🌙 19. Larmes de minuit 🌙

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ABBY
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Cette rencontre avec cette étrange sorcière ne quitte pas mon esprit. Les choses se sont déroulées à la perfection, je possède une grande partie des ingrédients. Le mystère autour des larmes de l'hybride reste bien présent. J'avale une gorgée de ma boisson en réprimant une grimace, le goût de l'alcool envahit ma bouche. Je me rappelle la dernière fois où je suis venue à ce bar pour oublier que mon petit copain venait me larguer comme une merde. Pour épouser une riche héritière et abandonner tout espoir de construire une relation durable avec moi.

Je ne devrais pas m'attarder parce qu'on attend mon retour, mais j'avais besoin d'appuyer sur le bouton pause pour une petite heure. J'écoute le groupe sur scène dont la musique me rappelle cette époque. Slonia possède beaucoup d'endroits branchés avec de la bonne musique bien différente de la bonne société. Je prends une nouvelle gorgée de ma boisson en tapotant du pied. Peu importe que ma présence soit remarquée, cela m'est bien égal. La soirée était suffisamment longue pour que je m'offre un verre avant de rentrer.

― On raconte que tu as mis les voiles et pourtant aujourd'hui je te retrouve à nouveau dans mon bar.

Cette voix me rappelle des souvenirs de ces longues nuits durant lesquelles je me croyais éternelle. Je me retourne en souriant pour faire au nouvel arrivant auquel je n'avais pas songé depuis mon départ de la capitale. Excentrique, hors norme, indomptable, ce sont les mots que j'entendais le plus souvent de la bouche de ma famille. Ils ne voulaient pas que je sois associée à lui.

― Salut Larris.

Ses cheveux sont désormais d'un violet électrique et il porte un maquillage lumineux. Nous nous sommes rencontrés lorsque je cherchais un endroit pour me détendre, loin de ma famille. Le club appartenait à son père auparavant, mais il a hérité de celui-ci et le gère d'une main de maître.

― La grande Abby est-elle de retour définitivement ou es-tu seulement de passage ?

― De passage, je le crains.

Il pose une main sur son cœur prenant une expression faussement tragique, ce qui me fait rire. Cela fait du bien de retrouver une vieille connaissance, cela me rappelle à quel point la vie pouvait être simple. La nostalgie est à la fois un cadeau et une malédiction. Il n'est pas bon de vivre dans le passé même si c'est ce que je recherche aujourd'hui.

― Tu es toujours aussi rayonnante !

― Je te retourne le compliment, j'adore la couleur de tes cheveux.

Il soulève une mèche en riant.

― Un accident de teinture, mais c'est la meilleure chose qui me soit arrivée. Nous n'avons pas suffisamment de couleurs dans notre bonne vieille capitale. Slonia manque de personnes comme toi, je croise les mêmes visages et toutes ces jeunes femmes tellement respectables qui ne se lâchent pas suffisamment.

― Beaucoup veulent trouver un époux et vivre heureux. J'aime le principe de liberté et ne pas retrouver ma vie mêlée à celle d'un homme uniquement en échange d'argent ou pour le besoin d'un héritage.

Larris hoche la tête puis s'installe face à moi, les yeux brillants de curiosité.

― Tes parents racontent à qui veut l'entendre que tu es partie vivre avec ta tante, mais je te connais suffisamment pour savoir que ce n'est pas vrai. Où vis-tu maintenant ? J'aimerais t'envoyer des lettres, mais je n'ai aucune adresse.

― Dans un monde opposé au nôtre.

Durant quelques secondes, il ne comprend pas mon allusion avant d'écarquiller et pousser un petit cri de surprise. Les sorciers quittent rarement le royaume pour se rendre auprès des humains qui ne connaissent rien de notre monde. Je commande un nouveau verre, la présence de mon vieil ami me donne une excuse pour consommer plus que de raison. Je veille néanmoins à ne pas trop boire pour ne pas finir complètement ivre.

