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AZRIEL
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Le désir. Je reconnais ce sentiment bien que je ne sois pas certain de le comprendre, cela me semble à la fois curieux et familier. Une part de moi voulait découvrir le goût de ses lèvres contre les miennes et laisser mon désir pour cette jeune femme me consumer de l'intérieur. Nous nous connaissons à peine et pourtant je sens un lien étrange. Elle est différente des autres femmes, je perçois une chose indescriptible.

Plongée dans la lecture d'une nouvelle page du journal, la rousse m'accorde peu d'importance. Elle est avide de découvrir la vérité sur cette Agatha Howler, je le serais aussi à sa place. Une famille n'est-elle pas supposée se soutenir au lieu de cacher des informations sur une ancêtre ? Je me redresse afin de m'étirer et de prendre une pause. Il ne me reste qu'une trentaine de minutes avant de redevenir un chat. Je profite de chaque seconde dans ma peau véritable.

— Avez-vous trouvé d'autres informations ?

— Pour le moment, elle n'est pas retournée à la capitale. Il est question de communication difficile avec sa mère et de plantations dans le jardin. Je ne suis pas certaine que cela nous apportera grand chose.

Elle se tourne vers moi en levant les bras pour étirer ses muscles. Je remarque les cernes trônant sous ses beaux yeux verts, elle est épuisée par ces derniers jours de recherche. La jolie sorcière ne prend plus le temps de dormir malgré mon intervention et celle de Selina. Je quitte ma chaise pour la rejoindre dans le coin salon. Je referme délicatement le grimoire en frôlant par accident sa main. Je me trompe peut-être en affirmant l'avoir vu frissonner. Ma vision me joue-t-elle des tours ?

― Vous devriez aller dormir, Abby.

― Nous avons eu la même conversation il y a deux heures, inutile de négocier je suis en pleine forme. Quel est l'intérêt de dormir quand je peux apporter mon aide ? Chaque seconde est précieuse !

Je soupire.

― Pas en vous ruinant la santé.

― Depuis quand vous permettez-vous d'émettre des remarques à mon encontre ? Je ne souhaite pas avoir des conseils d'un sorcier venant d'une autre époque ! Sous votre forme de chat, vous êtes...

― Inutile. J'ai conscience que cette apparence est un réel problème, mais je ne vous demande pas de chambouler votre vie uniquement à cause de ma présence. Vous avez fait tellement de choses pour moi, Abby.

Ma main est toujours sur la sienne, ce qui me pousse à reculer le premier avant de laisser mes émotions m'envelopper. Mon esprit est trop confus pour que je comprenne ce que je ressens pour cette femme. Elle est peut-être envoûtante, mais notre principale mission est de lever la malédiction et découvrir qui est responsable de mon emprisonnement.

― Je suis désolée pour mon comportement. Il est possible que je sois fatiguée à cause des derniers événements, ma rencontre avec ma mère n'arrange rien. Je devrais peut-être suivre votre conseil et dormir un peu.

― C'est la meilleure chose à faire, croyez-moi.

Elle baisse la tête en repoussant une mèche de ses cheveux roux derrière son oreille.

― Nous formons une drôle d'équipe vous et moi.

― Une équipe qui fonctionnera encore mieux avec quelques heures de sommeil supplémentaires. Reposez-vous et nous reparlerons de tout ça demain, je vous le promets. Je ne peux pas faire grand chose dans mon corps de chat, mais je m'efforce de faire mon possible.

Le jour est en train de faire son apparition et il est à nouveau temps de renoncer au corps que j'aime tant. Je recule de quelques pas en lançant un regard triste à la rouquine. Des étincelles bleutées m'enveloppent et il est question de quelques secondes avant que je me retrouve dans cet autre corps.

― Azriel ?

― Oui ?

― Vous êtes différent de l'homme que les journaux décrivaient. Jamais je n'aurais cru avoir la chance de vous connaître et je sais aujourd'hui que vous vous souciez réellement du bonheur des autres. Vous êtes un homme bon, Azriel.

La lumière m'enveloppe quelques secondes et je me retrouve dans la peau de Minuit. Je fixe la sorcière de mon regard félin avec un affreux sentiment dans la poitrine. Il y a quelques secondes à peine, elle me regardait comme un homme et ce n'est plus le cas. Elle place un marque-page dans le grimoire puis me lance un sourire.

― Il est temps que nous allions dormir, vous ne croyez pas Azriel ?

― Tout à fait d'accord avec vous.

