Chapitre 21 | 2
"I know that things can fall apart,
I know that life can break your heart
But when I'm with you, it doesn't hurt so bad."
The First Time – Girlfriends. (En média).
— Tu sais pas où elle est, ta chérie ? Je vais avoir besoin d'aide, moi ! m'apostrophe Maïa alors que j'entre à peine dans le bar.
À côté de moi, Willow tique, secoue la tête et s'en va d'un pas décidé vers les vestiaires.
Eh merde... Merci Maïa, vraiment.
— Alors primo, j'ai pas de chérie, et deuxio, t'es pas censée avoir pris des vacances pour êtes sûre d'être dispo pour l'anniversaire de Joey avant-hier ?
— Si, j'étais censée, si, s'agace ma collègue qui s'agite de plus en plus. Mais Isaiah a appelé ce matin pour prévenir qu'il serait pas là et Maxxie est en cours. Je m'en sortais seule jusqu'à maintenant, mais le service de ce midi est...
Isaiah n'est pas là.
Tout explose dans ma poitrine.
Isaiah n'est pas là.
Dans mon cerveau, c'est l'état d'alerte.
Isaiah n'est pas là.
J'essaie de trier les informations que j'ai, celles que je viens d'obtenir et celles que je pourrais déduire seul mais chacune d'entre elles s'entremêlent avec une inquiétude vorace. Merde, merde, merde... réfléchis, rappelle-toi, quand est-ce qu'il a dit que sa mère sortait de taule ? Mon cœur tambourine si fort contre ma cage-thoracique que j'ai l'impression qu'il veut en sortir.
— Raven ? Raven, tu fais chier !
Une tape brusque claque sur le haut de mon bras et je sors de ma panique naissante pour revenir avec Maïa, qui m'assassine du regard.
— Tu sais où elle est ou pas ?
— Où... où est qui ? balbutié-je, à deux doigts de me barrer d'ici pour foncer chez Isaiah et m'assurer qu'il va bien.
Maïa se pince l'arête du nez en soufflant.
— L'Hirondelle ! Tu m'as écoutée ou pas ? Elle m'a dit qu'elle prenait sa pause et je l'attends toujours !
— Je m'en occupe, murmuré-je plus pour qu'on me lâche que parce que j'ai envie de m'en charger.
Comme un automate, je traverse le bar plus bondé qu'à l'accoutumé et me précipite vers la sortie à l'arrière du bâtiment. J'ai beau essayer de me concentrer sur ma tâche, mes pensées se ruent vers Isaiah. Et si sa mère avait recommencé ? Et s'il avait un problème ? Il n'aurait jamais loupé une journée d'un boulot qu'il adore s'il ne lui arrivait pas quelque chose de grave. Ou alors je suis parano et il a juste une gueule de bois monumentale, une gastro carabinée, de la fièvre... j'en sais rien, moi... J'essaie de me persuader qu'il va bien tout en scrutant le muret sur lequel Savannah a l'habitude de fumer mais mes efforts sont vains ; l'angoisse m'étouffe. L'Hirondelle n'est pas là. Mes tripes à deux doigts de remonter le long de ma gorge, je contourne le petit mur pour y découvrir cette fille avec laquelle je n'ai pas reparlé depuis notre mésaventure de la salle de bains.
— Tu sais que Maïa va t'étriper ?
Assise à même le sol, dissimulée derrière les briques rouges, Savannah crache un nuage de fumée avant de relever la tête vers moi avec nonchalance.
— Pour ça, il faudrait déjà qu'elle me trouve.
— Elle a besoin de toi pour assurer le service, c'est la folie dans le Nid...
Je m'éclaircis la voix quand elle se met à trembler, ce qui n'échappe pas à l'Hirondelle :
— Ça va ? On dirait que t'as vu un mort.
Les jambes en coton, je me laisse glisser à droite de mon amie dans un soupir.