― Qu'est-ce que tu fais ici ?

― Je suis nostalgique de mon ancienne vie, j'avais envie de passer.

Larris n'est pas dupe, il doit certainement savoir que je ne viens pas sans raison. Je ne peux pas lui révéler la vérité à mon grand regret. Je lui fais confiance, mais pas totalement, surtout pour un secret aussi énorme que celui-ci.

― Est-ce que tu ne viens pas te renseigner sur le grand bal de la semaine prochaine ?

― Un bal ?

J'ai entendu quelques personnes évoquer une grande soirée, mais ce n'est pas une chose rare alors je ne comprends pas toute cette excitation. Je croise les bras en attendant que Larris développe davantage.

― Ce n'est pas n'importe quel bal, Abby !

― Toutes ces soirées mondaines se ressemblent, un autre bal ne fait aucune différence. Ne me dit pas que tu deviens comme toutes ces personnes obsédées par les soirées luxueuses pour trouver le meilleur parti ?

Il éclate de rire, mais secoue la tête.

― Tu connais certainement la famille Cromwell, n'est-ce pas ?

― Oui de nom.

Je reste stoïque pour ne pas éveiller les soupçons.

― Autrefois, ils organisaient les plus belles soirées du royaume. Ils ont cessé de le faire lorsque les autres nobles ont décidé de leur tourner le dos à cause du scandale, mais dans une semaine ils ouvrent les portes de leur plus grande propriété et invitent tout le monde. Aucune caste sociale, même les plus pauvres sont invités.

― Les Cromwell ont perdu de la popularité, mais pas au point d'accueillir tout le royaume à une soirée ! N'est-ce pas étrange ce revirement de situation ?

Larris hausse les épaules.

― Je trouve au contraire que c'est une bonne idée. Un riche ne vaut pas mieux qu'un pauvre, on vit dans une société où la classe sociale a une énorme importance. Les pauvres sont limités dans leurs choix de vie contrairement aux riches qui ont le droit aux meilleurs.

― Les nobles n'accepteront jamais de se mêler à la pauvreté, ils vont trouver ça dégradant.

― Il est temps que les choses changent et je trouve que c'est un bon début. En tout cas moi je ne crache pas sur la nourriture gratuite et la compagnie des beaux hommes et belles femmes si tu vois ce que je veux dire.

Je fais semblant de me boucher les oreilles en prenant un visage dégoûté. Larris n'a jamais caché son orientation sexuelle et son envie de s'amuser. Il arrive que certaines personnes le traitent parce qu'il ne rentre pas dans le moule qu'impose notre société, mais il s'en moque. Mon ami prend mes mains dans les siennes en me souriant.

― Il faut absolument que tu viennes !

― Je ne suis pas certaine que cela soit une bonne idée que je croise mes parents et ma sœur. Nous ne sommes pas en très bons termes depuis mon départ et je crains qu'ils ne provoquent un scandale.

― Aucune obligation, mais c'est une occasion en or de t'amuser.
Larris est contraint de me laisser pour accueillir de nouvelles personnes à son grand regret. Il dépose un baiser sur ma joue avant de reprendre le travail. Je contemple le fond de mon verre puis décide de me lever en récupérant mon sac contenant les ingrédients dont j'ai besoin pour lever la malédiction. Je ne vais pas prendre le risque de boire autre chose sous peine d'être ivre et je n'ai pas envie de subir un interrogatoire de la part de Selina ou pire Azriel. Il s'inquiète énormément pour moi alors que sa situation est bien plus grave que la mienne.

Je quitte le club pour rejoindre le portail menant à ma véritable maison. Je ressens peut-être une certaine nostalgie en arpentant ces rues, mais mon coeur appartient désormais au monde des humains. Il y a encore des choses injustes, mais la vie est plus paisible et je suis libre d'être moi-même. Un sourire aux lèvres, je traverse le portail en laissant derrière moi un royaume aux allures parfaites camouflant des grands secrets.

