Chapitre 7 | 3
"'Cause we don't, we don't need to talk about this now.
Yeah, we've been down that road before,
That was then and this is now."
Talk – Kodaline. (En média).
Trois coups résonnent à l'entrée, et je fronce les sourcils. Est-ce qu'il a oublié quelque chose ? Je scrute la table basse et les alentours du canapé en traversant la pièce, sans remarquer le moindre objet qui ne m'appartiendrait pas. Encore plus perplexe, j'accélère le pas et ouvre la porte en grand sans la moindre délicatesse.
— Tu sais, quand je parlais de cours, je...
Mon cœur rate un battement.
— De cours ? Quelqu'un doit te donner des cours ?
Le rictus pincé de Grandpa m'électrise, il me pétrifie. Je ne m'attendais pas à le voir aujourd'hui, encore moins à une heure où ses précieuses réunions dans les gratte-ciel new-yorkais lui prennent habituellement toute son attention. Un peu gauche, je lui fais signe d'entrer et l'observe s'installer à la place de Granny.
— Non, personne ne doit me donner de cours, raillé-je mal à l'aise.
Mon grand-père hausse un sourcil en m'interrogeant du regard.
— On parlait de fleurs, avec Granny, et vu que je n'y connaissais rien, elle a plaisanté en me disant que j'avais bien besoin de cours sur le sujet. Tu sais comme son métier la passionne...
Mon ton incertain ne pourrait tromper personne, pourtant mon aïeul acquiesce avec un sourire poli. Je ne sais pas si son air contrit est dû au fait que je sois une piètre menteuse ou que j'aie abordé le sujet sensible de son ex-femme mais en tout cas, j'espère qu'il ne durera pas trop longtemps.
— Tu pourrais reprendre des cours, si tu le voulais, me lance-t-il avec un sous-entendu évident. Julliard a de très bons programmes scolaires en plus des heures d'entraînement.
Mutine, je m'installe sur la chaise à côté de lui, mais ne prends pas la peine de lui répondre. Est-ce qu'il va finir par comprendre que je n'ai pas envie d'aller à Julliard ? Je n'ai pas envie de reprendre la danse. Je ne veux pas reprendre les entraînements. Je ne veux pas de cette vie-là, pas encore. Tout ce que je veux pour le moment, c'est réussir à trouver un sens à mon existence maintenant que j'ai tout perdu. Maintenant que mes piliers se sont écroulés. Tout ce qui me raccroche au sport pour l'instant, c'est le souvenir d'Axel qui saute dans le vide. Ce sont les images répugnantes de la voiture explosée de Lucas qui ont défilé dans les journaux à côté de photos de moi qui n'avaient rien à faire là. Ce sont les allers-retours dans les hôpitaux, puis dans les cimetières. Quand je m'imagine face à un coach, tout ce que j'arrive à ressentir, c'est de la douleur, de la peur et cette impression irrespirable de plonger dans l'enfer de la mort. Ce n'est pas que je ne veux pas reprendre, c'est que j'en suis incapable.
— Ou alors je peux m'arranger avec des amis à moi au Sky Rink pour qu'ils te coachent et on te trouvera des cours adaptés à côté, si tu veux. Je pourrais même t'emmener à Chelsea Piers tous les jours, s'il le faut, ça ne me pose pas de problème.
— C'est gentil, grand-père, mais je n'ai pas encore réfléchi à tout ça, lâché-je d'une voix blanche.
Mon aïeul soupire.
— Il faudrait pourtant que tu y réfléchisses. L'année a déjà commencé et même si je peux parler avec le directeur de Julliard, tu n'as plus beaucoup de temps pour te décider. Pour prévoir ta future carrière. C'est maintenant qu'il faut t'y prendre, Willow. Après, ce sera trop tard. Tu sais comment c'est dans le milieu de la danse, pour faire partie des meilleures, il faut travailler dur et ce, le plus tôt possible dans une vie, sans jamais rien lâcher. Et puis pour le patinage, tu es passé à deux doigts de remporter les Jeux olympiques ! Tu ne peux pas t'arrêter en si bon chemin !
