec un regard noir vers la jeune guérisseuse. Où allons-nous ?

― Au sommet Vitae.

― Nous y serons plus vite à dos de griffon. Suivez-moi, nous intime-t-il les sourcils froncés en prenant la tête du groupe.

Et sans que je n'aie rien compris au tournant qu'avait pris la conversation, nous nous retrouvons face à la porte des écuries pour seller nos montures. Tango et Plume Noire sont en pleine forme et ravie de nous voir, au même titre que Gaüdia qui ne manque pas de me faire la fête pendant cinq bonnes minutes. Je note avec étonnement qu'Elerinna semble connaître le griffon du prince de Chrysocolia, mais ne m'en formalise pas, Mathilda nous ayant affirmé que les deux elfes se connaissaient bien.

Une fois prêts, je passe saluer Alya et Lilot – les licornes pailletées – et nous montons chacun sur l'un des animaux pour nous envoler dans un ciel paré des couleurs d'une nuit sombre tirant sa révérence. Je grelotte sur le dos de Gaüdia, soulagé d'avoir mis une couche supplémentaire avant le décollage.

Malgré la voûte céleste qui s'éclaircit petit à petit, les milliers d'étoiles qui la parsèment sont encore parfaitement visibles. Je lève la tête pour les observer, une fois de plus fasciné par la beauté d'un spectacle aussi simple que poétique. Mes lèvres s'étirent en un sourire triste au souvenir de Laurie et moi, à califourchon sur une bête mythique pas censée exister lancée à une centaine de kilomètres-heure dans les airs, parlant des étoiles et... de mon père.

Ce mot à la fois doux et âcre s'imprègne dans mon esprit. Cela fait bien une semaine que ce sujet n'a pas effleuré mes pensées alors obnubilées pas l'état critique de mon amie, et je puis dire qu'il ne m'a pas manqué. Comment qualifier la colère et l'espoir qui s'insinue en moi à la simple mention de mon père ?

Mes souvenirs de lui ne sont pas particulièrement nets, pourtant je me souviens très bien que jamais, ô grand jamais, il ne serait parti ainsi, sans autre explication. Avant ce jour maudit où il s'est évaporé sans laisser de traces, je lui faisais aveuglément confiance. Comme ma sœur. Comme ma mère aussi.

Aucun de nous n'aurait pu imaginer qu'il nous abandonne du jour au lendemain. À l'évidence, nous nous trompions.

Et maintenant, rien que son souvenir me fait grincer des dents pour me retenir de frapper des gens. Peu importe tous les arguments qu'a bien pu lui trouver Laurie : à moins qu'il ne soit fermement enchaîné à l'autre bout de cette île imaginaire et ait été forcé à écrire ces foutus lettres, je ne lui pardonnerais jamais. C'est impossible.

― Eh Roro ça va ? Me lance Elerinna en rapprochant nos montures le plus possible sans que leurs ailes ne s'entrechoquent.

Je sursaute et cache précipitamment mes larmes.

― Hein ? Oui oui !

― Ça a pas l'air, remarque-t-elle en me regardant de travers.

― C'est quoi exactement le Sommet Vitae ? Demandé-je subitement pour changer de sujet.

La jeune guérisseuse y voit clair dans mon jeu, mais respecte mon intimité – pour une fois – et ne dis rien.

― Une corniche rocheuse qui surplombe la ville.

― C'est un lieu dangereux, s'insurge Thalion en déboulant à ses côtés.

Elerinna lève les yeux au ciel avec exagération.

― Tout ce qu'on risque, c'est de tomber de la falaise si on est assez stupides pour s'approcher du bord, rétorque-t-elle.

Le prince lui lance un regard noir avant de nous distancer, visiblement vexé et à bout d'argument.

― Mais qu'est-ce qu'il a bien pu se passer entre vous pour que vous soyez aussi désagréables l'un envers l'autre ?

L'elfe prend le temps de caresser les douces plumes de son griffon avant de me répondre.

― C'est compliqué... dit-elle si bas que je peine à l'entendre distinctement. Il y a eu un accident... Ce n'était ni vraiment de sa faute, ni vraiment de la mienne, plutôt de notre innocence... et de la guerre. Et c'est arrivé au Sommet Vitae.

― Qu'est-ce qu'il s'est passé exactement ? Tenté-je la gorge nouée.

Le vent et la distance nous imposent de parler assez fort, et je me demande si Thalion entends nos paroles. Si c'est le cas, il ne laisse rien paraître.

― Nous étions seuls, comme tant d'autre fois en exploration des alentours de la ville, quand on est tombés dans une embuscade. On s'en est sortis bien sûr, sinon je ne serais plus là pour en parler, mais j'ai été gravement blessée au passage.

D'un geste lent, elle retire ce qu'il semble être un gant accordé parfaitement avec la couleur de sa peau. La manche beige longue jusqu'au coude révèle à ma plus grande horreur une prothèse de métal là où devrait se trouver son avant-bras droit. Je porte une main à ma bouche, profondément ahuri.

Avec un soupir, la jeune elfe replace son gant qui se fond à la perfection avec son membre. Les griffons plongent alors vers un plateau recouvert de verdure et de fleurs bleues pâles, m'empêchant de poursuivre plus avant mon interrogatoire.


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COUCOUUUU !

Alors... encore un passage qui était PAS DU TOUT prévu...

Initialement, Elerinna devait juste revenir avec le remède... et après elle devait juste récup Romain au passage pour lui éviter de déprimer... et là, y a Thalion qui débarque sans prévenir !! Incorrigible celui-là !

Bref, donc moi qui pensait qu'il ne restait plus qu'un chapitre au pdv de Romain - un chapitre avant la mort de Laurie MOUHAHAHAHA (on y croit on y croit) - eh beh il y en aura encore un autre, voire deux... pitêtre...

En plus ce chap fait plus de 2000 mots ;-;

Fun fact : j'ai failli m'arrêter à 1600, et je me suis dis "nan mais après c'est le suivant qui va être super long"... no comment


En tous cas, c'était bien ?

Vous vous y attendiez à l'explication d'Elerinna ? Il manque encore beaucoup de détails, mais ça vient ça vient héhé

Allez à plus dans le chap 36 !

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