***

L'appartement est plongé dans un grand silence lorsque je pousse la porte d'entrée. Azriel et Selina sont dans le salon et lèvent les yeux dans ma direction en me voyant sur le seuil. Il est un peu plus de quatre heures du matin, j'ai passé plus de temps que nécessaire auprès de mon ancien ami.

― Je sais, j'aurais dû rentrer plus tôt...

― Abby, il faut qu'on parle.

La voix du sorcier est plus sérieuse que d'habitude, ce qui provoque une petite angoisse. Je dépose le sac délicatement sur la table de la salle à manger puis m'avance vers eux. Une certaine tension règne et je n'ai aucune idée de la raison. Je me glisse dans le canapé à côté de Selina en croisant les bras. Sont-ils en colère contre moi ?

Je tente d'interroger ma meilleure amie du regard, mais elle se contente de détourner. Cela ne ressemble pas à Selina, il y a quelque chose qui cloche. Je remarque des feuilles sur la table basse ainsi qu'un petit carnet en cuir marron. Je n'ai pas souvenir d'avoir acheté un truc aussi peu pratique. Je me penche pour prendre les feuilles puis écarquille les yeux en reconnaissant l'écriture délicate de mon ancêtre, Agatha. Ce sont les pages manquantes !

― Où as-tu trouvé ça ?

― Je suis allé les récupérer.

J'écarquille les yeux, la terreur me submerge.

― Pardon ?

― Sous une autre apparence, je me rendu à Slonia pour récupérer les pages manquantes et au passage je suis tombé sur ça. En attendant ton retour, j'ai lu quelques pages afin de déceler de quoi il s'agissait.

― Tu es devenu complètement fou ? Et si tu avais repris ton apparence ? Et si on t'avait arrêté ?

Il se contente de sourire.

― Je suis plutôt discret et personne n'est parvenu à me rattraper.

― Cela reste inconscient et dangereux.

― Ça valait le coup.

Je lève les yeux au ciel parce que cette prise de risque est ridicule ! Un soupir s'échappe de mes lèvres tandis que je croise le regard de ma meilleure amie. Elle semble embarrassée et ne tente pas de cacher son implication dans les derniers événements. Je n'ose imaginer ce qui se serait produit si Azriel avait été découvert au sein du royaume. Nous ne faisons pas tous ces efforts pour rien.

― Les pages se trouvaient dans une boîte sous le lit de ta mère ainsi que ce carnet. Il contient des informations très intéressantes susceptibles de répondre à certaines questions.

― Je te suis reconnaissante de t'être donné autant de mal pour moi, mais tu n'avais pas besoin de faire tout ça.  Tu aurais pu détruire tous nos efforts pour te préserver du danger de Slonia.

Azriel m'observe longuement.

― Cela fait des semaines que tu m'apportes ton aide pour lever la malédiction et trouver le coupable de ma condamnation alors il était temps que je fasse quelque chose. Les racines familiales sont importantes et tu as besoin de comprendre le passé.

― Je...

Je me contente de hoche la tête sans rien dire de plus. J'aurais aimé être au courant de cette expédition pour donner mon avis, mais le connaissant il ne m'aurait certainement pas écouté. Cette soirée est de plus en plus étrange, je sens qu'il s'est passé quelque chose de plus. Je me penche pour prendre le carnet découvert dans la boîte cachée de ma mère afin de débuter ma lecture sous les regards curieux du sorcier et de ma meilleure amie.

Chère Agatha
Je commence ce journal quelques jours après ta venue au monde afin de ne rien oublier. J'espère que tu es devenue une jeune femme courageuse, bienveillante et aussi belle que je ne l'imagine. Tu te poses certainement un grand nombre de questions sur tes racines et les raisons pour lesquelles nous vivons dans un endroit aussi éloigné de la capitale. Pour être tout à fait franche, j'essaie d'échapper à mon passé et te protéger des éventuels dangers. J'ai grandi au milieu d'un foyer toxique avec un père me détestant plus que tout au monde. Je souhaite te livre mon histoire pour que tu puisses mieux me comprendre. Mes décisions ne sont plus les plus logiques, mais ta protection est l'unique chose dont je me préoccupe.
Je suis désolée de ne pas être la mère que tu mérites, tu dors dans ton berceau sans pleurer. Tu es parfaite et un jour viendra où tu comprendras toutes les raisons qui m'ont poussé à faire ces choix.
Serena.

