Chapitre 33 -Mission impossible ?
pdv Romain
― Tu es sûre que c'est par là ? S'assure Lyam pour la cinquième fois.
― Oui, enfonce Elerinna, lassée de cette question redondante.
― Mais on s'enfonce dans la forêt !
― Et alors ?! Si je te dis qu'il y a un passage, c'est qu'il y a un passage !
J'essaye tant bien que mal de faire abstraction de leur dispute, mais être au centre n'arrange pas mon affaire.
― C'est pas possible ! La seule entrée de la ville, c'est le palais !
― Et qu'est-ce que tu en sais toi ? Tu vis ici ? Non. Moi, oui.
― C'est pas bientôt fini ? M'interposé-je. Lyam, tu ne connais de la capitale que ce que les livres ont bien voulu te dire alors qu'Elerinna vit ici depuis toujours. On lui a demandé de nous guider, alors on l'écoute maintenant.
― Merci Romain, déclare l'elfe comme si mon avis clouait le débat.
Le faune se renfrogne, bougon. Nous continuons notre progression entre les arbres qui se font de moins en moins nombreux, signe qu'on approche de la lisière de la forêt. Nos yeux s'agrandissent de surprise quand, après avoir suivi des sentiers de plus en plus étroits, passant parfois entre les buissons sans reconnaître la moindre route praticable, nous débouchons en haut d'une falaise.
La corniche rocheuse surplombe la vallée des elfes et nous sommes suffisamment près pour distinguer les silhouettes longilignes des habitants qui arpentent les rues dallées.
― Tout le monde descend, nous informe Elerinna, coupant court à notre contemplation.
― Quoi ? Nous exclamons-nous à l'unisson, Mao compris.
Elle désigne l'étroit sentier qui serpente à flanc de la falaise, tout juste praticable par un cheval et encore.
― On laisse la charrette ici et on continue à pied. Votre malade montera sur l'une des licornes.
Nous échangeons un coup d'œil peu convaincu.
― C'est sans risques ton itinéraire là ? M'inquiété-je.
― Presque.
― Ah...
Je déglutis avec difficulté. Ce n'est pas pour moi que je m'inquiète autant – le chemin ne semble pas dangereux pour un randonneur – mais pour une personne inconsciente sur une licorne...
Elerinna saute sans cérémonie de l'attelage et détache nos montures en fredonnant. Je capitule et descend à mon tour pour décharger nos quelques sacs.
Indécis, Lyam soulève Laurie pour l'emmener jusqu'à l'une des juments – Alya, si mes souvenirs sont bons. Nous nous débrouillons pour la hisser tant bien que mal sur le dos de l'animal et Lyam décide de monter derrière elle pour la maintenir.
Quelques minutes plus tard, notre cortège est prêt. Elerinna, en tête, nous montre la voie, suivi de près par moi, Lyam et Laurie, et enfin Mao tenant la longe du deuxième poney magique – Lilot – et toujours réticent à l'aide de la jeune elfe.
― C'est une très mauvaise idée, marmonne-t-il en s'engageant sur le sentier tortueux.
Elerinna avance d'un pas rapide, particulièrement à l'aise alors que le vide s'étant à quelques centimètres de ses pieds. Pour ma part, je marche le plus proche possible de la paroi et me retourne toutes les deux minutes pour vérifier que la position de Laurie est stable. À ma grande surprise, Alya et Lilot paraissent plutôt confiants eux aussi. Leurs sabots, s'apparentant à ceux des quadrupèdes de montagnes, s'accrochent particulièrement bien à la pierre et leur assurent une prise fiable.
― Elle a l'air mal en point votre malade, remarque Elerinna en se retournant pour me faire face.
― Pourquoi ? Je m'étonne, stressé, car elle marche à reculons sans prendre la peine de regarder le sol.
― Ça se voit, répond-elle simplement avant de pivoter une nouvelle fois.
Je fronce les sourcils. Certes, Laurie est affublée de bandages laissant imaginer de graves blessures... pourtant elle me paraît plutôt sereine : on dirait qu'elle dort. Ce qui est le cas bien sûr, mais son visage pourrait exprimer la douleur. Enfin, je crois.
― Tu t'y connais en médecine toi ? Je l'interroge, curieux.
― Je connais deux trois plantes qui soulagent.
― Tu pourrais faire quelque chose pour elle d'ici à ce qu'on arrive ? Demandé-je, plein d'espoir.
― Hum... Je vais voir ce que je trouve en chemin.
Je la remercie et nous poursuivons notre route en silence, jusqu'à ce qu'elle revienne à la charge.
― Tu ne veux vraiment pas me dire ce qu'elle a ? Ça m'aiderait beaucoup si je veux faire quelque chose.
J'hésite, avant de pencher pour la confiance.
― Elle a été empoisonnée...
― Aïe, c'est pas bon ça, grimace-t-elle. Quel genre de poison ?
― Aucune idée. Une invention des ogres à ce que j'ai compris.
Elle s'arrête net et je manque de la percuter. Je m'excuse quand elle se retourne, effarée, sans prendre la peine me répondre.
― Laquelle ? Articule-t-elle.
