Chapitre 32 - Elerinna
pdv Romain
Nous cheminons ainsi pendant trois jours. Les licornes n'ayant besoin que de quelques heures de repos par jour, nous ne nous arrêtons que très peu. Nos heures sont rythmées par la cadence monotone de notre charrette qui parcours les routes étroites et tortueuses.
Nous nous relayons pour diriger l'attelage, pour manger et pour dormir sur la deuxième couchette. Je ne souris que très peu et ne rie jamais, rongé par le stress constant de faillir à ma mission. Dès que je suis seul à l'arrière, je ne peux m'empêcher de lui parler. Je lui raconte ma vie, discoure sur la pluie et le beau temps, lui explique à quel point j'ai besoin qu'elle lutte, car je n'y arriverais pas tout seul.
Mais Laurie ne me répond jamais.
Est-ce qu'elle m'entend ?
Mao et Naguz me l'ont bien expliqué : rien n'est sûr.
Entre les elfes qui n'ont sûrement plus la recette, le poison qui se propage davantage à chaque minute et le somnifère qui n'a jamais été testé sur un humain, les chances ne sont pas de notre côté. Mais je m'efforce de penser positif.
C'est dur parfois... quand je viens de supplier Laurie de me donner un signe de vie et qu'elle ne broche pas... ou quand je demande à Lyam dans combien de temps nous arriverons à la capitale elfe...
En dehors d'un éboulis de rocher sur une corniche de pierre qui nous a fait perdre plusieurs heures de déblayage, rien ni personne ne s'est mis en travers de notre chemin. Les minutes passent, chacune identique à la précédente.
― Romain ! Romain ! S'écrient Lyam et Mao, à l'avant de chariot. On le voit ! Le palais !
Un sourire radieux se dessine sur mes lèvres : le premier depuis une éternité. Je passe la tête par l'arrière de la carriole pour tenter d'apercevoir la paisible vallée qui abrite la cité elfe. Nous sommes encore loin, mais en contrebas on reconnaît facilement l'immense canyon qui renferme des centaines de maisons en malachite et les quelques fermes qui sont disposées sur les prairies alentour.
Pas le temps de contempler la ville, pourtant magnifique d'ici : je me précipite au chevet de Laurie pour l'informer de la bonne nouvelle.
― Laurie ! Laurie ! On arrive ! Bientôt tu seras sauvée !
Je perçois les rires des deux chauffeurs. Des rires de soulagement, ceux qui nous échappent après un stress constant enfin tarit. Pourtant, ce n'est pas leur bonne humeur qui me redonne espoir à cet instant précis.
Alors que je lance un coup d'œil furtif au corps endormi à mes côtés sans avoir même espéré la moindre réaction, je crois reconnaître une ébauche de sourire. Une frêle esquisse, un croquis tout juste visible. Mais j'en suis sûr : je ne l'ai pas imaginé.
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― On est du mauvais côté, m'informe Lyam.
― Comment ça, du mauvais côté ?
― La château de Chrysocolia se situe de l'autre côté du canyon. Nous devrons soit le contourner, soit descendre en ville et remonter. Sachant que la seule entrée se trouve être le palais justement.
Je déglutis avant de lui répondre, excuse bancale pour avoir le temps de réfléchir à une solution.
― On pourrait demander aux habitants de la ferme là-bas, me devance le médecin. Ils connaîtront sûrement la route la plus courte.
Je relève la tête et découvre effectivement deux-trois bâtiments en terre à quelques centaines de mètres de la route principale.
― Ça me semble être la meilleure stratégie, approuvé-je.
― OK, on fait ça, conclue Lyam avant de bifurquer sur le sentier qui y mène.
Nous passons bientôt devant un joli petit potager, où s'égaille une jeune elfe à la tunique tachée de boue. Elle arrête de fredonner pour lever les yeux vers nous en nous entendant arriver et fronce les sourcils face à l'étrange cortège que nous formons. Comme je la comprends ! Deux faunes et un humain sur une charrette tirée par des licornes, ce ne doit pas être très courant par ici.
― Bonjour ! La salue Lyam en stoppant notre avancée. Nous vous prions de nous excuser, mais connaîtriez-vous le moyen le plus rapide de se rendre au palais de Chrysocolia ?
― Au palais ? Répète-t-elle en se levant. Oui bien sûr.
Elle s'approche de la carriole en enjambant une petite haie, sûrement destinée à empêcher les animaux de la ferme d'aller se régaler avec des légumes.
Elle nous dévisage tour à tour pour s'attarder sur mes oreilles rondes. Je détourne le regard, gêné par ma différence.
― C'est pour quoi ? S'interroge-t-elle sans cesser de me fixer d'un air perturbé.
― Oh pas grand-chose, ment Lyam. On visite.
Elle n'a pas l'air convaincue et reste silencieuse quelques instants.
― Je vais vous y conduire.
― Non non, pas la peine, proteste véhément Mao, soupçonneux.
― Vous avez l'air pressés, argue-t-elle. Le plus simple c'est que je vous conduise.
