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AZRIEL
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― Je ne suis toujours pas convaincue que cela soit une bonne idée de retourner au royaume dans le dos d'Abby. Elle risque d'être très en colère et je n'imagine pas les conséquences si les effets de la potion s'estompent plus rapidement que prévu.

Selina contemple la fiole contenant la potion capable de me faire changer de forme pour quelques heures. Je peux difficilement me promener au sein du royaume avec ma véritable apparence. Je me rapproche d'elle afin d'effacer ses craintes. J'ai préféré ne pas informer Abby sur mes intentions pour ne pas l'entendre me sermonner. Elle souhaite récupérer ces pages plus que tout au monde alors je peux bien faire ça pour elle.

― Tout se passera bien, je n'en aurais pas pour longtemps.

― Cela reste dangereux.

― J'en ai conscience, mais vous ne devez pas être les seules à prendre des risques pour moi. Je tiens à vous apporter mon aide et Abby a besoin de comprendre son histoire familiale. Notre rencontre n'est pas une coïncidence.

J'avale d'une traite la potion sous le regard inquiet de la fée. Les effets sont immédiats, mes cheveux prennent une teinte foncée, ma peau devient plus pâle tandis qu'une fine barbe apparaît sur mon menton. Je contemple mon reflet dans le miroir avec surprise, il n'y a plus la moindre ressemblance avec ce que je suis réellement.

― Je ne serais pas long, c'est promis.

― Tu te souviens de mes indications ?

Je hoche la tête. J'ai également une carte plus moderne du royaume pour me guider à travers les rues et me rendre jusque la maison de la rouquine. Le portail apparaît dans mon dos, il n'y a pas une seconde à perdre pour revenir avant que les effets de la potion s'estompent. Selina me souhaite bonne chance avant que je ne disparaisse dans le portail. J'éprouve un mélange d'excitation et de crainte.

Quelques passants profitent de la nuit pour se balader et accordent peu d'importance à mon arrivée. Je sors la carte de ma poche afin de trouver le bon quartier. Je lève les yeux vers le ciel avec un sourire. J'avais oublié la sensation incroyable de marcher sous les étoiles étincelantes du royaume. Je n'avais pas conscience à quel point cela me manquait. Ce n'est que temporaire, je ne peux m'attarder dans mon pays natal.

Je prends quelques minutes pour lire le plan et voir le quartier entouré par Selina. Ce n'est toujours pas le plus populaire malgré les années s'étant écoulées. Il y avait une très bonne taverne dans laquelle je me rendais de temps en temps pour échapper à mon père et ses remarques désagréables. Des souvenirs surviennent dans mon esprit, je rentrais tard la nuit à chuchoter des mots doux à une jolie fille. Une relation sans lendemain, je voulais juste m'amuser quelques heures et oublier la pression familiale. Une phase rebelle que mes parents n'acceptaient pas. William me demandait de faire attention à ne pas me retrouver père trop jeune si je voulais vraiment avoir un mariage d'amour.

Il me faut quelques minutes pour plonger dans le quartier plus sombre en regardant chaque maison avec le plus grand soin. Je n'ai aucune garantie que les parents d'Abby soient absents, mais j'ai bon espoir que cela soit le cas. Je m'avance encore lorsque je repère le numéro indiqué par Selina. La maison est simple en apparence, elle ne ressemble en rien à ce que j'ai connu. Nos vies sont opposées, j'ai connu la richesse pendant que Abby grandissant dans un milieu beaucoup plus modeste. Le fossé entre nos deux mondes est encore plus flagrant aujourd'hui. Les Howler ont toujours vécu dans l'ombre pendant que d'autres familles vivent sous la lumière.

Aucun véhicule ne semble présent, ce qui me rassure. Je me rapproche des plantations puis tâtonne à la recherche de la fausse fleur sur laquelle se trouve la clé, une technique intelligente. Je tombe sur la bonne puis la soulève afin de prendre ce dont j'ai besoin. Une fois certain de ne laisser aucune trace de mon passage, j'insère la clé dans la serrure. Il n'y a pas de domestiques, les Howler n'ont pas les moyens. Je pousse délicatement la porte pour entrer tout en m'assurant que personne n'est présent. Toutes les lumières sont éteintes et pas un bruit ne vient rompre le silence.

Je pénètre à l'intérieur en veillant à rester discret. Les voisins pourraient facilement remarquer que quelque chose ne va pas et je n'ai aucune envie de faire face aux gardes royaux. Je marche le long du couloir, chaque pièce semble être séparée par des portes. La première à ma gauche est un salon dans lequel se trouve un certain nombre de livres. Je fabrique une petite boule de lumière pour pouvoir débuter mes recherches.