— Isaiah est pas là...
— Toi non plus t'étais pas là, ce matin.
Son sarcasme tombe à plat. Les yeux rivés sur l'asphalte sous mes pieds, je suis obligé de serrer les poings pour contrôler les spasmes qui me parcourent. J'espère qu'il va bien.
— Raven, qu'est-ce qui se passe ?
— J'en sais rien... chuchoté-je alors que mes larmes menacent de s'écrouler sur mes joues.
Mais qu'est-ce qui m'arrive ? Pourquoi est-ce que je suis à fleur de peau comme ça ?
— Je pensais pas que tu étais si proche de lui.
Même si le ton de Savannah est doux, je me prends sa réflexion en pleine figure. C'est ça. C'est pour ça. J'aime ce mec. Je l'aime et ça me retourne l'estomac de l'admettre parce que j'aime aussi Savannah et que j'aime aussi probablement Willow. Je les aime autant que je suis paumé. Mais je les aime. Je l'aime. Je supporterais pas qu'il lui arrive quoi que ce soit. Je supporterais pas de le voir disparaître comme j'ai vu disparaître Dawn. Si j'étais encore confronté à toute l'impuissance qui m'a ravagé quand j'ai perdu ma sœur, je ne suis pas sûr de pouvoir m'en relever. Je ne suis pas certain d'avoir envie d'y survivre une deuxième fois.
— Tu veux que j'essaie de le rappeler ? Ou alors qu'on aille le voir ?
— On peut pas laisser les autres gérer le gros service sans nous...
Une légère caresse se dépose sur ma joue gauche, m'incitant à plonger mes prunelles dans celles de l'Hirondelle. Pendant une fraction de seconde, sa sollicitude m'enveloppe et je me sens hors de danger. Le contact de sa peau contre la mienne m'offre une faible bouffée d'oxygène.
— Okay, alors on va bosser et dès que ça se calme ou que Maxxie arrive, on s'éclipse pour aller botter le cul au type qui te fout autant la trouille.
Un léger rire me secoue et Savannah sourit. Son sourire n'est pas aussi pur que celui de Willow ; peint en noir, il semble plus fracturé, plus dur, plus fatigué. Sans attendre de réponse de ma part, elle se relève, écrase son mégot sur le sol, époussette son jean déchiré puis me tend la main. Je fixe ses doigts quelques secondes avant de les attraper. Debout face à elle, je la retiens quand elle s'apprête à retourner dans le Nid Aux Oiseaux.
— Sav'...
Elle s'arrête, observe un instant nos paumes qui s'embrassent puis plante ses yeux noisette dans les miens.
— Tout va bien ? Entre nous, je veux dire...
Mon amie fait la moue.
— Depuis la fête on... enfin, on a pas discuté de...
— Ça pourrait aller plus loin, m'interrompt-elle.
Mon cœur fait une embardée. Est-ce que j'ai bien entendu ?
— Ça pourrait aller plus loin, nous deux, et c'est pour ça que j'ai coupé court.
À mon tour de grimacer. J'esquisse le début d'une réaction, le début d'un argument, le début d'une question mais rien ne sort de ma bouche. Je ne comprends pas mais peut-être que c'est mieux comme ça. Pour elle. Pour moi. Si je ne peux pas me permettre d'ouvrir ma forteresse à Willow pour ne pas la noyer dans cet univers que je peine moi-même à contrôler, je ne vois pas pourquoi je ferais une exception pour Savannah. Malgré tout, une douleur diffuse m'envahit. Est-ce que je passe à côté de l'histoire de ma vie ?
— Je t'aime beaucoup, Raven...
Un rire ironique qui flirte avec la tristesse lui échappe.
— Je t'aime un peu trop, en réalité. Depuis que je me suis pointée ici, t'as toujours été là. Même au début, quand j'étais en miettes et que je vous envoyais tous chier comme pas possible, t'as rien lâché. Je sais pas ce que t'avais dans le crâne, si t'es pas un peu maso sur les bords mais...
