Chapitre 28 - L'espion
Mes pieds s'écrasent lourdement sur la courte allée de gravier qui serpente entre les arbres. Je saute le petit escalier et passe le portail en vitesse, comme si j'étais poursuivie par une bête féroce. Romain en l'occurrence. Je ne pense même pas qu'il m'est suivie.
Décoiffée et épuisée par ce maigre effort, je m'adosse aux barreaux de métal pour reprendre mon souffle. En sortant du parc, j'ai eu l'impression de quitter cette situation embarrassante dont je ne veux pas entendre parler, mais je sais pertinemment que ce n'est pas le cas.
Je donne l'ordre de fonctionner à mes jambes fébriles et traverse la cour, mon esprit embrumé par des centaines de pensées contradictoires.
Qu'est-ce qui lui a pris ? Pourquoi ? Pourquoi maintenant ?
J'avais déjà envisagé cette possibilité – qu'il ait des sentiments pour moi – mais je préférais repousser ces hypothèses tout simplement car moi, je ne suis pas prête. Ce genre de relation m'a toujours fascinée dans les romans, pourtant jamais je ne me suis vue dans ce cas-là.
Ignorer le potentiel amour de Romain à mon égard était alors bien plus simple que de faire face à mes propres émois en me posant la bonne question : et moi ?
Mes yeux se remplissent de larmes en constatant ma propre bêtise. Je suis tellement limitée parfois !
Toutes mes réflexions s'envolent quand je manque de percuter un hybride aux sabots retentissants sur les dalles de pierre.
― Ah Laurie ! S'enthousiasme le roi des faunes. Je te cherchais justement !
― Euh... Ah bon ?
― Oui, notre espion est revenu et il semblerait qu'il ait quelques informations primordiales à nous communiquer !
Je prends le temps d'assimiler ses paroles qui me tombent dessus comme le seau d'eau glacé d'une mauvaise farce avant qu'un sourire ne se dessine sur mes lèvres.
― C'est vrai ?
Ce serait inespéré que l'espion – revenu si vite – puisse nous indiquer le point faible des ogres !
― Bien sûr, que diantre ! Ne saurais-tu pas où se trouve Romain ? Il sera ravi d'apprendre la nouvelle, je n'en doute pas.
Comment dire... ?
― Et bien... Il est dans le parc... je crois...
― Je m'en vais de ce pas le chercher, s'empresse Naguz, ravi, avant de s'élancer vers la cour.
Zut. Je ne souhaitais pas faire face à Romain tout de suite, mais je ne m'imaginais pas que ce moment arriverait aussi tôt. Inutile de suivre le roi toutefois : je préfère autant retarder cet évènement le plus loin possible. Et puis il ne m'a pas attendu de toute façon, cet euphorique.
Je soupire, partagée entre l'envie de tirer les vers du nez de l'espion et le besoin irrépressible d'aller me cacher sous ma couette pour ne plus jamais revoir l'extérieur.
Au prix d'un effort qui me paraît surdimensionné, je choisis la première option en franchissant la grande porte ornementée qui sépare l'immense couloir principal de la salle de réception aux couleurs incandescentes. C'est ici que nous prenons tous nos repas avec le roi et ses proches depuis deux jours et la table opulente est déjà mise pour le dîner de ce soir, couverts d'argents et verres de cristal compris.
Une ambiance lourde plane dans cette pièce d'ordinaire pleine de conversations sonores et enjoués sans que je ne comprenne directement ce qui me vaut ce sentiment d'oppression.
― Bonsoir.
Je sursaute lorsque retenti la voix grave et pénétrante d'un individu que je n'avais pas remarqué. L'espion du roi – sans aucuns doutes – est installé dans l'un des confortables fauteuils en velours du coin salon de thé, une tasse de fine porcelaine à la main. Malgré sa position décontractée et son air de suffisance, son dos reste raide et tendu. Il paraît aussi mal à l'aise de ma présence que je lui suis de la sienne.
Sûrement est-ce le cas de tous les espions avec des inconnus dont ils ne savent pas s'ils peuvent leur faire confiance ou non. Avec moi il peut bien sûr, mais lui dire ne servira à rien.
― Bonsoir, réponds-je avec un petit temps de retard.
Un insecte solitaire tourne autour de nous dans un bourdonnement cessant. Ne sachant quelle attitude adopter, je m'assieds dans l'un des canapés qui lui fait face avant de demander d'un ton que j'espère aimable :
― Alors comme ça, vous revenez de Sardonixia ?
Il hoche la tête sans me regarder puis avale une gorgée du liquide bouillant pour me montrer qu'il n'approfondira pas sa réponse. OK...
― Et... vous avez découvert des choses intéressantes ? Persisté-je.
