Chapitre 19 | 2
"Must bar the windows and the doors
To keep me safe to keep me warm."
Head Above Water – Avril Lavigne. (En média).
Déterminée à crever l'abcès, je grimpe les escaliers de cet immeuble inconnu quatre à quatre. Je suis trop en colère pour attendre patiemment dans l'ascenseur. J'ai besoin de bouger, besoin de déverser un peu de l'énergie qui pulse dans mes veines. Il faut que je la laisse saigner de mes blessures sinon je risque d'exploser, de laisser mon ressentiment s'exprimer à ma place quand j'aurais mon grand-père en face de moi. J'ai encore du mal à croire qu'il se soit servi de ma mère pour m'atteindre. De tout ce qu'il aurait pu lui dire, il a choisi de se plaindre de ma réaction comme un enfant alors que c'est lui qui m'a poussée à bout. Il a piétiné mes limites, puis il est venu taper du pied auprès de ma mère quand elle l'a appelé. Qu'est-ce qu'il croit ? Que je ne vais pas me défendre ? Que je vais me laisser traiter comme ça sans rien dire ? Hors de question. Si j'ai appris quelque chose du suicide d'Axel, c'est que se plier en quatre pour plaire aux gens ne fonctionne pas. J'ai eu beau prendre sur moi pendant des années, emprunter les chemins qu'on avait tracé à ma place, ça n'a jamais suffi. Je n'ai jamais été assez parfaite aux yeux des médias, j'aurais toujours pu faire mieux à ses yeux à lui. Alors aujourd'hui, la nouvelle Willow prend le relais et elle, elle sera parfaite. Elle sera parfaite parce qu'elle sera heureuse, parce qu'elle osera l'être à sa façon. Mes défauts, mes envies, mes failles font de moi qui je suis et si papa arrive à en être fier peu importe ce qu'il advient de ma vie, je devrais l'être aussi.
Je ne laisserai plus personne me dire qui je dois devenir. Je ne laisserai plus personne me forcer à penser que je ne suis pas assez bien. Je ne laisserai plus personne me faire croire que je n'en vaux pas la peine. Alors qu'ils aillent tous au diable. Mon grand-père, ma mère et même Raven. Je suis Willow Hamilton et je brillerai, je vivrai, je saignerai qu'ils le veuillent ou non. À ma manière. Remontée à bloc, je toque avec un peu plus de virulence que prévu sur la porte d'entrée foncée et patiente en tapant du pied sur le paillasson marron. Plus les secondes passent, plus les scénarios s'enchaînent dans mon esprit. J'imagine ce que je pourrais dire, ce qu'il pourrait répondre et comment je pourrais l'envoyer promener si jamais il refuse de m'écouter. Comme si je répétais mon texte juste avant la scène clé d'une pièce de théâtre à succès dont je ne connais pas la fin.
— Bonjour ?
Une voix étrangère me tire de mes réflexions et je me rends compte qu'une femme d'une cinquantaine d'années tirée à quatre épingles me scrute avec curiosité sur le seuil de l'appartement de mon grand-père.
— Est-ce que je peux t'aider ? m'interroge-t-elle tout sourire.
Mon amertume s'envole. Elle laisse place à une confusion qui doit se lire sur mon visage puisque le fin rictus de l'inconnue s'agrandit alors qu'elle enfile la paire de lunette qui pendait à son petit pull en cachemire beige.
— Est-ce que tu es Willow ?
— Non... enfin si, oui... Veuillez m'excusez, madame, balbutié-je, consciente de mon impolitesse. Je m'appelle Willow, Willow Hamilton et je suis à la recherche de Scott Hamilton, je pensais qu'il habitait ici, est-ce que je me suis trompée de numéro ?
— Oh, non, ma grande. Tu es bien chez lui, chez nous, en réalité.
J'écarquille les yeux tandis qu'elle tend sa main gauche vers moi. Je la lui serre sans réfléchir en fixant l'alliance en or qui orne son annulaire tout fin.
— Vous... vous êtes sa...
— Sa femme, oui, acquiesce-t-elle dans un petit rire. Je m'appelle Katherine, mais tout le monde m'appelle Katy. Ou Kate.
— Oh... Je... j'ignorais qu'il s'était remarié.
Katherine perd son air enjoué, visiblement surprise, mais se reprend tout de suite.
— Je suppose qu'il n'a pas encore eu le temps de t'en parler, avec tout ce qui s'est passé entre vous ces dernières semaines...
Son ton si avenant faiblit et je jurerais qu'une ombre de tristesse voile ses traits une seconde.
— Il vous a raconté ? m'étranglé-je
— Disons plutôt que je lui ai fait subir un interrogatoire musclé quand j'ai remarqué sa mauvaise humeur.
Elle glousse mais je ne parviens pas à réagir. Est-ce que grand-père est remarié depuis longtemps ? Pourquoi ne l'a-t-il dit à personne ? Est-ce que Granny et papa sont au courant ? Est-ce qu'il comptait même nous le dire un jour ?