***

Abby ne s'est pas attardée au lit contrairement à ce que je pensais, elle est allée en ville faire quelques achats en me promettant de rapidement revenir. Sous cette apparence, je peux difficilement la suivre. Mes pensées vagabondent sur le sentiment que j'ai éprouvé en compagnie de la sorcière. J'ai passé un moment à lire les différentes notes en espérant trouver un nouvel indice et observer le pendentif. Le sortilège scellant ma mémoire provient à la fois d'un sorcier, d'une sirène et d'une fée. Selina affirme que la gravure ressemble à la langue ancienne des fées. Il est difficile de trouver des dictionnaires capables de traduire, mais il est évident que ce symbole est unique.

Je me demande la raison pour laquelle je suis parvenu à retrouver un souvenir. Faut-il que je m'enfonce à nouveau au fond de ma mémoire pour frôler la barrière bloquant des passages de ma vie ? J'aimerais comprendre les raisons pour lesquelles je me retrouve dans une telle situation. Le temps s'écoule de façon différente, il s'est écoulé cent cinquante ans et pourtant sous mon apparence humaine j'ai toujours la jeunesse. Qui est capable de stopper les effets du temps ? Avec les bonnes potions, il est tout à fait possible de les ralentir, mais défier la mort est une chose impossible.

Un bruit à la fenêtre attire brusquement mon attention. Curieux, je saute sur le radiateur pour en découvrir la source. Un corbeau bat des ailes en regardant à l'intérieur de l'appartement et tape la vitre avec son bec. Pourquoi cette sale bête s'acharne-t-elle autant ? C'est alors que la porte d'entrée s'ouvre brusquement dans une rafale de vent. Une femme d'une cinquantaine d'années, les cheveux relevés en un chignon haut.

― Toujours mettre un cercle de protection pour empêcher une intrusion, c'est la règle... marmonne-t-elle en entrant d'une démarche gracieuse.

L'inconnue lance un regard aux nombreux grimoires ainsi que le tableau sur lequel nous avons noté toutes nos informations. Peu importe l'identité de cette femme, elle représente une menace. Je me précipite vers la table et camoufle les informations notées sur le tableau. Cette sorcière dégage une sombre aura que je n'apprécie pas.

― Un chat noir comme c'est cliché ! déclare-t-elle.

Je me contente de grogner dans sa direction, ce qui ne l'empêche pas de ricaner et faire le tour. Qui est-elle ? Je reste sur mes gardes en la suivant, elle entre dans la chambre de la sorcière en inspectant chaque recoin. J'ignore quand Abby sera de retour et la perspective que cette voleuse fouille dans ses affaires m'inquiète. Comment puis-je la faire sortir ?

― On raconte que les chats sont très intelligents et sentent les mauvaises personnes. Est-ce que tu essaies de protéger ta maîtresse ? Laisse-moi te dire que ce n'est qu'une enfant égoïste et égocentrique. Il est temps de la ramener à la maison avant qu'elle ne découvre de vieux secrets bien enterrés.

Elle tapote mon crâne avant de poursuivre ses recherches. J'enfonce profondément mes griffes dans sa main, ce qui la pousse à reculer et me donner un coup de pied. Je percute violemment le placard, mais cela ne dérange pas cette horrible femme.

― Tu apprendras dans la vie que les animaux sont inférieurs aux hommes.

L'inconnue me donne un nouveau coup bien plus violent que le précédent. Je sombre dans les ténèbres malgré mes efforts pour lutter. J'ignore combien de temps je reste ainsi, mais suffisamment pour me réveiller dans mon propre corps. Allongé sur le canapé, une couverture recouvre mon corps à mon grand soulagement. L'époque est peut-être différente néanmoins je ne souhaite pas exposer mon corps nu devant deux femmes.

Abby est profondément endormie sur le petit canapé, le grimoire posé sur ses genoux. A-t-elle veillé sur moi pendant tout ce temps ? Je me redresse avec difficulté et enfile les vêtements pliés sur la table. Je repousse une mèche de ses cheveux afin de dégager son visage et l'observer. Elle semble sereine, je ne veux pas perturber son sommeil. Je me contente de laisser un mot et sortir le plus discrètement possible.

Je ne connais pas très bien cette ville alors je préfère ne pas trop m'éloigner du bâtiment. Un banc confortable semble m'appeler, je profite de ce moment de calme et de solitude pour m'y installer. L'heure avancée de la nuit me permet de librement me promener et de ne pas attirer l'attention. Je contemple les étoiles, un petit sourire aux lèvres. Les événements de la journée tournent encore dans mon esprit. Qui était cette femme ?

Les étoiles sont les plus belles choses de ce monde, cher Azriel.

Je me redresse en entendant cette voix inconnue surgir du plus profond de ma mémoire. Je me retourne afin de regarder autour de moi et guetter l'apparition de cette femme. Malheureusement, aucune autre personne n'est auprès de moi. Les réponses ne tarderont pas à venir, je le sens.

23.03.2024