Je soulève chaque roman avec soin, mais aucune trace des pages arrachées. Cela aurait été trop simple de tomber directement dessus. Je quitte le salon pour aller dans la pièce en face, c'est la salle à manger. Elle comporte un grand nombre de tableaux imposants et une odeur de poussière désagréable. Je mène directement l'enquête dans cette vaste pièce, mais je ne trouve rien d'autre que des factures. Selina m'a vaguement parlé de la condition familiale d'Abby. Ils vivaient plus confortablement avant que le père de famille ne dépense des sommes monstrueuses pour une autre femme. C'est la tante de celle-ci qui a accepté de les héberger avant de déménager à son tour pour avoir de l'intimité.

Je continue d'avancer pour atteindre une petite cuisine confortable avec tout le nécessaire. J'ai envie de ne pas m'attarder, mais il ne faut rien négliger. Je fouille dans les tiroirs, les livres de cuisine sans rien trouver d'intéressant. Selina m'a conseillé d'aller dans la bibliothèque, c'est la pièce favorite de la mère alors il est possible que les pages se trouvent là-bas. Je quitte la cuisine puis retourne dans le couloir à la recherche de la bibliothèque.

La bibliothèque est la seule pièce dégageant un minimum de vie. La collection est impressionnante, j'aurais aimé pouvoir parcourir les ouvrages en profondeur, malheureusement mon temps est compté. Je me mets à la recherche des pages manquantes en vain. Il n'y a rien d'autre que du courrier destiné à une certaine Maera Howler. Je soupire en sortant de la pièce, la mission est plus périlleuse que je ne le croyais. L'heure tourne et la potion ne fera pas effet indéfiniment. Je décide de monter à l'étage pour explorer les chambres. J'ai la crainte que la mère de famille ait décidé de les emporter avec elle, mais Selina m'a affirmé qu'elle n'était pas aussi intelligente.

Je monte le grand escalier menant à l'étage supérieur avec une certaine appréhension. Les marches grincent à mon passage, mais ce n'est pas un problème dans la mesure où je suis seul. Je me retrouve de nouveau à un couloir menant à quatre portes différentes. La première est une chambre très élégante avec un lit à baldaquin. La décoration est peut-être excessive, je ne parle même pas de la penderie contenant un grand nombre de robes. Je m'approche de la coiffeuse sur laquelle se trouve un grand nombre de produits de beauté. Il y a quelques lettres traînant sur la commode, je ne lis pas le contenu car cela ne me regarde pas, mais je suppose qu'il est question de mariage arrangé. Cette chambre appartient sans aucun doute à la sœur d'Abby qui ne semble en rien ressembler à la jolie rousse.

Je quitte cette première chambre pour me rendre dans la seconde. Un A est collé sur la porte dans une couleur dorée. Je pousse la porte pour entrer puis découvre une chambre non rangée dans laquelle des affaires traînent encore sur le sol. Elle sent encore le parfum de la sorcière, mais moins fort. Le lit est en désordre avec des vêtements traînant sur une chaise de bureau. Une dizaine de lettres encore fermées attendent sur son bureau. Des flacons dans lesquelles se trouvent diverses plantes attirent mon attention. Cela me rappelle mes propres expériences remontant à bien longtemps.

Je ramasse un livre abandonné sur la table de chevet lorsqu'une feuille s'envole. Je m'empresse de la ramasser, mais mon regard s'attarde sur certains mots. C'est un courrier personnel qu'elle ne voudrait certainement pas que je lise. Ma curiosité prend le dessus à mon grand regret.

Chère Abby,
Je ne suis pas à l'aise pour parler de sentiments alors j'écris ces mots. Tu es de loin la jeune femme la plus intelligente que je connaisse, tu as toujours ce sourire et cette lueur au fond des yeux lorsqu'une idée te vient à l'esprit. Nous nous connaissons depuis des années et pourtant je n'ai jamais eu le courage de t'avouer mes sentiments. J'avais la crainte que cela ne change notre relation et que tu me repousses.
Aujourd'hui, je suis prêt à te dire toute la vérité. J'aimerais que tu puisses me regarder comme je te vois. J'ai cueilli cette fleur pour toi, elle me rappelle le parfum que tu portes toujours.
Elwin.

Déstabilisé, je remets la lettre à sa place en poursuivant mes recherches. J'ouvre le premier tiroir de la commode en bois blanc et découvre une dizaine de lettres provenant de ce même garçon. Celle en haut du paquet est la plus abîmée, elle comporte des traces de larmes. Je ne devrais pas lire son contenu, mais c'est plus fort que moi. Ce sont des éléments du passé qui ne me concerne en rien et pourtant j'ai besoin de découvrir ces moments de la vie d'Abby.

