Chapitre 31 - Cauchemar
pdv Romain
Je m'efforce de ne pas trembler en approchant la pipette pleine d'un liquide étrange de la petite plaque de verre où j'ai déposé au préalable quelques cheveux de l'espion. Le but de l'observation est de savoir si les cellules de Tarek ont été exposées ou non à la radioactivité, ou quelque chose qui aurait pu modifier ses cellules et finalement son comportement.
Cette théorie est assez douteuse, mais c'est tout ce dont nous disposons actuellement. J'ai été surpris d'apprendre le niveau scientifique des faunes : leurs connaissances et leur matériel sont au moins aussi développés que chez nous, voire plus.
Mais ça m'impacte peu, en comparaison avec ce qu'il s'est passé il y a quelques heures à peine. Ma gorge se serre en pensant à Laurie. Laurie blessée. Laurie toujours inconsciente pendant que je m'invente apprenti chimiste et que j'utilise sans trop savoir comment des technologies Ignisiennes.
Je chasse une nouvelle fois la jeune fille endormie de mes pensées et me reconcentre sur cette énième expérience censée prouver d'où provient la maladie. Pendant que j'observe les cellules dans un microscope futuriste pour m'apercevoir sans surprise qu'elles sont parfaitement saines. Je suis épaulé par un scientifique faune aux allures de savant fou, pendant d'autres chercheurs passent le corps sans vie de Tarek dans une espèce de scanner. Je doute qu'ils découvrent quelque chose, mais l'espoir fait vivre.
C'est sans doute pour l'espion que la journée d'hier s'est le moins bien terminé : après mon départ, Lyam s'est décidé à accomplir ce qu'il considère comme « la seule solution », à savoir : achever le traître. Je n'approuve toujours pas cette décision et leur en veux, mais ce n'est pas comme si j'avais mon mot à dire.
Ils n'ont eu de cesse de m'expliquer que cet acte barbare ne me choquait que parce que je n'avais pas été éduqué ainsi, que nous sommes en temps de guerre et que la mort est monnaie courant, qu'un de plus ou un de moins, ça ne changera pas notre conscience.
Le jeune satyre roux comme un coucher de soleil est venu me chercher, du sang sur les mains, assez rapidement pour me convaincre que Laurie était vivante, hors de danger, et qu'il fallait que j'aille me coucher parce que la journée avait été dure, blablabla.
Mais moi, j'étais incapable de dormir. Rien que la pensée de rester inactif m'excédais au plus au point. Après ma phase d'anéantissement intense, je me suis fait une raison et décidé de me racheter, si c'est encore possible.
Je ne pouvais me rendre utile au chevet de Laurie, alors j'ai insisté pour aider les chercheurs à en découvrir plus sur cette maudite maladie. Pour cette raison aussi, je maudis régulièrement Naguz et Lyam : s'ils n'avaient pas tué Tarek, nous aurions pu lui soutirer des informations.
Mais non !
Maintenant nous en sommes réduits à des spéculations au niveau cellulaire. Comme si cela allait éclairer notre lanterne !
― Romain ? M'interpelle timidement Naguz en passant la tête par l'entrebâillement de la porte du labo.
― Oui, grogné-je en lui lançant un regard peu amène.
― Pourrais-je te parler un instant ?
Je souffle, en partie pour lui signifier que je suis toujours fâché, avant de confier mon opération à un collègue et de le rejoindre dehors.
― Qu'est-ce qu'il y a ? je demande sèchement une fois dans le couloir.
Je croise les bras sur ma poitrine et regarde froidement Naguz qui s'adresse à moi avec enthousiasme.
― Que préfère-tu pour commencer ? La bonne, ou la mauvaise nouvelle ?
― Autant commencer par le plus pénible, dis-je en prévoyant le pire.
― La bonne nouvelle, (heureusement que j'ai donné mon avis) c'est que Laurie s'est réveillée !
― C'est vrai ?! Je hurle presque.
Sans attendre la réponse, je m'élance dans le corridor : direction la chambre de mon amie. Je n'arrive pas a y croire ! Depuis hier soir j'espère ça, et je n'ai pas dormi de la nuit ! Le premier sourire à se dessiner sur mes lèvres depuis le drame me semble incongru, et pourtant !
J'entends à peine le roi qui crie mon nom et me somme d'arrêter ma course. Voyant ses appels vains, il s'élance à ma poursuite et me rattrape au détour d'un couloir en opale, celui-là même où se trouve la porte que je souhaite atteindre. Il me saisit par le bras pour me forcer à le regarder.
― Romain, il reste la mauvaise nouvelle, me rappelle gravement le roi.
Je contiens un soupir et, me contenant à grand peine de repartir en courant, je me décide à l'écouter.
― Allez-y, capitulé-je.
― Comme je te l'ai dit, Tarek a d'abord essayé d'étrangler Laurie, m'explique-t-il prudemment.
Je hoche la tête, pressé qu'il continue.
― Quand nous sommes arrivés Tarek a dû paniquer, poursuit-il, et il a décidé d'en finir avec elle d'une autre manière.
Je lui lance un regard effaré, envisageant le pire.
― Il l'a coupée à l'épaule avec une lame empoisonnée, lâche-t-il en baissant les yeux.
Mon cœur loupe un battement.
― Qu- quoi ? Bredouillé-je, horrifié.
