Chapitre 30 - Empoisonnée

La douleur est partout bien présente, sans que je ne puisse nommer les parties de mon corps qui souffrent tant elles sont nombreuses. Mon crâne me lance et mes tympans bourdonnent de hurlements étouffés. Chaque effort dilapide un peu plus ma conscience avant de se dissoudre dans les ténèbres qu'est maintenant mon esprit.

Je lutte cependant pour rester éveillée, car je sais que si je lâche prise, je vais m'évanouir. Et qui sait si je me réveillerais ?

Le temps passe dans ce chaos sans nom. Les cris cessent pour être bientôt remplacés par d'autres, bien plus insistants. On me secoue en tout sens, des murmures inquiets parviennent jusqu'à moi. Voudrait-on que je sois encore en vie ? Sûrement. Pourtant, moi-même j'en doute : la douleur est si insupportable que je me croirai aux portes de l'enfer, s'il existe bel et bien. Qu'ai-je fais pour mériter un tel jugement ?

Mais si j'entends les vivants, peut-être ai-je la possibilité de les rejoindre ?

Alors, en dépit des innombrables protestations de mon être, j'invoque toute la force qu'il me reste pour reprendre le contrôle de mes membres. Les cris ont cessé mais mes mains lasses tâtent des étoffes soyeuses. Des draps. Je suis dans un lit. Je remue un peu la tête pour confirmer qu'elle repose bien sur un oreiller.

― Elle est réveillée ! S'exclame-t-on.

Je grimace : les sons environnent me parviennent décuplés et accentuent mon mal de crâne, mais les êtres qui s'enthousiasment autour de moi ne semblent pas s'en soucier.

Je décolle péniblement les paupières et ma vue met quelques instants à se stabiliser avant que je ne puisse reconnaître le s draps flamboyants de ma chambre à Ignisia.

― Laurie, ça va ? Me presse-t-on de toutes parts.

Je porte une main à mon front bouillant et douloureux. Mon crâne est recouvert de bandages, au même titre que l'une de mes épaules.

― Que s'est-il passé ? Je marmonne, ma bouche pâteuse et endormie peinant à suivre le cours de mes pensées.

― Tarek a bien failli en finir, mais tu es une battante !

― Tarek... ? Répété-je en tournant lentement les yeux vers Naguz, assis sur le bord de mon lit.

― L'espion, clarifie-t-il avec un sourire bienveillant.

Il attrape un linge humide et le place sur mon front, ayant sans doute deviné mon atroce migraine.

Les évènements reviennent en masse, apportant avec eux les milliards de questions qui les accompagnent.

― Pou-Pourquoi ? Bégayé-je.

Soupir du roi.

― Il semblerait qu'il ait prêté allégeance au roi des ogres pendant sa mission. C'est fort dommage et incompréhensible, mais nous ne voyons pas d'autre explication.

Je tente de mettre mes idées au clair en me rejouant la scène, bien que certains détails restent flous dans mes souvenirs.

― Il m'a dit...

Une petite ampoule s'éclaire dans mon esprit.

― Pensez-vous qu'il ait pu être atteint par la maladie ?

Le roi grimace avant de réfléchir silencieusement.

― C'est fort possible, confirme-t-il sombrement.

Je me renfrogne, ne sachant pas si cette possibilité m'effraie plus ou moins que si l'espion avait trahi consciemment le roi des satyres.

― Excusez-moi votre majesté, mais je dois lui administrer son traitement.

Perdue dans mes spéculations, je sursaute et tourne la tête vers un faune très âgé vêtu d'une blouse... violette ?

― Oui bien sûr allez-y, s'empresse le roi en lui laissant sa place à mes côtés.

Le médecin dégaine pléthore de fioles et de cachets peu rassurants d'une mallette portable, mais j'ai d'autres préoccupations : Naguz et le guérisseur sont les seules personnes présentes dans la pièce en dehors de moi. D'autres réalités que les intentions de mon meurtrier s'amoncellent sut mon tas de préoccupations et elles ont le don de me mettre dans tous mes états.

― Où est Romain ?! Que s'est-il passé après mon évanouissement ?!

La panique s'empare de moi alors que je m'imagine les pires scénarios possibles quand on place un assassin expérimenté devenu totalement fou avec un roi bien trop sympathique et un adolescent qui n'a fait qu'une séance d'entraînement de toute sa vie.

Le faune en blouse violette me tend un verre rempli d'un breuvage teinté d'orange avec ordre de l'avaler et je m'efforce de suivre ses instructions malgré mes mains tremblantes qui manquent à chaque instant d'en renverser l'intégralité sur moi.