Un rictus se dessine sur mes lèvres. C'est vrai que quand elle est arrivée, elle était infecte. Tout le temps. Avec tout le monde. Pourtant je savais. Je voyais. C'était la souffrance qui parlait. Et je voulais pas qu'elle pense qu'elle était seule. Je voulais pas qu'elle se sente comme j'avais pu me sentir quand on m'a envoyé chez Jack et Kristen.
— En tout cas, je te suis reconnaissante de pas avoir abandonné. De m'avoir fait croire en l'amitié à nouveau. En n'importe quel type de relation à nouveau. Je me sens bien avec toi, réellement. J'ai l'illusion que toi tu me blesserais pas, que toi me sous-estimerais pas, que toi tu me prendrais pas tout ce qui me fait tenir debout...
L'émotion qui brille dans ses pupilles me cloue au sol. Je ne l'ai jamais vue comme ça. Aussi vulnérable. Et putain ce que j'aimerais l'embrasser, là, maintenant, tout de suite. La serrer contre moi et lui dire qu'elle a pas besoin de couper court, que je peux continuer d'être là et plus encore. Pourtant je la ferme. Je me contiens. Je la laisse se confier. C'est ce qu'il y a de mieux à faire.
— Et si j'avais été une fille bien comme Lucy, une fille responsable comme Maïa ou la caricature de la fille parfaite comme la Colombe, j'aurais adoré me blottir contre toi et plus jamais me tirer d'ici, mais je suis pas comme ça. Moi je suis un trou noir, un aimant à emmerdes, une gamine instable qui détruit tout ce qu'elle touche alors t'as pas besoin que j'en rajoute. T'es déjà assez fracassé, je crois. De toute façon je m'en vais, notre relation serait vouée à l'échec, à un adieu déchirant et j'ai pas envie qu'on finisse de cette manière. J'ai pas envie que ton dernier souvenir de moi, ce soit celle qui t'a fait du mal, que tu détesteras pour le restant de tes jours. C'est égoïste, mais je voudrais qu'au moins une personne sur cette planète ait un bon souvenir de moi. Je voudrais que dans au moins un cœur, j'ai été quelqu'un. Quelqu'un de bien. Même si c'est qu'en apparence.
— T'es quelqu'un de bien, Sav'... murmuré-je en me rapprochant d'elle.
Contre sa poitrine, mon torse est au bord de l'implosion. Elle a mis des mots sur tellement de mes ressentis que je ne suis pas capable d'ajouter quoi que ce soit. C'est une personne formidable et rien de ce qu'elle dira ne pourra me faire changer d'avis.
— Non, Raven, non... J'ai fait des choses horribles...
Je secoue la tête, m'apprête à rétorquer, mais elle plaque son index et son majeur sur mes lèvres pour me faire taire. Entre nous, l'atmosphère est électrisante. Nos corps se frôlent et leur chaleur s'enlace à notre place.
— J'ai fait beaucoup de mal autour de moi. À toutes les personnes que j'aimais et qui m'aimaient aussi.
— Gale ? demandé-je contre ses doigts.
Sa main quitte mon visage pour se déposer au centre de mes pectoraux.
— Gale... confirme-t-elle. Et mes deux frères. Mon grand frère, mon petit frère... J'ai déçu mes parents, j'ai foutu ma famille en l'air... Je me suis enfuie, aussi. Je les ai tous lâchés sans prévenir. Pour les protéger de mon chaos. Ils me détestent sûrement tous maintenant, mais au moins je ne risque plus jamais de m'en prendre à eux, tu comprends ? Et je ne veux pas que ça arrive avec toi. Je ne veux pas te faire souffrir comme je les ai fait souffrir. Alors je ne peux pas, je ne peux pas autoriser mon cœur à battre pour toi. Je nous ferais exploser tous les deux.