Je tourne la page, avide d'en découvrir davantage. Ce journal appartenait à la mère d'Agatha, une femme cruelle ne se préoccupant que de son bien-être pourtant elle me semble bien différente à travers ces lignes. Je pince mes lèvres en poursuivant ma lecture. Que s'est-il passé pour qu'elle devienne une horrible personne ?

Mon père méprisait le sexe faible alors lorsque je suis née en tant que femme, il ne l'a pas supporté. Il attendait un fils et considérait injuste que mon frère jumeau soit mort quelques minutes seulement après sa venue au monde et pas moi. Je n'ai jamais reçu la moindre once de gentillesse de sa part ou un compliment. J'ai toujours été le mouton de notre famille. Je n'étais pas assez jolie, intelligente, douée dans quoi que ce soit. Non, j'étais trop différente pour qu'il daigne s'intéresser à moi. Mes sœurs avaient le droit à de somptueuses toilettes, des bijoux hors de prix, des réceptions grandioses alors que je vivais dans l'ombre. Agathe est la seule à m'avoir accordé de l'attention en veillant à ce que Père ne la voit pas. Elle m'offrait toujours des livres et des carnets pour que je puisse écrire.
Nous avions beaucoup d'argent et une certaine popularité au sein du royaume. Agathe a rapidement trouvé un époux et j'ai perdu l'unique personne gentille à mon égard. Père devenait de plus en plus mauvais à mesure que mes sœurs se mariaient. Je n'avais reçu aucune demande alors cela le rendait fou. Ma beauté n'intéressait pas les nobles, je n'avais pas la popularité de mes sœurs.
Il m'arrivait de passer de longues heures en ville pour échapper aux hurlements de Père lorsqu'il s'énervait contre Mère. Je ne souhaite pas que tu connaisses une telle violence alors je ne regrette pas ma décision d'avoir abandonné le confort pour t'élever dans l'amour et le respect.

Les pages se succèdent à toute vitesse, elles évoquent la douleur de vivre dans un foyer sans amour et de craindre chaque verre consommé par un père violent. Serena s'enferme dans son propre monde imaginaire en lisant sous un arbre toute la journée ou se promenant dans les rues de Slonia. Elle évoque également Agatha à quel point elle l'aime et voudrait lui offrir une vie meilleure.

Lors d'une nouvelle balade sous un ciel parsemé de nuages menaçants, j'ai fait la rencontre d'un homme charmant. Il était différent des prétendants qu'on m'obligeait à rencontrer pour une union. Sa beauté est indescriptible, rien ne peut décrire un homme parfait. Il venait d'une terre lointaine et demandait son chemin pour se rendre au château, je savais que cela faisait de lui quelqu'un de spécial. On ne peut demander une entrevue avec les souverains sans avoir une bonne raison et un statut social plus haut que la normale.
Cette brève rencontre m'a énormément chamboulée, il représentait tout ce que je voulais. Je suis retournée plusieurs fois à la capitale dans l'espoir de le revoir. Malheureusement, je revenais à la maison avec une humeur encore plus sombre. Père évoquait de plus en plus le mariage et se moquait désormais que mon époux soit jeune ou vieux. Il m'a donné une liste sur laquelle était notée des noms importants de la haute société et la plupart de ces hommes étaient veufs. Je n'avais aucune envie de me retrouver dans un mariage sans amour comme celui de mes parents, mais face à mon père je n'avais pas d'autre choix.
Perdue dans ma lecture dans un parc, je n'avais pas remarqué que le magnifique homme de l'autre fois. Il portait une tenue similaire aux autres hommes de Slonia à la grande différence que cela lui allait beaucoup mieux.
Ma tendre Agatha, j'espère que tu ne feras pas la même erreur que moi de tomber amoureuse d'un inconnu surtout lorsqu'il est question d'une autre espèce...

