Chapitre 26 - Bibliothèque

Je ramène Romain dans ma chambre – seul endroit où l'on peut décemment être tranquille – et m'étale sur la couette enflammée en vidant tout l'air présent dans mes poumons. Le garçon s'éloigne vers la fenêtre à la recherche d'oxygène, tendu comme un arc.

La décision de nos amis m'affecte, mais pas autant qu'à lui visiblement. Je suis en colère parce que j'aurais aimé qu'ils nous en parlent, qu'ils ne décident pas de nous mettre sur la touche sans connaître notre avis. Ils n'avaient pas le droit de nous éjecter comme ça. Nous ne sommes pas en options.

Mais en même temps je comprends ce qui motive ce choix. Ils veulent nous protéger, Thalion plus que les deux autres.

Je l'ai vu dans son regard, l'ai compris dès l'instant où nous nous sommes téléportés devant la porte d'Opale : il se sent coupable. Et il a raison d'une certaine manière.

C'est lui qui s'acharne à diriger le groupe.

C'est lui qui était responsable de notre sécurité.

C'est lui qui pensait connaître le roi.

C'est lui qui nous a laissé capturer.

C'est lui qui n'a pas réussi à nous sortir d'affaire.

C'est lui qui a failli nous faire tuer.

Mais comment aurait-il pu prévoir tout ça ?

Il doit se sentir extrêmement fautif pour tout.

Pour avoir failli à sa mission.

Mais il ne l'avouera jamais, ce serait mal le connaître.

Il pense nous conserver en nous écartant du danger, nous préserver en nous mettant hors d'atteinte.

Et Snoderim a suivi... Bien sûr : c'est une vraie maman poule.

Dès que je l'ai connue, je l'ai considérée comme une grande sœur présente dans les bons comme dans les mauvais moments. Elle aussi souhaite nous sauvegarder.

Et Arik ? Il n'a pas l'air d'avoir beaucoup de cran et je doute qu'il ait pris la peine de donner son avis.

Depuis que nous les avons quittés en claquant la porte, je ne cesse de peser le pour et le contre pour savoir si ma réaction est exagérée, si bien que maintenant, je ne suis plus convaincue par mes propres actes.

Cette fichue manie de se remettre en question...

Le seul point dont je suis sûre, c'est que Thalion nous a caché des choses. Et je veux des réponses.

Un bruit sourd me parviens quand Romain donne un coup de pied rageur dans le mur d'un blanc laiteux. Je me redresse.

― On va éviter de détruire le château hein, le taquiné-je.

L'humour a toujours été ma porte de sortie.

Il ne répond pas et se replonge dans la contemplation de la forêt. Je me lève et le rejoins en silence. Les bras ballants, je reste muette de longues secondes en fixant les arbres en contrebas sans pour autant y prêter la moindre attention.

Mon ami se sent inutile, impuissant.

Je ne sais qu'en penser : tout dépend du point de vue.

Je pose une main compatissante sur son bras.

― Tu n'es pas faible, affirmé-je en espérant avoir choisi les bons mots.

Raté.

Les lèvres pincées, il me lance un regard noir et se dégage d'un mouvement d'épaule avant de tourner les talons pour quitter la pièce.

― Mais qu'est-ce que j'ai dis ? Je m'indigne sans comprendre.

Il s'immobilise.

― Tu penses comme eux, crache-t-il avant de se remettre en marche sans se retourner.

Déconcertée, je ne peux que le regarder quitter la pièce en essayant de comprendre ses paroles.

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Mon doigt survole la reliure de cuir des ouvrages alignés sur l'étagère de bois telles des sentinelles indomptés par le temps. Chacun sa teinte, chacun son épaisseur, chacun une histoire à raconter, chacun des centaines de pages qui n'attendent que leur lecteur.

Je rêve de les feuilleter les uns après les autres, consciente du savoir et des secrets qu'ils renferment et lucide sur le travail demandé aux dizaines d'écrivains qui ont rempli cette bibliothèque de leurs recherches. Sans compter que tous ces trésors concernent un monde que je ne connais que très peu et qui me fascine bien plus que l'histoire vue et revue de mon pays.