Si je n'avais pas moi-même toutes les raisons du monde de refuser cette relation, je lui aurais sans doute dit que je me fichais de ce qu'elle avait pu faire dans le passé. Que j'étais sûr qu'elle n'avait pas fait tout ça pour rien. Je lui aurais trouvé des dizaines et des dizaines d'arguments pour la faire revenir sur sa décision. J'aurais fini par y arriver, j'en suis persuadé. Mais je me contente de hocher la tête et Savannah m'imite. La boule que j'ai dans la gorge est un véritable calvaire pourtant je parviens à articuler quelques mots. Quelques mots qui valent plus pour moi que tous ce que j'aurais bien pu lui dire si j'avais eu la force de lui avouer que je l'aime.
— Je veux pas te perdre, Sav'. Je regrette pas ce qui a failli arriver entre nous, jamais je regretterai. Par contre, je veux pas que ça nous change. Je veux pas que ça nous empêche de discuter comme avant, d'être les amis qu'on a fini par devenir à force d'insistance de ma part.
Un sourire baigné de larmes creuse les joues de l'Hirondelle et mon estomac se noue. Putain... je l'avais jamais vue aussi mal...
— On a qu'à... j'en sais rien... sceller cette relation qu'on aura jamais, ajouté-je. Ici. Pour pouvoir passer à autre chose. Mais y'a pas moyen qu'elle nous éloigne, je tiens trop à toi.
Savannah dépose ses bras autour de ma nuque, évince la faible distance qui nous séparait encore et redresse la tête au moment où je baisse la mienne vers elle. Lentement, je dépose mes paumes sur ses hanches, me laissant enivrer par son odeur ambrée. Sa respiration qui se dépose sur ma peau m'envoie un paquet de frissons. Elle arrête le temps à elle toute seule. Elle contrôle l'intégralité de mes pensées.
— On la scelle et ensuite on redevient ce qu'on était ?
Hypnotisé par les sensations que cette fille me procure, je ne peux rien faire d'autre qu'acquiescer. Dans une espèce d'envie mutuelle, nos lèvres se rejoignent. D'abord, notre baiser est timide. Bien plus que la nuit de la fête. Mais petit à petit, sa langue séduit la mienne, ses doigts plongent dans mes cheveux et je perds pied. Je m'évade avec elle dans un autre monde, dans une réalité alternative où tout serait plus simple. Où je pourrais l'embrasser tous les matins et l'avoir dans mon lit tous les soirs. Où elle serait la mère de mes enfants et où on connaîtrait ce bonheur qu'aucun de nous n'a jamais pu approcher. Quand le rêve prend fin, nous déposons nos fronts l'un contre l'autre d'un commun accord sans pour autant nous séparer.
— Ne me protège jamais de ton chaos. Laisse-le m'exploser à la gueule. Tu n'es pas mon chaos, Savannah. Tu es ma supernova.
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Re, c'est moi. Comme promis, je vous poste la suite. Je ne sais pas si ça va servir à grand chose ou si ça va vous motiver à venir lire, mais j'avais besoin de faire un truc pour me faire pardonner, aha.
Isaiah n'est pas là. Vous pensez qu'il se passe quelque chose ? Ou alors Raven s'inquiète pour rien parce qu'il est stressé par tout ce qui lui arrive ?
Le discours de Savannah, vous qui avez lu N'aie Pas Peur, vous en pensez quoi ? Ça vous apporte des réponses, un peu ?
Alors, entre Savannah et Raven, ça va redevenir comme avant, vous pensez ? Ou alors peut-être que vous trouvez qu'ils vont bien ensemble ?
La musique, je l'ADORE. J'ai saigné l'album de Girlfriends quand il est sorti, j'aime trop trop trop ce groupe. On apprécie ?
Voilà, je m'en fais encore une fois de ce pas vous poster la dernière partie du chapitre.
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