Je m'apprête à bafouiller que je ne sais pas, mais Lyam me coupe l'herbe sous le pied.
― La parocathricine, révèle-t-il sombrement.
La jeune elfe porte une main à sa bouche. Je n'ai jamais entendu ce terme, mais la réaction de mes amis n'est pas bon signe. Elerinna finit par se retourner sans prononcer un traître mot.
― C'est grave ? Je demande, terrorisé.
Je me tords les mains depuis plusieurs minutes maintenant et des traces rouges apparaissent peu à peu sur mes doigts.
― C'est le pire, confirme-t-elle sans se retourner.
Je déglutis avec difficulté avant de reprendre mon avancée la boule au ventre. Les pensées noires qui m'avaient quittées reviennent en masse. Je n'ose plus poser la moindre question de tout le trajet, de peur d'apprendre des choses pires encore.
La descente dure dans les deux heures (selon mon approximation), et quel n'est pas mon soulagement quand nous déboulons enfin sur une route Chrysocolienne bien plate et large !
La tension redescend et j'échange de place avec Lyam. Il prétend qu'il est roué de courbatures, mais je pense plutôt qu'il souhaite tirer les vers du nez à Elerinna : ses antécédents avec Thalion semblent beaucoup l'intéresser. Ça me rappelle qu'on ne lui a toujours pas dit qu'il était en déplacements...
Pendant que les deux énergumènes discutent énergiquement, je profite du silence pour observer la cité elfe où je n'avais encore jamais mis les pieds.
Toutes les maisons sont constituées de bois colorés et de pierres aux teintes bleues et bordent les routes, parées des mêmes couleurs. De nombreux arbres centenaires nous procurent une ombre bienvenue, leurs feuilles présentant toutes les teintes imaginables.
Des elfes vêtus de tuniques colorées cuisinent sous des préaux recouverts de plantes grimpantes, quasiment dans la rue. Les visages sont souriants et ils nous saluent malgré leur étonnement quand on passe devant eux, certains semblent même reconnaître Elerinna.
La ville s'organise en paliers, un peu comme des rizières, et nous arrivons bientôt au point le plus bas : le cœur de la cité. Les maisons y sont plus nombreuses et plus proches, intercalées avec des échoppes de toutes sortes.
Nous débouchons sur une grande place où trône une immense cascade en malachite représentant des elfes que je ne connais pas. Des geysers d'eau limpide se dressent pour retomber dans un grand bassin circulaire où plusieurs elfes lavent leur linge en riant. Des étals sont disposés sur tout le tour de la place, présentant des produits variés au possible.
Notre progression est ralentie par la foule, et bien que certains nous dévisagent d'un air surpris, peu remarquent ma nature humaine et que Laurie est inconsciente et recouverte de pansements. Assise en amazone et légèrement penchée vers l'avant, ses paupières closes ne sont pas très visibles. Un bras enroulés autour de sa taille et l'autre tenant fermement la crinière de Alya, je la serre contre moi pour l'empêcher de tomber.
Nous sortons finalement de la vieille ville pour longer une large route menant droit au château. Arrivés devant les portes de malachites, Elerinna sonne au heurtoir de pierre sans ménagement avant d'attendre en tapant du pied. Les minutes s'écoulent en silence avant qu'un majordome renfrogné ne vienne nous ouvrir. Je reconnais celui de la dernière fois et le remercie chaleureusement alors qu'il nous entraîne à travers les dédales de couloirs qui caractérisent Chrysocolia.
― Que faites-vous là ? Sursaute la reine, qui sortait de son bureau à l'instant même. Elerinna ?
― Moi-même, répond l'intéressée en souriant de toutes ses dents.
― Vous n'avez pas reçu notre mot ? S'étonne Lyam, Laurie endormie dans ses bras protecteurs.
Mathilada pâlit à la vue de la jeune fille blessée.
― Un mot ? Répète-t-elle, sourcils froncés.
Nous acquiesçons de concert et elle consulte le domestique du regard. Celui-ci hausse les épaules avant de se retirer sur ordre de sa reine.
― Vous avez des choses à me communiquer semble-t-il, soupire-t-elle. Suivez-moi.
La Diligente nous introduit dans son bureau. Ne comportant nulle part où allonger Laurie, elle conduit Lyam dans un pièce adjacente pourvue d'un lit – sans doute ses propres appartements. Ils reviennent quelques minutes plus tard pour s'installer à leur tour dans les quelques fauteuils qui entourent le bureau de bois violet, bien qu'il n'y en ait pas assez pour nous tous.
― Très bien, je vous écoute, amorce la reine des elfes en croisant les jambes, une tasse pleine à la main.
Les mains crispées sur le rebord du fauteuil de Mao, j'écoute le médecin relater les différents événements.
― Avant de partir, le roi Naguz vous a envoyé un message pour vous prévenir de notre arrivée et de la gravité de la situation. Mais il semblerait que vous ne l'avez pas reçu, conclue-t-il.
La reine confirme d'un lent hochement de menton.
― Cela signifie-t-il que le traître est ici ? Demandé-je.
― C'est fort possible, admet tristement la reine.