J'échange un regard interrogateur avec Lyam qui hausse les épaules. La jeune elfe blonde comme le blé saisi un crayon qui traînait dans sa chevelure décoiffée et sort un bout de papier froissé d'une de ses poches pour griffonner un petit mot dessus. Sans se soucier de nous, elle dépose la lettre parmi ses outils de jardinage puis reviens vers nous.
― Ça vous dérangerait de monter à l'arrière ? Revendique-t-elle d'un ton sec à l'adresse de Mao.
Ce n'était pas réellement une question, aussi le satyre se voit-il obligé de lui céder sa place. Il ne manque pas de la dévisager ouvertement en descendant de son siège et s'éloigne sans un mot.
― Par là, dicte-t-elle en s'installant sans un remerciement pour le vieux médecin.
Elle pointe le chemin qui passe devant chez elle au lieu de la route principale censée nous mener droit à la capitale.
― Mais... commence Lyam.
― Vous aviez besoin d'un guide c'est bien ça ? Nous nargue-t-elle avec suffisance. Alors écoutez-moi.
Le faune semble étonné mais ne proteste pas davantage et notre attelage reprends sa route.
― Au fait, je m'appelle Elerinna. Et vous ?
― Lyam, se présente mon ami, toujours surpris par l'attitude de l'elfe.
― Romain, complété-je.
Le silence retombe, mais Elerinna semble décidée à nous tirer les vers du nez.
― Alors comme ça, vous êtes des voyageurs ? Vous venez d'où ?
― Heu... d'Ignisia, hasarde notre chauffeur.
― Toi, tu ne viens pas d'ici je me trompe ? M'interroge-t-elle.
― Qu'est-ce qui te fait dire ça ? Avancé-je, espérant qu'elle n'est pas deviné que je venais carrément d'une autre dimension.
― Des Hommes, y en a pas beaucoup par chez nous, remarque-t-elle simplement.
― Ah...
― Vous transportez quoi ?
― C'est bientôt fini les questions ? S'énerve Mao en tambourinant sur la paroi de bois fin.
Elerinna l'ignore, préférant me fixer dans l'attente d'une réponse.
― Bah... pas grand-chose. Des affaires personnelles...
― Je ne te crois pas, sourit-elle.
― Et alors ? Je grogne, commençant à être agacé par son indiscrétion.
― Pourquoi tu nous accompagnes toi ? S'interpose Lyam, les yeux braqués sur la route.
― J'ai des comptes à régler là-bas, alors ça me donne l'occasion de faire d'une pierre deux coups.
Elle hausse les épaules.
― Avec qui ?
Lyam semble très intéressé par ce détail.
― Quelqu'un.
Il passe une main dans ses courts cheveux roux.
― Une question contre une question, ça te va ?
― T'es sûr que c'est une bonne idée ? Je couine, serré entre les deux énergumènes.
― C'est d'accord, s'exclame-t-elle au même moment.
Je n'aime pas ce genre d'accord. Encore moins que l'action ou vérité, ce stupide jeu qu'on faisait au collège.
― Avec qui as-tu des comptes à régler ? Insiste donc Lyam.
― Le prince, répond-elle le plus naturellement du monde.
― Thalion ? M'écriai-je.
― Lui-même.
― Mais... qu'est-ce qu'il t'a fait ?
― Désolée, c'est à mon tour de poser une question.
Je râle et elle réitère :
― Qu'est-ce que vous transportez dans votre charrette ?
J'hésite avant d'opter pour une révélation restant assez vague.
― Nous deux, un médecin, sa patiente et... toi.
Elle hoche la tête, visiblement satisfaite de ma réponse.
― Vous espérez pouvoir la soigner au château ?
― Oui.
― Eh Romain ! C'était à notre tour de poser une question, me gronde Lyam.
― Désolé, dis-je, pas le moins du monde sincère.
― Calme-toi, tu les auras tes deux questions, le rassure Elerinna.
Le faune paraît satisfait et s'empresse de demander, un sourire moqueur aux lèvres :
― Pourquoi tu n'es pas allée rendre des comptes à ton prince plus tôt ?
― Ce n'est pas mon prince, rétorque-t-elle en rougissant légèrement. Mes parents ne souhaitaient pas que j'y aille, mais maintenant j'ai une excuse.
Elle nous adresse un grand sourire que nous lui rendons malgré son caractère insistant.
― Mais tu ne lui veux pas du mal au moins ?
Je préfère m'en assurer, parce qu'elle a l'air capable de tout cette fille.
― Bien sûr que non ! Me rassure-t-elle immédiatement en replaçant une mèche blonde derrière son oreille pointue. J'ai une tête à commettre des meurtres ?
Je hasarde un « non » peu convaincu au moment où Lyam cri un grand « oui ».
Elle éclate de rire, vite rejointe par Lyam. Je m'autorise à faire de même : le destin de Laurie semble prometteur à ce stade de l'aventure.
― Plus sérieusement, se reprend l'elfe, je veux juste lui parler.
Lyam hoche la tête, souriant.
― Ravi de savoir qu'on ne transporte pas une criminelle jusqu'à sa prochaine victime !
Nous rions de bon cœur alors que notre attelage se rapproche petit à petit de sa destination.
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Le chap 33 est presque fini ^^
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