Chère Abby,
Nous échangeons des lettres depuis si longtemps qu'il m'arrive d'oublier que certaines peuvent annoncer de mauvaises choses. Je suis sincèrement désolé que tu aies découvert mes fiançailles de cette façon, je ne voulais pas te faire de mal. Cette décision me fait tout autant mal que toi, mais Père a besoin de l'argent que propose cette famille. Tu es une femme merveilleuse qui trouvera la bonne personne même si cela me brise de l'intérieur de savoir qu'il ne s'agira pas de moi.
Je ne te demande pas de me pardonner, c'est une chose inexcusable et impardonnable. J'aimerais te rappeler une dernière fois que tu es la personne la plus incroyable de ma vie, tu as été mon soleil pendant ces dix dernières années. Je t'ai longuement aimé en secret avant de parvenir à libérer mes sentiments.
Je t'aimerai toujours.
Elwin.

Cela explique la raison pour laquelle Abby accorde peu sa confiance en amour. Ce garçon semble le seul de sa vie à avoir eu de l'importance et il n'a pas hésité à lui tourner le dos pour une question d'argent. Je range la lettre à sa place, confus par ma lecture. Elle éprouve des choses pour moi, mais nous savons tous les deux que mes sentiments pour Astra ne peuvent disparaître en quelques semaines. Je ressens une grande attirance pour cette femme brillante, mais j'ai besoin de temps pour effacer la douleur de mon étrange passé.

Je lance un dernier regard à la chambre de la sorcière avant de sortir. Il me reste deux pièces pour trouver les pages arrachées. Je regarde l'heure sur la montre donnée par Selina, il reste suffisamment de temps avant que l'enchantement ne cesse. Je m'avance vers la troisième porte qui est une autre chambre, mais dans des allures plus sombres et impersonnelles. Il y a des touches de rouge un peu partout. Les meubles sont en bois sombre y compris le grand lit à baldaquin.

Mon esprit se concentre de nouveau sur la raison de ma présence : les pages arrachées. Je fouille chaque recoin de la pièce avec attention en espérant trouver ce dont j'ai besoin. Malheureusement, je ne trouve rien d'intéressant. La mère de mon amie semble être plus intelligente que je ne le croyais. Je soupire et peste contre moi-même lorsque la carte de la ville confiée par Selina s'échappe de ma poche pour tomber sur la moquette. Je me penche pour la ramasser lorsque je remarque une grande boîte camouflée sous le lit. Curieux, je tends la main pour la prendre.

Je soulève le couvercle puis découvre un grand nombre de choses à l'intérieur. Il y a de vieilles photographies, des lettres, un carnet en cuir très ancien ainsi que les fameuses pages arrachées ! Cette mission est un véritable succès ! Je les glisse dans ma poche ainsi que le carnet pour le montrer à Abby. Je remets la boîte à sa place puis m'apprête à sortir de la chambre lorsque des éclats de voix attirent mon attention.
― Merci de m'avoir raccompagné, cette soirée était insupportable.

― Je suis navrée que ton prétendant ne se soit pas présenté.

― C'est un affreux personnage bien grossier !

Je ne bouge plus par crainte que mes pas soient entendus par les deux nouvelles arrivantes. Il y avait un risque que les propriétaires de cette maison reviennent, mais je m'attendais à être loin. Comment vais-je faire pour sortir ? Je peux difficilement passer par la porte d'entrée comme si de rien n'était. Mon unique solution est d'escalader pour descendre, mais je ne suis pas un grand sportif alors je crains de me blesser.

― Père risque de s'énerver contre moi.

― Ma chérie, c'est moi qui décide avant tout.

Je me faufile discrètement dans la chambre d'Abby afin de sortir par la fenêtre. Qui aurait cru que je me retrouverais dans une telle situation ? Le moindre faux pas pourrait attirer l'attention sur moi et ce n'est pas ce dont j'ai besoin. Le parquet grince sous mon poids, je ne cesse de regarder derrière moi avec la crainte de voir surgir quelqu'un. J'ouvre difficilement la fenêtre, l'humidité empêche une ouverture facile. Le bruit est tout aussi insupportable et ne manque pas d'attirer l'attention. Plus une seconde à perdre, je m'accroche aux longues herbes montantes afin de descendre.

― Maman ! hurle une voix.

J'arrive à descendre avec une certaine hésitation et je me mets à courir loin de cette maison en serrant contre moi les précieux trésors emportés de mon escapade interdite.

08.04.2024