Mon estomac se retourne. Les larmes brouillent ma vue. Je revois encore l'excitation d'Axel quand on nous a annoncé qu'on était sur le podium. Qu'on venait de terminer troisième aux Jeux olympiques alors qu'on avait respectivement à peine quinze et seize ans. Notre coach n'était pas satisfait, il était persuadé que si on avait bossé plus, on aurait pu atteindre la deuxième place, mais pour nous, c'était incroyable, inconcevable. Participer à un tel événement était déjà une prouesse en soi, quelque chose dont nous n'aurions jamais osé rêver si tôt, mais alors remporter un prix... On ne tenait plus en place. Axel était tellement heureux, tellement fier. Il venait de prouver à son père que ce dernier avait tort, et il venait de se prouver à lui-même qu'il avait trouvé sa voie. Qu'il avait toujours su que malgré les réflexions de son paternel, ce chemin était bien le sien. La lumière qui inondait son visage me déchire le ventre. Elle me déchire le ventre parce qu'elle a disparu bien avant lui. J'ai vu sa lueur s'éteindre pour ensuite le souffler comme une bougie et ça me ronge de l'intérieur. Grand-père a raison, je suis passé à deux doigts de remporter ces foutus jeux, d'ailleurs dit de cette façon, on pourrait croire que deux doigts, ce n'est pas grand-chose. Sauf que deux doigts, c'est ce qui m'a manqué pour sauver Axel, et finalement, ça fait toute la différence. Finalement, c'est énorme, c'est gigantesque, c'est incommensurable.
— Mais pour les Jeux olympiques, Axel était avec moi ! hurlé-je alors que mon visage se noie sous ma détresse.
Le champion du monde grimace, puis souffle.
— Écoute, Willow... Je comprends que tu sois triste. Je comprends que ton ami te manque. C'est une tragédie, c'est vrai. Un véritable drame. Mais des catastrophes comme celles-ci, tu en connaîtras d'autres. Parce que c'est ça la vie, c'est fait de douleurs insupportables mêlées à un peu d'espoir. Et si tu ne saisis pas cet espoir, tu peux passer à côté d'opportunités uniques. Je sais que c'est dur, mais tu ne dois pas mettre ton futur en péril à cause de ce qui s'est passé. Si tu fais ça, tu ne pourras plus revenir en arrière, et tu le regretteras...
— Mais c'est pas vrai... gémis-je entre deux hoquets humides. Pourquoi tu ne m'écoutes pas ? Je ne veux pas reprendre. Je ne peux pas reprendre ! Ma carrière... ma carrière...
— Excuse-moi, Poulette, j'ai rencontré Janet en route et on a... Oh, Willow...
Granny se précipite dans ma direction alors que la porte se referme derrière elle. Ni une, ni deux, elle me prend dans ses bras, et je craque. J'éclate en sanglots contre sa poitrine. Son étreinte autour de moi me rassure autant qu'elle m'empêche de me maîtriser. Sa sollicitude me fait du bien, trop de bien. Je me sens assez en sécurité pour tout lâcher et ça a le désavantage de me maintenir dans cet état pitoyable bien plus longtemps qu'il ne le faudrait. J'aimerais pouvoir me contrôler, j'aimerais pouvoir inspirer un grand coup pour faire face à mon grand-père et à son discours révoltant. J'aimerais être en mesure de lui expliquer ce que je ressens sans me faire submerger par mes émotions, mais je crois que c'est encore trop tôt. Mes plaies sont encore trop à vif. Ça fait beaucoup trop mal.
— Qu'est-ce que t'as encore fait ? s'agace ma grand-mère alors qu'elle me berce comme une enfant.
— Arrête de toujours me faire passer pour un monstre, Janis ! J'ai simplement voulu discuter de son avenir avec elle. Parce qu'elle en a un, elle a plusieurs carrières qui n'attendent que son choix et je pense que c'est important que quelqu'un la pousse à garder le cap.
— À garder le cap ? Mais tu t'entends, Scott ? C'est exactement pour ce genre de conneries de Hayes a quitté New York ! Il ne supportait plus que tu le pousses à faire les choses qui ne lui correspondaient pas ! Pour notre fils, j'ai fait l'erreur de te faire confiance, mais je t'assure que cette fois, je ne te laisserai pas faire ! Tu ne reproduiras pas le même schéma avec Willow, c'est hors de question !
— Alors qu'est-ce que tu veux qu'elle fasse, hein ? Qu'elle se terre ici en espérant que les choses changent ? Ses amis sont morts, Janis. Morts ! Rien ne pourra changer ça, rien ne pourra redevenir comme elle voudrait que ce soit ! Il faut qu'elle aille de l'avant, pour son propre bien.
La boule brûlante à l'intérieur de ma gorge est au bord de l'explosion, et j'ai envie de crier à mon grand-père de se taire. De ne pas me rappeler aussi brutalement que ce que j'ai chéri plus que tout au monde n'est plus qu'un écran de fumée. Que ma vie ne sera plus jamais la même. Que je ne me moquerais plus jamais du goût démesuré de Neven pour le café, que je n'entendrais plus jamais Axel râler pendant nos étirements parce qu'il a mal partout, que je ne rirais plus jamais aux blagues douteuses de Lucas, que je ne pourrais plus jamais écouter Océane me parler avec passion de ses cours de physique auxquels je n'ai jamais rien compris. Tous ces détails minuscules qui faisaient d'eux qui ils étaient, toutes ces petites choses qui rendaient mes journées plus belles, tous ces liens qui rattrapaient mes chutes... tout ça, c'est fini. Ça n'arrivera plus. Ce ne sont plus que des souvenirs, des poussières du passé que je refuse de nettoyer pour accueillir le futur.