Mes mains tremblent légèrement lorsque je tourne une nouvelle page. Cette histoire est de plus en plus complexe que j'ai beaucoup de mal à comprendre. Serena provenait d'une famille influente dont elle tait le monde et pourtant Agatha est une Howler, la première. La vérité est-elle si horrible pour être camouflée à ce point ?

Cet homme s'appelait Asteli, il était un Nymphe. Cette espèce a la capacité d'avoir un pouvoir de charme et de beauté suffisamment puissants pour envoûter n'importe qui. Je ne suis pas tombée amoureuse de lui à cause de sa nature, mais pour ce qu'il était au fond de lui. Nous passions des heures à discuter de nos vies respectives, il venait d'une famille aisée en tant qu'émissaire royal. Cela expliquait la raison pour laquelle un Nymphe se trouvait sur les terres de Slonia.
Nous passions des heures à discuter lors de nos promenades quotidiennes et je me montrais très prudente. Le projet de mon père pour me trouver un époux devenait une véritable obsession, je rencontrais un grand nombre de prétendants. Ils étaient tous répugnants et je me sentais comme une marionnette pas libre de ses mouvements. Chaque minute passée avec Asteli était un cadeau, je savourais ces heures comme quelque chose de précieux. Ma mère se doutait de quelque chose, mais elle n'a jamais prévenu mon père.
Les choses se sont compliquées lorsque des sentiments plus qu'amicaux ont vu le jour. Notre relation était devenue bien plus intime, ce qui était interdit. Les relations entre différentes créatures étant interdites, nous n'avions pas le droit de nous fréquenter autrement. Notre imprudence a conduit Asteli à la peine capitale dans son royaume. Quelqu'un avait dénoncé son comportement sans révéler mon identité. J'ai perdu l'amour de ma vie et mon âme s'est envolée. Lorsque j'ai découvert attendre un enfant, ma vie s'est illuminée pour la seconde fois. Je savais que mon père n'accepterait jamais alors je me suis enfuie de la maison en emportant un peu d'argent afin de survivre un moment.
Je me suis installée dans cette vieille maison abandonnée afin de trouver la paix intérieure avec mon enfant. J'ai demandé de nouveaux papiers d'identité pour échapper à ma famille. Ils m'ont longuement cherché avant d'abandonner. Agatha, je donnerai ma vie pour sauver la tienne. J'ai l'espoir que tu puisses vivre une vie tranquille malgré les circonstances de ta naissance.
Avec tout mon amour, maman.

Les autres pages évoluent de plus en plus vers la folie, ce qui me laisse croire que Serena était gravement malade. Elle s'attaquait à sa fille à cause de la maladie et non parce qu'elle la méprisait. J'ai les larmes aux yeux lorsque je vois les dernières pages constituées de symboles et de phrases incompréhensibles. Cette femme tenait plus que tout à sa fille, mais à cause du manque de soin la maladie l'a transformé en un monstre qu'elle n'était pas.

― Agatha est la fameuse hybride, n'est-ce pas ?

― Sans aucun doute.

Je soupire en refermant le journal de cette pauvre femme dont la vie n'a pas fait de cadeau. Cela explique la raison pour laquelle Agatha a vécu cachée toute sa vie. Si quelqu'un découvrait la nature de la jeune femme elle les condamneraient à une morte certaine. Je n'imagine pas la crainte de vivre de cette façon dans la peur constante. L'amant de Serena a trouvé la mort abandonnant son enfant et la femme qu'il aimait.

― C'est une histoire tragique...

― Ta famille est de loin plus complexe que je ne l'imaginais, ajoute Selina.

