🌙 11. Secret de famille 🌙

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ABBY
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Une nouvelle page du cinquième grimoire se tourne sans me donner des informations utiles. Cela ressemble davantage à un journal intime avec toutes ces recettes et pensées intérieures qui ne servent à rien. Il est surtout question de solitude, de problèmes d'argent et de maladies dont j'ignorais l'existence. Agatha n'était pas une femme particulièrement joyeuse, elle partageait toutes ses pensées même les plus obscures.

Mère est partie, mais il m'est toujours impossible de comprendre la raison pour laquelle je suis contrainte de me cacher. Cette cabane miteuse dans les bois me donne le sentiment d'être prisonnière. La différence est un fléau, c'est ce que répète chaque jour mère. J'ai conscience de ne jamais pouvoir marcher sur les pavés de Slonia à cause de ce secret qui est en train de me détruire à petit feu. Suis-je condamnée à une vie de malheur ?

Ce passage m'interpelle, je n'avais jamais entendu une telle histoire auparavant. Je me souviens de mes leçons et il n'a jamais été question d'une Howler vivant dans les bois. Je fronce les sourcils en lisant le prochain paragraphe.

J'ai attendu que Mère soit profondément endormie pour quitter notre maison. J'ai longtemps marché pour atteindre une ville bien plus éveillée que je ne le croyais et ne ressemble en rien aux histoires racontées par Mère. Elle est pleine de vie avec un grand nombre de marchands installant leurs marchandises. Je n'ai pas d'argent, mais j'en aurais eu j'aurais volontiers acheté un de ces beaux cahiers en cuir de serpent.
Certaines personnes ne sont pas très sympathiques, j'ai entendu des rires dans mon dos venant principalement des femmes. Elles étaient si belles dans leurs robes élégantes et leurs coiffures élaborées. Pourquoi Mère ne veut-elle pas faire de moi une dame respectable ? Je me suis baladée dans Slonia et je n'ai jamais rien vu de si beau.
Un homme sur son cheval s'est arrêté à ma hauteur en souriant. Il avait une allure sympathique, cela changeait de la froideur de Mère et de sa tendance à vouloir tout contrôler.
― Vous êtes perdue ?
― Non, je suis en pleine balade voyez-vous.
― Sous cette pluie ?
― La pluie n'est pas mortelle me semble-t-il.
Il semblait amusé par mes réponses et est descendu de sa monture pour me rejoindre. J'avais conscience que mon comportement ne ressemblait pas à celui d'une dame. Je n'aurais jamais dû lui adresser la parole.
― C'est exact, mais elle peut causer de vilaines maladies.
― Je ne les crains pas, ne faut-il pas profiter du moment présent ?
Il a hoché la tête, encore plus amusé.
― Etes-vous nouvelle en ville ?
― Je suis en voyage en effet.
― Il est vrai que le royaume est vaste, de quel venez-vous ?
Je n'ai pas répondu à ces interrogations trop curieuses à mon goût. Je me suis contentée de lui sourire avant de partir rapidement afin de retrouver Mère. Elle m'a sévèrement puni, mais je compte bien retourner à la capitale et retrouver cet homme dont le sourire hante mes rêves.
― Tu connaissais cette histoire ? demande Selina.

― Non, je connaissais pas non plus l'existence de cette sorcière.

La première sorcière de notre famille ne s'appelait pas Agatha, mais Abigail. C'est la raison pour laquelle mon père a souhaité lui faire honneur en choisissant ce prénom pour sa fille aînée. Je suis une véritable déception contrairement à cette vaillante Abigail qui a tout construit pour sa famille.

― Le nom Howler m'est inconnu, ajoute Azriel d'une voix maussade.

― Il y a quelque chose d'étrange dans cette histoire.

Je note cette découverte sur le tableau avec un point d'interrogation. Reprenons du début : une mystérieuse sorcière dont je n'avais jamais entendu parler semble être la première de notre famille et vivait dans la forêt avec une mère dérangée.

― Est-il possible que tes parents aient menti sur les origines des Howler ? suggère Selina.

― Dans quel but ? Un mensonge aussi énorme a forcément une raison...