— Eh bien figure-toi qu'elle avance, Scott. Elle a des projets qui se dessinent. Et peut-être que si tu passais plus de temps à la laisser s'exprimer qu'à lui imposer ta vision des choses, tu saurais que demain elle a un entretien d'embauche ! Tu saurais que même si elle ne va pas dans le sens que tu veux, elle ne fait pas non plus du surplace !
— Un entretien d'embauche ? s'étrangle Grandpa.
Cette nouvelle devrait me mettre la pression, pourtant elle ressemble à un courant d'air frais à l'intérieur de mes poumons en feu. Demain, j'ai une chance d'entamer un nouveau chapitre. Demain, je vais pouvoir me libérer du fardeau des carrières toutes tracées que je n'arrive plus à supporter. Demain, je vais revoir Raven. Je vais revoir cet étranger un peu spécial, et cette simple idée calme les spasmes qui me secouent. Si j'obtiens ce job, je n'aurais plus à attendre qu'il débarque dans le bazar de mon existence par hasard pour m'autoriser à être cette nouvelle version de moi-même que mes grands-parents ne connaissent pas. J'aurais juste à entrer dans le Nid Aux Oiseaux et à me laisser porter par ces ailes puissantes que semble m'offrir le Corbeau à chaque fois qu'il atterrit devant moi.
— Et quel genre d'entretien d'embauche ? s'impatiente mon aïeul.
— Je vais postuler pour travailler dans un bar, rétorqué-je en sortant de ma cachette protectrice.
— Un bar ?
Mon grand-père dévisage Granny, qui ne dit rien. Pourquoi est-ce qu'elle ne dit rien ? Ce n'est pas son genre de s'écraser devant son ex-mari. Soudain, l'air de Grandpa change et il crache un rire mauvais.
— Oh, je vois, tu es allé chercher David, n'est-ce pas Janis ?
Le mépris qui suinte de chacun des mots qu'il prononce me coupe en deux mais personne n'a le temps de réagir qu'un claquement violent explose tandis qu'il quitte l'appartement. Abasourdie, je me tourne vers Granny pour tenter de comprendre ce qu'il vient de se passer, mais elle se contente de fermer les yeux en soupirant. Elle semble attristée pourtant, quand elle se rend compte que je ne la quitte pas des yeux, elle se reprend et m'adresse un faible sourire.
— Ça va, ma puce ?
— Alors comme ça, j'ai un entretien d'embauche ? éludé-je.
Comprenant que je ne souhaite pas m'étaler sur mes sentiments et ne voulant probablement pas me parler des siens, Granny fait mine de ne pas comprendre mon petit manège.
— Oui, à onze heures. C'est une façon comme une autre de te tenir au courant... grimace-t-elle.
Sa réflexion me fait pouffer de rire et l'éclat de culpabilité qui brillait dans les yeux de la femme caractérielle la plus tendre de mon univers s'efface. Je ne suis pas certaine de pouvoir affirmer que je me sens mieux après tout ce que je viens d'entendre, mais une chose est sûre : je suis déterminée. Demain, j'entame mon nouveau départ, et je vais le faire avec le sourire parce qu'il est temps que j'essaie. Il est temps de vivre.
__________________
Coucou tout le monde, comme ça va ?
Je suis encore en retard, je sais. J'y ai pensé toute la matinée, hier, et au moment où j'ai allumé mon PC, ça m'est complètement sorti de la tête. J'étais en plein dans les préparatifs de mon prochain livre et du coup j'ai plus pensé à rien d'autre...
Bref, maintenant je suis là, et j'espère que cette partie vous a plu.
Le grand-père, qui ne peut pas se le voir ? Qui l'aime bien ?
D'ailleurs, y'a des teams, déjà, ou pas encore ?
Vous comprenez son obsession avec l'avenir de Willow, vous ? (À Scott).
La musique... encore Kodaline... Je vous promets ça se calme un peu pour la suite des chapitres. Y'a un moment où je mets plus de Kodaline. x) Vous aimez ?
Voilà, voilà, c'est tout pour moi. Normalement, la semaine prochaine, vous devriez avoir les parties dans les temps parce que je ne suis pas là le jeudi ni le vendredi, donc il faut absolument que je gère bien mes publications, en plus des annonces qui arrivent sur Instagram. Croisez les doigts avec moi pour que j'arrive à m'organiser.
En attendant cette semaine charger, je vous souhaite une bonne journée.
Nous on se retrouve mardi sans faute.
Prenez soin de vous.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top