― Indéniablement, souffle-t-il, toujours sans lever les yeux de son fichu thé.
Il commence à me taper sur le système celui-là, avec ses réponses vagues et son aura désagréable.
― Vous ne souhaitez pas m'en parler ? Je l'accuse presque.
Il prend tout son temps pour déglutir avant de m'annoncer :
― Les affaires de notre monde ne vous concernent pas.
Alors ça, c'est la meilleure !
Je m'efforce de garder mon calme mais mon sang ne fait qu'un tour.
― Pardon ? Dis-je en haussant un sourcil dédaigneux.
― Les affaires de notre monde ne vous concernent pas, réitère-t-il platement comme s'il croyait vraiment que je ne l'avais pas entendu.
― J'avais très bien compris, merci, répliqué-je sèchement.
― Il n'y a pas de problème dans ce cas, conclue-t-il, un léger sourire en coin trahissant sa satisfaction à me faire perdre mon temps.
J'inspire un grand coup pour résister à la tentation de lui envoyé mon poing dans le nez, avant d'insister :
― Et pourquoi les « affaires de votre monde » ne me concerneraient-elles pas ?
― Vous n'êtes qu'une intruse dont on se refourgue la charge ici. Personne ne croit en la prétendue aide que vous pourriez apporter à un monde qui n'est pas le vôtre et dont l'histoire ne vous regarde pas.
Mon sang bouillonne et je me lève, furieuse.
― Parce que vous pensez que j'ai choisi d'atterrir ici ? Que vos stupides guerres inexpliquée m'intéressent ? Si j'ai été forcée de quitter ma famille, c'est à cause d'un des vôtres ! Et je n'ai pas eu mon mot à dire !
― Ce n'est pas l'un des nôtres, et vous, encore moins ! Vous êtes la gamine prétentieuse qui prétend communiquer avec le Phénix Créateur, c'est bien ça ?
Il se lève à son tour, me dominant d'une présence qui m'écrase alors que je confirme d'un signe de tête timide : toute ma détermination disparaît sous son ombre imposante. Mes yeux de petite souris insignifiante remontent le long de son buste pour enfin rencontrer ses deux prunelles noires qui me communiquent toute leur haine. Je me sens aspirée par cette noirceur, comme avec... Non. C'est impossible...
― Laissez-moi vous dire une chose : Vous êtes un être dangereux pour celui que je considère comme mon roi et je ne laisserai rien ni personne se mettre au travers de son accession.
Je suis paralysée par son regard. Mon cerveau ne répond plus et je reste béate à la suite de sa tirade qui ne fait pas sens pour moi. L'incompréhension s'affiche toujours sur les traits de mon visage quand sa main gigantesque s'écrase contre ma gorge. Ses doigts sont suffisamment longs pour faire le tour de mon cou et ma respiration se coupe instantanément, privant mon organisme de tout oxygène. Je tente de crier, mais mes cordes vocales sont prisonnières de sa prise.
Mes ongles s'enfoncent désespérément dans son poing. Aucune réaction. Je change alors de stratégie en lui tentant de le cogner à coups de pieds et de poings. Rien.
Rapidement, mon visage vire au rouge et ma vision se réduit considérablement. L'espoir me quitte aussi rapidement que mon cœur accélère comme pour combler ce qui obstrue mes veines. Inutile. C'est la fin, je vais mourir ici et cette fois le phénix ne viendra pas m'aider. Je n'ai pas su contrer mon destin.
Des taches noires dansent devant mes yeux et l'ouverture entre mes paupières se réduit à deux fentes. Mes bras retombent, trop épuisés pour poursuivre la lutte. Des voix allègres retentissent à mes oreilles. Sûrement une hallucination due à ma mort imminente... Je crois reconnaître celle de Naguz, toujours euphorique de l'arrivée de son espion. S'il savait...
La porte grince à leur arrivée et des cris de stupeur se répercutent dans la salle à manger. Mon meurtrier semble paniqué de ne pas avoir achevé son œuvre et sa prise se desserre légèrement. Une douleur aiguë me traverse l'épaule gauche puis mon corps chute, chute...
Et mon crâne tout juste conscient percute l'angle de la table basse, envoyant valser la vaisselle dans de grands bruits de porcelaine brisée.
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TATATAAAAAAA
Eh oui ! j'ai déjà fini ce chapitre !
C'était bien ? Moi j'ai beaucoup aimé l'écrire, même s'il est un peu cour, mais je pouvais pas couper ailleurs XD
Bref, je vous avez bien dit que vous étiez pas prêts 🤷♀️
Pronostics ?
Allez à plus !
(j'ai déjà commencé le chap 29 ^^)
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