🌙 15. Le temps d'un baiser 🌙
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ABBY
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Je dépose une nouvelle commande sur la table avant de retourner en cuisine pour poursuivre les autres commandes. Le salon est rempli aujourd'hui, je n'ai pas une seconde pour souffler. Il faut croire que la publicité fonctionne et cela fait plaisir de voir autant de nouvelles personnes. Selina et moi testons de nouvelles recettes afin d'attirer une nouvelle clientèle. Ma meilleure amie me lance un grand sourire en prenant les commandes. Travailler m'aide à ne pas songer à la situation catastrophique entre Azriel et moi. Nous avons échangé peu de mots depuis notre baiser. Il se renferme beaucoup sur lui-même et je ne peux pas lui en vouloir. Je n'imagine pas douleur que cela représente de retrouver les souvenirs d'une femme qui est morte depuis tant d'années. Je ne sais pas où nous en sommes et il n'est pas question de le déranger.
C'est la raison pour laquelle je travaille en secret sur des recherches approfondies sur Astra Eastwood. Une femme captivante avec une réputation parfaite. Elle s'est mariée et a eu trois enfants avant de mourir d'une forte fièvre. J'ai demandé à mon contact de me donner des informations sur cette femme. Son nom était souvent évoqué dans les journaux de l'époque, elle était la première à reprendre le flambeau et devenir une représentante. Je n'imagine pas vivre une telle pression.
― Je peux officiellement dire que le lancement de notre nouvelle gamme est un succès.
Perdue dans mes pensées, je n'écoute que d'une oreille ce que me raconte Selina. Elle est la plus investie lorsqu'il est question du salon de thé, j'en ai conscience. Je suis fatiguée ces derniers temps parce que mes pensées refusent de me laisser en paix. Cela fait une semaine que je fais des recherches sur la vie de la sorcière. Cette famille est importante et très influente encore aujourd'hui. Je ne compte pas le nombre de journaux parlant d'eux. Les cérémonies, les mariages, les naissances... Les Eastwood sont suffisamment populaires pour qu'on parle encore d'eux à travers le temps.
― Abby ? Tout va bien ?
― Excuse-moi, je suis distraite.
Mon amie sourit.
― Est-ce que c'est à cause de ce qui se passe avec tu sais qui ?
― Oui...
Nous évitons de prononcer son prénom dans les lieux publics par crainte que des sorciers soient dans les parages. Depuis le passage de ma mère, je ne cesse de me montrer paranoïaque par crainte qu'elle ne fasse de nouveau irruption.
― Cette femme avait absolument tout pour être heureuse et pourtant elle s'est précipitée vers un autre homme. Une relation que personne ne connaît en dehors de deux personnes concernées et nous-mêmes.
― Est-ce que tu fais toutes ces recherches sur cette femme pour échapper à une discussion sérieuse avec lui ? Je te connais suffisamment pour savoir que tu n'embrasses pas le premier venu et sans éprouver un minimum quelque chose.
Je rougis.
― Je ne ressens absolument rien pour lui ! Nous nous connaissons à peine et il est impossible de tomber amoureuse d'un inconnu, tes propos sont ridicules.
― Abby, cesse de te faire du mal et brise la glace avec lui. C'est une situation très délicate, mais une conversation à cœur ouvert permettrait de faire le point. Il n'est pas le seul à souffrir de ces souvenirs, tu as le droit de le questionner et avoir des réponses sincères.
Ma meilleure amie me lance un sourire avant de retourner dans la salle pour accueillir les nouveaux arrivants. Je prends une grande inspiration en me collant contre le mur, le cœur battant la chamade. Est-ce que j'ai pu développer des sentiments pour Azriel ? Cela fait peu de temps que nous nous connaissons et je ne suis pas une grande romantique. Peut-on vraiment s'attacher à une personne en si peu de temps ?
Mon premier et unique amour ne ressemblait en rien à la passion entre Azriel et Astra. Il n'était pas question de relation interdite, mais une petite romance d'adolescents tout à fait ordinaire. Je ne peux m'empêcher de me comparer à cette femme. Elle est mon opposée et représente tout ce que les hommes apprécient. Je me sens idiote d'éprouver de la jalousie pour une femme morte bien avant ma naissance ! Un soupir s'échappe de mes lèvres tandis que les images d'Astra Eastwood flottent dans mon esprit. Elle avait de l'importance et de l'influence alors que je ne suis qu'une sorcière recluse dans le monde des humains. Mon image de sauveuse s'effacera forcément de la mémoire du sorcier et je ne serais qu'une femme pathétique.
Je soupire puis retourne à mon poste, ce n'est pas le moment de laisser ces obscures pensées gâcher ma journée. La salle est toujours bondée de monde, mais cela n'empêche pas une femme de s'avancer vers moi en fronçant les sourcils.
― Vous tombez bien !
― Puis-je vous aider, madame ?
Elle prend un air supérieur en me regardant droit dans les yeux. Rencontrer de mauvaises personnes n'est pas rare et il semblerait que cette bonne femme appartienne à cette catégorie pour mon plus grand malheur.
― Cela fait dix minutes que nous attendons une table, mais votre collègue ne souhaite visiblement pas m'en donner. N'ai-je pas le droit de prendre le thé avec ma petite fille pour son anniversaire ?
― Je suis sincèrement désolée, nous faisons de notre mieux pour satisfaire notre clientèle.
― C'est inadmissible de devoir attendre pour une malheureuse table !