M'interdisant d'attraper le premier grimoire pour le dévorer et sombrer dans les profondeurs de la bibliothèque jusqu'à la fin des temps, je parcours les titres écrits en lettres capitales pour dénicher l'objet de mon étude.

Les archives des satyres sont bien moins fournies que celles des centaures. Ne comprenant que quelques rayons, elles font office de placard à balais à côté des centaines d'étagères que j'ai entraperçues à Adamasia. Peu importe. Elle n'en renferme pas moins une quantité astronomique d'informations.

Face à mon manque flagrant d'occupation, Naguz m'a acquitté d'une mission particulièrement périlleuse – notez l'ironie – ; mener des recherches sur la maladie qui semble toucher les lutins et les ogres. Je me saisis de quelques ouvrages dont le titre se rattache à la médecine – sujet qui m'interpelle le moins – et m'enfonce dans un espèce de pouf en fourrure placé près des fenêtres rougeoyantes qui surplombent la pièce.

Les pages glissent sur mes doigts alors que je parcours l'index de chaque livre pour me diriger vers les chapitres les plus prometteurs. Les heures passent dans cette atmosphère lassante sans que personne ne vienne troubler ma tâche et ma détermination faiblit peu à peu. Quoi de plus ennuyeux que de parcourir des lignes où je ne comprends presque rien sans trouver la moindre information pertinente ?

Je lâche mon livre en même temps qu'un soupir digne des élèves les plus dissipés, mes yeux délaissant le parchemin jauni pour arpenter la bibliothèque à la recherche d'une quelconque distraction.

Une reliure sombre attire mon attention.

Je me remémore seulement en me levant les conseils de Naguz – à savoir : cette étagère-là ne t'apportera rien sur le sujet qui nous préoccupe – mais trop tard, j'ai déjà lu le titre.

J'attrape Le Passé Sombre de Chrysocolia et l'ouvre à une page aléatoire, ce livre-là m'intéressant bien plus que Les Lois Fondamentales de la Médecine auquel je ne comprends rien.

« Chapitre XXI : Le Conflit des alliés

Alors que la paix s'intensifie depuis de nombreuses dizaines d'années et qu'une alliance se crée entre Chrysocolia et Sardonixia, les désaccords passés semblent un lointain souvenir. C'est donc à la grande surprise de tous que, le 21 decembrii 2096, le roi Groreg mène la première offensive contre ses soi-disant « alliés ». Pourrons-nous un jour découvrir les raisons de cette déclaration de guerre incompréhensible ?

Le mystère plane encore autour de cette guerre d'actualité. Pour tenter de le résoudre, penchons-nous sur l'histoire cachée du royaume de Chrysocolia et remontant 12 ans en arrière.

Après une brillante victoire contre les ogres en 1947 (voir chapitre XX), les elfes prônent le respect d'autrui et la tolérance, allant jusqu'à s'auto-congratuler de « défenseurs de la paix ». Ils renouent, au fil des ans, une relation solide avec les vaincus, dans le but semble-t-il, d'éviter tout futur conflit. Peu à peu, les deux peuples se considéreront comme amis, et formeront une alliance des plus solides de l'histoire de notre monde.

Sous le règne d'Estendel (elfe) et Dirok (ogre), leur confiance est-elle qu'ils créent – en 1998 – des portails de téléportation entre chaque poste elfique et le palais de Chrysocolia, mêlant magie elfe et magie ogre. Cette prouesse, jusque-là inégalée, est classée top secrète par les archives elfiques et nous ne disposons pas d'informations supplémentaires sur ce sortilège perpétuel. Cependant, une rumeur court que ces fameux portails seraient toujours en état de marche, constituant le point faible de Chrysocolia si jamais les ogres parvenaient à prendre d'assaut l'un des postes de contrôle du royaume. Encore faudrait-il qui sachent l'activer.

Ce qui nous ramène à l'éternelle question : Pourquoi Groreg l'Incompri a-t-il déclaré la guerre à des alliés si importants ?

Après la réalisation de si vastes projets, la relation des deux royaumes semble être à son apogée. Ils repoussent ensemble la tentative d'invasion maritime des harpies, venant d'une contrée lointaine dans le but évident de semer la mort et la destruction sur notre continent (voir chapitre XXII) et œuvrent pour la paix à l'échelle de toutes les civilisations que nous connaissons.