Mes pensées sont trop embrouillées pour que je parvienne à répondre. Cela fait beaucoup d'informations à digérer et à remettre en place. Je passe une main sur mon visage avant de me lever pour prendre un peu l'air.

― Nous sommes toujours coincés pour la potion, Agatha est morte il y a bien longtemps !

― En tant que descendante, il reste une trace de ce rang social malgré son union avec un sorcier. Ton don d'apaiser tout le monde ou de charmer les mauvaises clientes provient des Nymphes ! s'exclame Selina.

Je passe une main nerveuse dans mes cheveux.

― Nous ne savons pas si c'est suffisant.

― Le mieux est de tenter le coup.

Il reste encore des zones d'ombres autour de la vie de mon ancêtre, mais il est temps de lancer ce sortilège pour lever la malédiction de minuit. Selina s'empresse de déposer mon petit chaudron sur la table de la salle à manger afin de me laisser commencer la mixture. Il ne me reste pas beaucoup de temps pour essayer avant le lever du jour. J'aligne les flacons contenant chaque ingrédient, il ne manque que mes larmes. J'ignore si cela sera suffisant pour parvenir à lever un sortilège aussi puissant. Azriel m'explique ce que je dois faire en prenant compte des indications d'Astra.

J'ajoute l'écaille à ma préparation en récitant les premiers mots de mon sortilège. J'ignore à quoi ressemblaient les mots de la sorcière Eastwood, mais je vais faire à ma façon en croisant les doigts pour que cela fonctionne.

― Avec cette écaille, je te demande d'écouter ma requête.

L'écaille disparaît au fond du chaudron créant des étincelles dorées. J'ajoute ensuite le morceau d'aile avec une pince pour ne pas l'abîmer. Les ailes de fées sont très sensibles et se cassent facilement. Il faut faire preuve de délicatesse.

― Avec cette aile, je te demande d'emporter la malédiction au ciel.

Elle tombe dans le chaudron à son tour, créant des étincelles roses au passage. Azriel me tient par les épaules pour me soutenir à chaque étape, sa présence me rassure et me déstabilise en même temps.

― Avec ce sang, je te demande d'entendre mon appel.

Le liquide rouge s'ajoute à la mixture dégageant une odeur nauséabonde. Mes mains tremblent légèrement, mais je reste concentrée. Il ne reste qu'un seul ingrédient qui scellera le sortilège. Je me penche pour faire glisser mes larmes à l'intérieur. Une teinte verte s'élève du chaudron.

― Avec ces larmes, je te demande de libérer le chat de minuit.

Le chaudron se met à violemment trembler avant de nous propulser Azriel et moi contre la bibliothèque du salon. Il me faut quelques minutes pour reprendre connaissance, le sorcier me soulève délicatement en grimaçant.

― Je crois que c'est un échec... avoué-je.

Les premiers rayons du soleil apparaissent dans le ciel et mon cœur se met à battre de plus en plus vite. Le corps d'Azriel se met à émettre une lumière bleutée si lumineuse que je suis contrainte de fermer les yeux. Le sorcier tourne sur lui-même avant de pousser un hurlement strident. Son apparence reprend celle d'un chat avant de redevenir humain à plusieurs reprises. Selina me pousse à reculer pour ne pas être touchée par cette étrange lueur émanant du sorcier. Il se tord de douleur avant de tomber à genoux.

Je m'empresse de le rejoindre et m'assurer qu'il n'est pas blessé. Le sorcier fixe ses mains en respirant difficilement. Il croise mon regard puis m'enlace contre lui, ce contact me fait frissonner mais je ne le repousse pas.

― Tu as réussi ! s'exclame-t-il.

― Comment peux-tu le savoir ?

― Le soleil est levé et je suis toujours moi.

Il prend mon visage entre ses mains avant de déposer un baiser sur mes lèvres. Je passe une main dans ses cheveux, ne souhaitant pas briser ce moment de bonheur. La malédiction est levée, Azriel est libre.

10.04.2024

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