Je prends une grande inspiration pour retrouver mon calme et ne pas m'énerver. Ce n'est qu'une simple cliente impolie, il n'est pas question de faire un scandale. Mon regard rencontre celui de la femme, une vague de sérénité m'enveloppe tandis que la vieille dame change radicalement de comportement. Ses yeux deviennent plus amicaux et un petit sourire étire ses lèvres.
― Nous allons attendre qu'une table se libère, je suis désolée pour mon manque de respect.
Elle s'éloigne en tenant la main de sa petite fille sous mon regard curieux. Que vient-il de se passer ? Je n'ai pourtant pas utilisé la moindre magie pour apaiser les tourments de cette dame alors comment a-t-elle pu changer d'avis aussi rapidement ? Je remarque une légère lueur verte autour de mes mains, ce qui me pousse à rejoindre la cuisine le plus rapidement possible.
Je vacille en me tenant contre le mur pour la seconde fois de la journée. Pourquoi les choses deviennent-elles de plus en plus étranges ces derniers temps ? Je continue de fixer mes mains en espérant me tromper. La lumière s'estompe peu à peu, mais elle reste trop présente pour que je ne retourne dans le salon afin d'aider ma meilleure amie. Cette sensation de calme ressemble à mon don secret. Il ne me semble pas l'avoir invoqué pourtant alors pourquoi ai-je ce même sentiment ?
― Abby ?
― Je ne me sens pas très bien...
― Rentre à la maison, je m'occupe du salon.
Je secoue la tête.
― Je ne peux pas te laisser toute seule.
― Tu passes presque chaque nuit à veiller pour faire des recherches alors file te reposer. Je ne veux pas que tu tombes dans les pommes.
― D'accord...
***
Recroquevillée dans mon lit, je ne parviens pas à trouver le sommeil. Des mauvaises pensées parasitent mon esprit. Je n'ai pas quitté ma chambre depuis mon retour, Azriel ne m'a pas accordé le moindre regard. J'éprouve des sentiments contradictoires, mais quelque chose domine le reste : la colère.
Il est plus de minuit, ce qui veut dire que le sorcier est revenu dans la peau d'un humain. Je repousse ma couette afin de me lever. Autant faire quelque chose de productif au lieu de fixer mon plafond à attendre que le temps passe. J'enfile mon gilet le plus confortable puis quitte ma chambre. La lumière du salon est allumée, Azriel est plongé dans la lecture d'un article de journal et ne me remarque pas. Je me rends dans la cuisine pour manger un morceau, Selina a bien tenté de me faire sortir de ma tanière en vain. Les événements de la journée n'ont cessé de tourner dans ma tête.
― Ils disent qu'elle est morte d'une forte fièvre.
Ce sont les premiers mots qui m'adressent depuis notre baiser, ce qui ne fait que renforcer mon mal-être. Je dépose mon assiette sur le plan de travail en soupirant, je m'attendais à une conversation plus profonde et certainement pas sur Astra Eastwood.
― Oui, les articles le confirment.
― Pourquoi ai-je le sentiment que c'est faux ?
Il lève les yeux dans ma direction. Son regard me déstabilise une fois de plus, mais je ne laisse pas mes émotions me dominer. Nous n'avons pas eu de conversation au sujet des derniers événements et il est temps de les évoquer. Je soupire en m'installant à côté de lui. Les battements de mon cœur s'accélèrent à cause de notre proximité, mais je garde une expression neutre.
― Il faut que nous parlions, Azriel.
― C'est ce que nous faisons déjà ?
Je mords ma lèvre en secouant la tête.
― Ce n'est peut-être pas le bon moment surtout après avoir retrouver des souvenirs aussi... intimes, mais je ne peux plus continuer comme ça. Nous nous sommes embrassés et je ne suis pas le genre de femme à craquer sur le premier homme qu'elle croise.
― Je...
― Je suis peut-être naïve de croire qu'un sorcier provenant d'une grande famille puisse s'intéresser à une femme venant de quartiers plus pauvres. J'ai eu tort de croire à une connexion entre nous et d'apprécier ces moments ensemble.
― Abby...
― Astra Eastwood était une femme merveilleuse je n'en doute pas une seconde, mais je refuse de devenir une remplaçante. Ta souffrance est immense, je peux la ressentir et la voir à tes yeux et je ne peux plus faire semblant que cela ne me touche pas.
― Je jure de ne pas jouer avec tes sentiments, Abby.
― Tu dois tourner la page avant de t'engager auprès d'une autre personne. Nous devons retrouver une relation amicale et rien d'autre. Je ne veux pas souffrir une seconde fois et laisser un homme me détruire.
Il baisse les yeux.
― Je comprends.
― Bien.
Nous nous regardons durant de longues minutes avant qu'Azriel ne se lève précipitamment pour déposer un baiser sur mes lèvres. Je devrais le repousser surtout après mon discours sur l'importance de tourner la page, mais j'en suis incapable. Des larmes se mêlent à notre baiser le rendant encore plus tragique. Il enroule son bras autour de ma taille pour me tirer davantage contre lui.
― Je suis désolé pour tout ce que tu traverses à cause de moi...
Il pose sa tête contre mon front.
― Je promets de devenir l'homme que tu mérites, Abigail.
― Ne le fais pas pour moi, mais pour toi-même.
Je me détache de lui en retenant mes larmes. Aucune relation n'est possible tant que toutes les pièces de son passé ne seront pas rassemblées. Il a besoin de connaître la vérité pour pouvoir se détacher et construire un avenir. Je n'ai jamais ressenti quelque chose de si fort pour qui que ce soit, mais il faut que j'accepte de laisser Azriel s'approprier sa propre histoire.
01.04.2024
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