― Il va bien rassure-toi, me calme Naguz en remarquant mon agitation soudaine. Il travaille depuis l'aube avec des chercheurs pour découvrir ce fameux pathogène en étudiant le corps.

― LE CORPS ?! Je m'étrangle après avoir recraché tout mon remède au goût de myrtilles.

Le guérisseur jette un regard désespéré à sa potion magique imprégnant les draps avant de soupirer et de me prendre le verre des mains pour recommencer.

― Oui, les choses ne se sont pas très bien terminées pour Tarek...

Mes yeux sont ronds comme des billes.

― Il est... mort ? Co-comment ?

― Lyam a été alerté par nos cris, explique le roi en fronçant les sourcils, comme s'il revivait des souvenirs qu'il préférerait oublier. Les choses auraient sans doutes été très différentes sans son aide...

Je saisis l'allusion et entrevoit une fois de plus le pire, mais ne dis rien, mon attention obnubilée par les contractions incontrôlées qui animent mes doigts : ils se contractent et se tendent sans que je leur en donne l'ordre.

― Que se passe-t-il ? S'inquiète le médecin.

Je ne réponds pas, traumatisée par ma main gauche qui s'agite toute seule. La panique monte en moi et la tension dans la pièce augmente alors que je suis figée sans savoir comment réagir.

― Comment est-ce possible ? Qu'allons-nous faire ? S'affole le roi en gesticulant en tout sens à la recherche d'une solution miracle.

Son attitude ne fait qu'accentuer mon stress et mes yeux s'agrandissent de peur jusqu'à ce que le médecin me saisisse par les épaules pour me forcer à le regarder en face.

― Respirez, m'intime-t-il. C'est vos nerfs qui lâchent, il suffit de ralentir votre rythme cardiaque.

Paniquée, je tente d'appliquer ses conseils en inspirant profondément.

― C'est sa tête ? Son cerveau est touché ?! Malheur ! Nous n'avons rien pu faire !

Je m'efforce de ne prêter attention ni à Naguz qui panique encore plus que moi ni à ma main ingouvernable et inspire longuement pour calmer mon cœur.

― Sortez.

Le ton du guérisseur ne laisse aucune possibilité de contestation et le roi s'immobilise immédiatement. Il hésite un instant avant de hocher la tête d'un air désolé et de quitter la chambre rapidement.

Le calme revient dès le départ du souverain et je réussis à me détendre après plusieurs respirations lentes et profondes. Ma main redevient docile quelques minutes plus tard malgré des fourmillements constants dans tout mon membre. Je m'effondre sur mes oreillers, épuisée.

Le guérisseur en profite pour saisir ma main et l'examiner à l'aide d'une drôle de loupe à plusieurs lentilles, après m'avoir tendu la boisson à la myrtille orange.

― Qu'est-ce que c'était ? Je souffle finalement.

Le faune prend le temps de replier toutes les pièces de son instrument d'observation et de le glisser dans sa mallette avant de me répondre en choisissant ses mots avec soin :

― C'était la confirmation à mon hypothèse, malheureusement.

― Que voulez-vous dire ?

― Voyez-vous la plaie sur votre épaule ?

Je hoche le menton, l'air interrogatif, en posant ma paume sur l'épais pansement qui la recouvre. Un picotement sourd et désagréable s'y situe, mais il est si peu douloureux en comparaison avec mon mal de crâne et les courbatures présentes dans tous mon corps que je n'y avais pas vraiment prêté attention.

― J'ai bien peur qu'elle ait été faite avec la dague ogre que nous avons découverte dans les décombres de vaisselle. Bien que rien ne puisse nous l'affirmer sans effectuer des tests en laboratoire, je reste persuadé qu'elle est imprégnée du poison sardonixien le plus redouté de tout leur attirail.

Je déglutis avec difficulté, sans savoir si je souhaite connaître l'étendue des dégâts d'un tel produit. Inexpressif, le médecin continue ses diagnostics terrifiants :

― Certains dérèglent le système digestif, d'autres paralysent ou rendent fou, mais celui-là...

― Celui-là... ?

― Celui-là conduit à la mort.

Je porte ma main valide à ma bouche entrouverte, incapable de parler. Non... non, non...

Ma respiration s'accélère, enclenchant inévitablement des démangeaisons dans mon bras blessé à la pensée que mes jours soient comptés. Mes jours, ou mes heures...

― Je... Combien reste-t-il de temps avant que... ?