Agatha Howler est une inconnue, mais elle appartient à ma famille c'est une certitude. Pourquoi aurions-nous les grimoires d'une inconnue si elle n'était pas une Howler ? Selina soupire en frottant ses yeux.

― J'ai l'impression que cette histoire nous éloigne de votre malédiction, avoué-je.

― Je ne crois pas au hasard de la vie, il n'est pas uniquement question de moi dans cette histoire. Pour une raison inconnue, vous êtes la seule à être capable de lever temporairement la malédiction. Nos destins sont liés et nous trouverons des réponses à nos questions, ensemble.

Azriel parle d'une voix claire et confiante. Je ne crois pas non plus au hasard, le destin me semble plus approprié comme mot. J'ignore la raison pour laquelle nous devons travailler ensemble pour élucider ces nombreux mystères, mais c'est un fait. J'ajoute cette information au tableau puis me plonge à nouveau dans les grimoires. Je sens la présence du sorcier à côté de moi et je ne peux empêcher les battements de mon cœur de s'accélérer.

― Cette mystérieuse Agatha est notre point de départ, il faut poursuivre la lecture de ses journaux pour la comprendre et déceler ses secrets.

― Il faut que j'assure le service au salon de thé demain, je vais devoir vous laisser. Je suis vraiment désolée, Abby.

Je lance un sourire à Selina.

― Ne t'inquiète pas, je suis en bonne compagnie avec Azriel.

― Vous pouvez vous reposer, assure-t-il.

Rassurée de ne pas me savoir seule pour mener mes recherches, Selina retourne dans sa chambre avec un petit sourire. Je ne peux pas contester que Azriel apporte un petit vent frais à ma vie, ce qui n'est pas pour me déplaire. J'ai toujours apprécié les romans peuplés de secrets et de mystères à résoudre alors le fait de le vivre me fait ressentir une certaine excitation.

Je croyais ma famille monotone et d'un ennui mortel, mais il se trouve que notre plus vieille ancêtre n'est pas celle que je croyais. Abigail a-t-elle vraiment existé ou est-ce un mensonge inventé de toute pièce pour camoufler la vérité ? Je suis perdue et perplexe. Je me penche pour lire le prochain passage du journal. Agatha évoque ses prochaines excursions secrètes, elle a veillé à donner une plante somnifère à sa mère pour se promener librement sans crainte de représailles. Ces promenades sont les seules choses lumineuses de son quotidien, elle se fiche de passer pour une pauvre et ignore les regards des plus méprisants. Elle profite de l'instant présent.

Je commence à connaître la capitale comme ma poche, il m'arrive même de parler avec certains marchands. J'ai eu le droit à une pomme délicieuse bien plus sucrée que les pommes que Mère ramène en temps normal ! Cette vie à la capitale est incroyable, je donnerai tout pour y vivre et cesser de me cacher.
10 Mars

Mère ne se doute pas de mes escapades, elle est certaine que je ne sors plus en raison de sa violente punition. Elle perdrait davantage la tête en me voyant gambader gaiement dans la capitale et faire la révérence devant le château. J'entends certaines femmes se moquer de moi, mais il est hors de question de laisser ces rires gâcher mon expérience.
J'ai revu l'homme inconnu de la dernière fois, il n'avait pas de cheval cette fois. Je ne m'attendais pas à tomber sur lui une fois de plus. Quelles étaient les chances que nous nous revoyons ?
― C'est un plaisir de vous revoir, belle inconnue.
― Le plaisir est partagé.
Il a repoussé une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille en souriant. Il était toujours aussi chaleureux et cela change tellement de mon quotidien ! Je n'avais pas conscience que la vie pouvait être à ce point difficile, mon cher ami. Je n'ai connu que Mère et notre petite maison enfoncée dans les profondeurs de la forêt. Je n'avais pas conscience à quel point nous étions seules.
― Appréciez-vous la capitale ?
― Énormément, je prends plaisir à découvrir les lieux.
― Vos proches n'ont-ils pas peur de vous laisser sortir seule ? Certains ne sont pas aussi bienveillants, je le crains.
Je me suis contentée de sourire afin de préserver le mystère. Ce bel inconnu n'a pas besoin de connaître mon histoire, mais il est loin d'être idiot. Je suis loin de ressembler à une noble avec ma vieille robe et le trou dans ma chaussure. Il a eu la politesse de ne pas faire la moindre remarque.
― Il commence à se faire tard, je vais vous raccompagner...
― Inutile, je connais le chemin et je n'ai nul besoin d'un chaperon.
― Une jeune femme ne devrait pas trainer seule dans les rues.
J'ai secoué la tête.
― Je n'ai pas peur de frapper les personnes trop collantes. Mais vous avez raison, il commence à se faire tard, il est temps pour moi de mettre les voiles et rentrer chez moi. J'étais heureuse de vous revoir. Bonne soirée, monsieur.
― Darius.
― Pardon ?
― Je m'appelle Darius, il est toujours sage de mettre un nom sur un visage, vous ne croyez pas ?
Oui, je peux désormais mettre un nom sur le visage qui hante mes nuits depuis notre première rencontre. Darius... le seul homme qui a remarqué ma présence malgré ma miteuse apparence.