― Un traître ? S'étonnent les trois autres d'un air horrifié.
Je m'apprête à expliquer ce que je sais, mais suis devancé par Mathilda.
― Cela fait maintenant douze ans que notre guerre contre les ogres a commencé, et pendant tout ce temps, il semblerait que les gnomes aient tenté de nous joindre pour nous apporter leur soutien. Or nous n'avons jamais reçu la moindre lettre d'eux. S'il se passe exactement la même chose avec les messages provenant de votre royaume, cela signifie sans aucuns doutes que le récepteur se situe ici, à Chrysocolia.
― Qui se charge du courrier ici ?
Je compte bien attraper celui qui réduit les chances de Laurie, et ça ne va pas bien se passer pour lui. L'elfe réfléchi un instant avant de me répondre.
― Ojo. Le réceptionniste qui vient de partir, ajoute-t-elle devant notre confusion.
― Il faut l'arrêter tout de suite ! M'exclamé-je, prêt à partir à la poursuite de ce malfaiteur.
― Du calme, me retient Lyam en me saisissant le bras pour s'assurer que je ne parte pas sans leur accord. Nous n'avons aucune preuve que c'est bien lui, et ça ne changera rien d'aller le chercher dans la minute : il ne se doute pas qu'on a des soupçons. Si c'est lui bien sûr.
La souveraine se passe les mains sur le visage d'un air las.
― Il a raison. Et toi Elerinna, que fais-tu ici ? Interroge-t-elle faiblement.
― Oh moi, je souhaitais juste parler à Thalion. Mais j'ai cru comprendre qu'il n'est pas ici, quand bien même personne n'avait daigné me prévenir.
Elle nous fusille du regard avant de se lever de son siège molletonné.
― Je n'ai donc plus rien à faire ici, déclare-t-elle en s'avançant vers la porte.
― Attends ! L'arrêté-je, soudain paniqué. Tu n'as pas dis que tu pourrais faire quelque chose pour Laurie ?
Mes maigres espoirs s'effondrent face à son sourire triste.
― Je suis loin d'être une grande guérisseuse, mais... si jamais je découvre quoi que ce soit qui puisse aider, je reviendrais.
― Merci, dis-je, toujours penaud.
Elle nous adresse un dernier signe de tête, puis passe la porte sans se retourner.
― Alors ce n'était pas une blague ! S'exclame Lyam, sidéré par l'information. Elle venait vraiment pour voir le prince.
― Eh bien, c'est ce qu'elle nous avait dit, oui, confirme Mao sans comprendre pourquoi cette information semblait si stupéfiante aux yeux du faune.
― Je pensais... Je ne sais pas. Qu'elle nous faisait marcher, bredouille-t-il. Ça me paraissait si impossible qu'elle connaisse le prince elfe en personne alors qu'elle a vécu toute sa vie reclus sur le plateau Fertile.
― Elle le connaissait, et très bien même, affirme la reine, un sourire amusé aux lèvres. Ils ont quasiment grandi ensembles.
― Alors pourquoi...
― On a plus important à faire non ? Je m'impatiente. Laurie est dans un état critique et vous ne nous avez toujours rien dit sur ce fameux remède.
Tous les regards se braquent sur Mathilda qui remue sur son siège, mal à l'aise.
― C'est à dire que... Ce poison ogre est le plus redouté de tous, et ce, bien avant le début de la guerre. Mais il n'est généralement pas utilisé sur le champ de bataille et cela fait des décennies que je n'en avais pas entendu parler. Son traitement – si nous en avons la recette – est perdu depuis des lustres... Je doute même qu'une telle solution est jamais existé.
Chacun de ses mots détruit un peu plus l'espoir qui s'était difficilement construit en moi. Toute ces heures à me forger des espoirs, à me persuader d'y croire, s'effritent bout à bout, au même titre que mes chances de la sauver. Même prononcer son nom devient trop dur pour mon cœur en ruine. Sans le soutien du fauteuil délaissé par Elerinna et sur lequel j'ai eu la présence d'esprit de m'asseoir, je m'effondrerai.
― Vous pourrez bien sûr faire des recherches, s'empresse la reine en constatant mon trouble, mais les chances sont minces, presque inexistantes.
Je ne veux plus de toutes ces promesses qui n'en sont pas, elle ne sait pas ce que je ressens, elle ne peux pas savoir. Ma gorge se serre aussi vite que l'inarrêtable étau qui se resserre autour de mon amie empoisonnée. Les larmes me montent aux yeux, et après tout ce que j'ai enduré, j'aimerais les laisser dévaler mon visage. Pourtant, je décide que ce n'est pas le moment. Je dois rester fort. Ne pas céder, pour elle, et pas devant eux.
― Je trouverais le moyen de la soigner, que vous le pensiez possible ou non. Et si vous refusez de m'aider, j'en déduirais que vous ne souhaitez pas la fin de cette guerre stupide, parce que vous seriez prête à laisser mourir des innocents.
Ma voix ne tremble pas en prononçant ces mots, et c'est les yeux parfaitement secs qui je me lève en exigeant qu'on me mène à la bibliothèque : de longues recherches commencent.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top