Mon interlocuteur hésite, avant de confirmer mes pires craintes d'une voix blanche.

― Deux jours.

Mon cœur rate un battement avant de repartir dans une course effrénée, comme s'il cherchait à battre pour toutes les années que je ne pourrais pas vivre avant que la Mort ne m'emporte. Mes globes oculaires se remplissent d'eau salée.

Une lueur d'espoir s'insinue timidement en moi quand je réalise qu'il doit bien y avoir un remède, un médicament pour contrer de foutu poison !

― Et comment on me soigne ? Je m'exclame, surprenant le satyre qui sombrait avec moi dans la dépression.

― Je...

L'étincelle vacille immédiatement, ravivant mes sanglots jusque-là étouffés. Il me jette un coup d'œil inquiet.

― Il y a un remède ! S'empresse-t-il.

Un pâle sourire se dessine sur mes lèvres. Bien vite ternis par sa phrase suivante hélas.

― Les seuls qui possèdent la recette sont les elfes, anciennement alliés avec les ogres, déplore-t-il.

Je lâche un interminable soupir.

― Autant dire tout de suite que c'est peine perdue, je m'apitoie à la fois horrifiée par mon sort et en colère contre tout ce qu'il m'arrive et que je n'ai pas demandé.

― Non non, ne capitulez pas trop vite, m'interrompt le médecin. Je pense savoir comment remédier au manque de temps.

Il m'adresse un sourire rassurant avant de poursuivre :

― Le poison se répand dans votre sang pour petit à petit envahir tout votre corps. Plus vous vous agitez, et plus ce processus s'accélère, car le cœur pompe davantage. C'est pour cette raison que votre main vous a fait défaut quand vous avez paniqué : votre cœur s'est emballé, et votre main, plus proche de la source empoisonnée que vos autres membres, a réagi instantanément.

Je ne comprends pas vraiment où mènent toutes ses explications, mais je m'efforce de garder un rythme cardiaque stable, par précaution.

― Selon cette même logique, plus nous ralentirons votre pouls et réduirons vos mouvements, plus nous aurons de temps pour vous injecter le remède. J'ai donc pensé que la meilleure solution serait de vous administrer un sédatif pendant que nous vous transférerons à Chrysocolia.

― Et combien de temps ça tiendrait ?

― Je mise dans les sept jours.

J'affirme silencieusement, la gorge nouée par toutes ses révélations, en essayant de ne pas trop réfléchir pendant que le guérisseur mélange différent ingrédient dans de petites explosions fumantes.

J'essaie de lui faire confiance, mais la certitude que les choses ne vont pas se passer aussi facilement gronde à l'arrière de mon esprit, prête à inonder tous mes espoirs d'une tempête glacée si je la formule clairement.

Le médecin remplie une solution bleue nuit dans une seringue ayant le don de me faire peur plus qu'autre chose.

J'ai été empoisonnée... J'essaye de me montrer courageuse avant la piqûre, mais je ne suis pas même capable de retenir mes larmes. Des larmes de quoi au juste ? De la peur de ne jamais être réveillée, de l'horrible pressentiment que quelque chose cloche, de ne sans doute jamais revoir les personnes que j'aime... Toutes ces émotions immensément intenses se bousculent aux portes de mon cœur sont bien trop volumineuses pour que les battants restent fermés.

Ma vue est brouillée par les larmes quand le médecin présente la seringue à l'intérieur de mon coude droit. Des sanglots incontrôlés s'échappent de ma gorge douloureuse, mes cordes vocales abîmées par la tension qui les retiens depuis trop longtemps.

L'aiguille transperce mon épiderme, m'arrachant une grimace. Je repense à mes parents, frêles et lointain souvenirs. A Amelya, à jamais ma meilleure amie. Et à Romain, le seul que j'aurais pu revoir et qui n'est pourtant pas présent.

Mon cœur se déchire et saigne dans ma poitrine au fur et à mesure que le sédatif contamine mes veines, emmenant avec lui la promesse que le destin s'est finalement joué de moi.

Je lutte contre le sommeil de ma dernière nuit, mais mes paupières sont lourdes et finissent par tomber l'une après l'autre telles des pions. Échec et mat.


꧁꧂


Coucouuuuuu

Vous m'en voulez pas trop ?

Vous pensez qu'elle va s'en sortir ? Après tout, je pourrais toujours continuer l'histoire avec le pdv de Romain...

Des pronostics ?

Bon, bah je vais me mettre au chap 30 avant d'attirer les foudres de Nuits XD


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top