Je lève les yeux vers mon compagnon de lecture qui me fixe en souriant. Je me détourne la première, j'ai toujours du mal à m'habituer à la couleur de ses yeux. Ce bleu clair est unique, je n'avais jamais vu une telle nuance.

― Darius... Ce nom m'évoque vaguement quelque chose.

― Vraiment ?

Il hoche la tête.

― Il travaillait comme palefrenier pour la famille royale, il me semble.

― Cela explique pourquoi elle le croisait souvent devant le château.

Azriel note ce nouvel événement en prenant soin d'entourer le nom Darius. Il est notre nouvel indice, cet homme dont je ne connais rien. Azriel se frotte les tempes en réprimant une grimace. Nous avons passé des heures à éplucher toutes ces informations sans prendre la moindre pause. Je suis lessivée et il reste peu de temps avant le lever du jour et malgré nos nombreuses découvertes, je ne suis pas prête à abandonner.

― Vous devriez aller dormir, Abby.

― Je suis trop secouée pour me le permettre. J'ai besoin d'en apprendre davantage sur cette femme, on ne m'a jamais rien dit à son sujet.

Il pose ses mains sur mon épaule avec délicatesse.

― J'ai conscience que toutes ces informations sont surprenantes cependant il est important de ne pas négliger votre santé. Nous reprendrons demain soir, je ne veux pas que vous tombiez dans les pommes.

― Merci pour votre inquiétude, mais tout va bien.

Azriel claque des doigts afin de refermer le journal. Je me tourne vers lui, furieuse.

― Allez dormir Abby.

― Je n'en ai pas besoin.

Il se rapproche davantage de moi, ce qui me fait frissonner. Nous nous connaissons à peine et pourtant je ne cesse de m'attacher à cet homme. Ce sorcier accusé à tort d'un crime qu'il n'a pas commis avec une mémoire scellée. Je sens son souffle chaud sur ma peau, ce qui me fait frissonner. Mon cœur bat la chamade dans ma poitrine, cela en devient douloureux.

― Vous êtes une femme têtue...

― Je n'abandonne jamais.

Nos regards se croisent une nouvelle fois, mon souffle se bloque lorsqu'il se penche pour repousser une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Sa main chaude sur ma peau provoque un sentiment étrange. Suis-je en train de perdre l'esprit ?

― C'est un trait de caractère que nous avons en commun.

― Et qu'allez-vous faire ?

Son regard s'attarde sur ma bouche et durant une brève minute j'ai l'espoir de sentir le goût de ses lèvres sur les miennes. Cela ne me ressemble pas d'éprouver ce genre de sentiments surtout pour un inconnu. Je recule, les joues rouges.

― Vous avez raison, on mérite une pause.

Je m'empresse de m'éclipser dans la cuisine pour échapper au regard envoûtant de Azriel Cromwell. Je m'adosse contre le mur, le souffle court. Que vient-t-il de se passer ? Ai-je vraiment eu envie qu'il m'embrasse ? Je passe un doigt tremblant sur ma bouche avec un énorme sentiment de culpabilité. Ce qui se passe actuellement est suffisamment compliqué, inutile d'ajouter des sentiments.

20.03.2024

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