C'est le 21 decembrii 2096 très exactement, que les troupes ogres lancent la première offensive contre le poste elfe le plus proche de la frontière. Ce sera un massacre pour les Chrysocoliens, abasourdis et non préparés à une telle attaque. Les affronts se répètent ensuite, sans que Groreg ne se justifie, ni même ne réponde aux nombreux messages alarmés d'Atanatar le Sage.

Ce dernier, grand partisan de la paix et de la liberté, se refusera à attaquer le royaume ennemi dans le but de minimiser la catastrophe, jusqu'au jour où une mystérieuse prophétie le convaincra de mener une expédition en lunii 2103 – belle initiative, après 7 ans de guerre sanguinaire et ininterrompu.

Composée d'une cinquantaine de soldats fiables, la délégation menée par Atanatar lui-même pénétrera en terres ogres dans le but d'atteindre le trône et de résonner Groreg, où plus si la première option se révélait irréalisable.

Atanatar communiquera avec sa femme – alors régente du royaume – jusqu'à son arrivée au palais. Malheureusement, toutes traces de sa survie s'estompent là, nous laissant entrevoir la fin la plus tragique pour la vaillante troupe elfe. Quelques mois après l'annonce de la mort du roi, le trône elfique sera dirigé par Mathilda la Diligente et un conseiller royal de confiance (Calion Elrexi) dans l'attente de la majorité du prince héritier.

Il nous est impossible d'éclaircir davantage cette partie sombre de l'histoire du royaume de Chrysocolia, car, comme c'était à prévoir, la prophétie, les lettres de feu Atanatar le Sage et tout autre document se rattachant au Conflit des alliés est classé top secret. »

Je soupire. Ce roman historique ne m'en apprend pas beaucoup plus sur la guerre que Thalion se refuse à nous décrire davantage. Je replace l'ouvrage et, décidant qu'il est temps de faire une pause, me lève et quitte la bibliothèque. Espérons que Romain ait fini de bouder.

Les satyres, avec leurs murs d'opales et leurs flammes peintes à tout bout de champ, semblent détenir un principe fondamental qui échappe aux elfes : ne pas se compliquer la vie.

Oui, je compare bien les corridors sombres et clonés de Chrysocolia aux couloirs lumineux et variés d'Ignisia. Depuis que nous sommes ici, je suis déjà capable d'aller et venir de ma chambre à la salle à manger, en passant par l'antichambre de la guerre, la cour intérieure, le hall d'entrée et – bien sûr – les cuisines. C'est donc sans mal que je rejoins l'éblouissant bureau du roi pour lui apporter mes notes. Celui-ci, le nez plongé dans des parchemins plus jaunis que je n'en ai jamais vu, m'accueille avec un sourire dès qu'il remarque ma présence.

― Des découvertes intéressantes ?

― Pas vraiment.

― As-tu essayé l'Encyclopédie des maladies d'origine magiques ?

Je réfléchis un instant, mais, ne me souvenant pas de ce titre, secoue la tête par la négative.

― Il me semble qu'il pourrait nous éclairer, affirme pensivement Naguz.

― D'accord, dis-je avec un sourire.

Je note le nom du bouquin dans un coin de mon esprit avant de me diriger vers la porte pour sortir.

― Vous ne sauriez pas où est Romain par hasard ? Demandé-je au dernier moment, en me rappelant que je n'ai plus rien à faire et que je ne sais pas où se trouve mon ami.

Le faune tâte sa barbichette avant d'acquiescer.

― Il souhaitait s'entraîner il me semble. Je l'ai envoyé chercher Lyam et ils doivent être dans la cours en ce moment même.

Je remercie le roi des satyres avant d'arpenter les couloirs une nouvelle fois pour rejoindre l'immense cour carrée, centre du palais d'opale.


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Coucouuuuuu

J'espère que ce chapitre n'étais pas trop ennuyeux, comme il ne se passe pas grand chose...

Même moi j'étais ennuyée de l'écrire ! (en même temps ça m'a pris je sais pas combien de semaines TT)

Même le titre est pas fou je trouve, mais je savais pas quoi mette...

Bref, j'suis pas fan. Et vous ?

A jesaispasquand pour le chap 27 !

<3

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