― Laurie est empoisonnée, confirme-t-il, la gorge nouée lui aussi.
Alors que je la croyais sauvée il y quelques minutes à peine, je la découvre dans une situation plus délicate encore. J'ai du mal à respirer, le monde s'écroule autour de moi et je suis obligé de poser une main tremblante contre le mur pour ne pas tomber.
― Et... c'est mortel ? Je parviens à articuler en croisant les doigts pour que cette évidence se révèle fausse.
Le roi me regarde d'un air désolé avant de hocher lentement la tête, confirmant mes doutes. Je glisse au sol pour me retrouver assis sur le dallage froid, puis, le front entre les mains, je demande doucement :
― Il y a un médicament... n'est-ce pas ?
― Nous pensons que les elfes en possèdent la recette, mais le temps nous est compté et...
Le roi s'accroupit pour poser une main compatissante sur mon épaule, mais je le repousse en me relevant. Titubant, la vue brouillée par les larmes, je parviens tant bien que mal jusqu'à la porte de bois que j'ouvre d'un mouvement las.
Mes pupilles sont immédiatement aimantées vers Laurie, allongée dans son lit flamboyant.
Pourquoi est-elle... endormie ?
Oh non, ne me dites pas qu'elle est déjà morte !
― J'ai dû lui administrer un somnifère pour ralentir la progression du poison, m'explique le docteur.
Je ne pensais pas avoir posé ma question à voix haute, mais ça n'a absolument aucune importance. Mon cerveau peine à faire le rapprochement, pourtant, une fois que toutes les pièces du puzzle sont emboîtées, je réalise qu'il viennent de saboter ma dernière chance de parler à Laurie, de lui dire à quel point je suis désolé, et nul, et triste, et...
― Vous l'avez droguée ?! Vous n'aviez pas le droit !
Je me précipite au chevet de mon amie pendant que ces deux imbéciles tentent de se justifier. C'est inutile : je ne les écoute pas. Seule compte Laurie et ses paupières closes, son air serein malgré les bandages qui cachent d'affreuses blessures.
Des larmes amères gouttent sur ses draps. Mes larmes.
Je saisis sa main à peine tiède et lui murmure, autant pour la rassurer que pour m'en convaincre moi-même :
― Laurie... Laurie, je suis désolé, j'aurais dû être là... On va trouver une solution je te le promets.
Peut importe la probabilité de trouver la recette à ce foutu remède, peu importe les chances qu'on a de la réveiller, peu importe ce que cela pourra me coûter, je trouverais un moyen.
Il le faut pour elle, pour moi, et pour ce monde qui n'est pas le nôtre.
.**.**✩ **.**.
Luxia n'est pas bien haute dans le ciel matinal pendant que je rassemble mes quelques affaires en un baluchon improvisé. Je bourre pêle-mêle mes habits – qui ne sont d'ailleurs pas à moi – dans un sac en toile que je referme et jette sans ménagement sur mon épaule avant de quitter la pièce sans me retourner.
Je trouve étrange d'avoir besoin de choses aussi futiles que des vêtements alors que Laurie ne se réveillera peut-être jamais. Si. Elle se réveillera.
Pour ça, il me suffit de la ramener chez les elfes pour qu'ils préparent leur potion magique. Simple.
Je soupire. Même si j'essaye de me convaincre que les choses vont se dérouler sans anicroches et suffisamment vite pour la sauver, je ne peux me défaire de l'idée que ce n'est qu'un euphémisme. Je m'empresse de repousser ces pensées désagréables.
Une chose après l'autre.
Mon premier objectif et de l'emmener à Chrysocolia entière.
Je débouche dans la cour carrée. Elle me paraît si étrangère, si différente d'hier où je m'y entraînais avec Lyam, où Laurie riait aux éclats...
Je secoue vivement la tête pour chasser ces idées qui parasitent ma mission et redirige mon attention vers la charrette frappée aux armoiries des satyres qui stationne sur le pavé d'opale : une flamme, comme on aurait pu s'en douter.
Je m'attarde tout juste sur les deux licornes argentées qui y sont harnachées : plus rien ne peut me surprendre ou retenir mon attention si ce n'est la survie de Laurie.
― Prêt ? Me questionne Lyam, occupé à caresser l'une des deux bêtes.
Je confirme puis me dirige vers l'arrière du chariot. Celui-ci ressemble à s'y méprendre à ceux qu'on aperçoit dans Lucky Luke et je m'étonne de cette ressemblance en écartant les épais rideaux pour sauter à l'intérieur.
Sur la baquette de droite aménagée une couchette où repose désormais le corps endormi de la jeune fille. Je suis soulagé de la voir si paisible, j'espère que ce n'est pas qu'une impression. Mes pieds traînent sur le sol en bois quand je dépose mon baluchon dans un coin, j'aimerais m'attarder pour la regarder, mais je sens le regard du médecin – Mao – sur ma nuque et nous devons partir au plus vite.
Je m'empresse donc de quitter l'habitacle sans échanger le moindre mot avec le guérisseur et rejoint Lyam sur les sièges servant au cocher. Il m'adresse un sourire compatissant avant de saisir les rênes et de donner l'ordre au cortège d'avancer.
Je prends une grande inspiration quand nous traversons l'enceinte de palais pour nous retrouver sur le chemin de pierres irrégulières.
La course contre le temps commence.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top