Thanatophobie

Ô pourquoi belle Mort m'attires-tu autant que tu ne m'effraies ?

J'aimerai te rejoindre, ô toi ma muse qui s'amuse et me muselle

En jouant de ton zèle pour te jouer de moi, et mon sort, pas des moindres,

Te rends plus belle encore qu'un œillet en plein été.


Oh si j'étais moins lâche, en seulement quelques mois, l'affaire serait réglée ;

La lame d'un grand couteau et la gorge tranchée, le sang dans la baignoire.

Mais j'ai peur de toi, du tombeau et du néant : peur du noir. Et je sais bien

Qu'une fois le pas franchi il n'y aura plus rien car je ne crois ni en Dieu ni en l'au-delà.


Pourtant plus le temps passe, le temps que rien n'efface, le temps qui laisse des traces,

Celui qui, comme un coup de grâce, me rapproche du trépas et mon sang se glace.

Isolé, désolé, rien ne semble marcher et je ne puis penser qu'à toi sans pouvoir oublier

Qu'à chaque bouffée d'air frais ton sourire carnassier se pose sur mon horloge.


Parlons-en du sourire de la Mort, je le vois au-dessus de chaque tête,

Le lit sur chaque visage comme si ce fut l'en-tête des gens que je croise,

Comme si leur vie pouvait se résumer à la fin qui le menace,

La mort dessine sur une ardoise leurs traits à l'agonie.


Et je ne peut que la sentir, me supputant des choses que je ne peux pas dire,

En voyant mon petit frère à peine venu au monde une seule idée m'inonde :

"Quand va-t-il mourir ?" et depuis dix ans je ne fais qu'y penser dans une infernale ronde

À la courbe bancale. Et moi, quand mourrai-je ? Pourquoi, Mort, pourquoi me hantes-tu ?


Et dans ces moments névrosés où seule la Mort vient à ma pensée j'ai peur.

Pourtant le moment d'après je me sens prêt à la laisser me border avec douceur.

Des larmes carmin sur le sillon de mes poignets me font un grand sourire,

Et dans les pleurs, un rire, celui qui me dit "Il y a bien plus à voir dans les abysses qu'au bord du précipice."


Alors au bord du récif parsemés de coraux je me laisse porter par le courant

Qui m'emporte vers le fond comme un aimant, et la Mort, sans remords,

Me montre la surface et me rit au nez. "Te voilà noyé dans tes regrets. Bien fait !"

Et je ne peux qu'acquiescer, le sourire aux lèvres.


Puis je me réveille en sursaut parcouru de cette fièvre

Qui me rappelle aussitôt qu'une fois tombé le rideau

L'acte est terminé. Et durant l'entracte de ma vie je meurs d'envie

De tout arrêter, de saluer la foule admirant le spectacle et de leur dire adieu.


Seulement tout ce que je vois devant moi ce sont les yeux peureux

Des gens pour qui je compte un peu et dont l'amour sonne creux

Qui me répètent "Arrête, continue de jouer jusqu'à ce que tu t'épuises ;

Même si les planches s'amenuisent, continue de jouer !"


Alors je fais mine que tout va bien, et je chante les louanges de la vie,

Car ma vie n'est qu'un vulgaire opéra, une piètre tragédie

Où chaque seconde passée à jouer encore et toujours la même mélodie

Ne devient qu'un sursis jusqu'à ce que vient le répit.


Mais le répit me fait peur, et si les gens décident à ma place

D'où est ma place c'est car moi-même je ne peux pas choisir.

Vivre ou mourir ? Les deux perspectives, toutes les deux invasives

Pour moi nourrissent une phobie qui hantent mes jours et mes nuits.


J'ai peur de la Mort comme j'ai peur de la vie

Mais je ne peux pas faire sans l'un ni sans l'autre

Alors je pleure au fond de mon lit

Avant de m'endormir.

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