— Enfin bref, j'en sais suffisamment, reprend-elle sans doute pour combler mon silence. En tout cas, tu l'as loupé, il est parti il y a une demi-heure. Est-ce que tu veux entrer boire quelque chose le temps que je l'appelle ? Il ne sera pas de retour avant tard ce soir...
— Non... non. Ne vous embêtez pas, madame. Je repasserai un autre jour. Excusez-moi de vous avoir dérangée si tôt le matin.
Alors que je tourne les talons pour m'enfuir de cet endroit, la voix douce de Katherine retentit dans mon dos.
— Tu devrais lui laisser le bénéfice du doute, tu sais.
Je m'arrête, fronce les sourcils, mais ne me retourne pas.
— Le patinage, c'est toute sa vie. Il a toujours rêvé d'avoir quelqu'un avec qui partager ça, avec qui partager sa passion. Ses parents se sont toujours battus contre lui, contre ses rêves. Son fils détestait le sport et son ex-femme ne le comprenait pas. Tu es la seule personne avec laquelle il a ce point commun. Il pensait que rien ne pourrait briser ça entre vous, et puis il y a eu cet accident... Il a peur de perdre ce lien qui vous unis tous les deux et qu'il n'a jamais eu avec quiconque si jamais tu ne remontes pas sur la glace.
— Ça ne lui donne pas le droit de décider à ma place, ni de me traiter comme il l'a fait, murmuré-je pour masquer l'émotion qui me serre la gorge.
— C'est vrai. Et je ne te demande pas de ne pas lui en tenir rigueur. Je voudrais juste que... Willow, ne le laisse pas sortir de ta vie. Tu comptes pour lui. Il a juste besoin d'accepter de dire au revoir à cette partie de toi dans laquelle il se retrouvait tant. Je le connais, tu sais, il est simplement terrorisé à l'idée de te voir t'éloigner si jamais vous n'avez plus le patinage pour vous rapprocher. Comme s'il y avait une chance que tu deviennes quelqu'un d'autre, tu comprends ?
Elle soupire.
— Tu as le droit de quitter le monde du sport, évidemment que tu as le droit. Et tu as aussi le droit de lui en vouloir pour ses actes et ses paroles, il n'est pas tout blanc. Tu mérites de faire quelque chose qui te fait du bien. Mais s'il te plaît, accorde-lui le bénéfice du doute, répète-t-elle dans une supplication que je préférerais de pas affronter.
— Je repasserai un autre jour, merci, madame, lâché-je avant de dévaler les escaliers en sens inverse.
×××
Katherine ne peut pas être une connaissance récente. Je ne sais pas depuis combien de temps elle côtoie grand-père ni depuis combien de temps ils sont mariés mais une chose est sûre : ça ne date pas d'hier. Elle parle de lui comme si elle le connaissait depuis des années. Elle le protège comme si elle l'avait aimé toute sa vie. Tout se mélange dans ma tête. Ma colère contre lui, l'émotion que le discours de sa femme a provoquée en moi, l'incompréhension qui ne m'a pas quittée. J'ai l'impression de redécouvrir mon grand-père. D'ouvrir les yeux après avoir vécu avec de mauvaises informations pendant des lustres. Est-ce qu'elle a raison ? Est-ce qu'il fait ça parce qu'il a peur de perdre sa passion qu'il n'a vu briller dans les pupilles de personne d'autre que moi ? Pourquoi ne me l'a-t-il jamais dit ? Pourquoi remplacer ce genre de confidence par un silence glaçant ? Je ne sais plus quoi penser. Je ne sais plus quoi faire. Et le fait d'espérer que Raven entre dans le bar depuis plus de quatre heures ne m'aide pas à y voir plus clair. À vrai dire, ça ne fait que rendre les choses encore plus floues.
— Bah alors, c'est quoi cette petite tête ? me lance Lucy en s'asseyant au bar alors que je prépare le cappuccino d'une étudiante qui passe des heures ici chaque midi.
— Oh, rien, je n'ai pas très bien dormi, voilà tout.
Je souris comme je peux au Rouge-Gorge, qui n'est pas dupe.
— C'est un garçon, c'est ça ? À qui je dois arracher les testicules avec les dents, encore ?
Sa remarque m'arrache un pouffement malgré moi. Je scrute les alentours à la recherche du Corbeau par réflexe mais secoue la tête.
— Non, rien à voir avec un garçon...
— Alors c'est forcément la famille, affirme Maïa en s'affalant sur le tabouret à côté de Lucy.
Je la dévisage quelques secondes. Elle ne porte pas son uniforme de cuisinière. Est-ce que son dernier jour parmi nous est déjà arrivé ? Est-ce qu'elles sont toutes les deux en congé ?
— Gagné, soufflé-je en me dirigeant vers la table six.
Avec une moue polie, je dépose sa commande devant la cliente, lui souhaite machinalement une bonne dégustation et repars en direction du bar ou mes deux collègues en civil m'attendent toujours.
— La famille, c'est toujours un nid à problèmes, lâche Maïa, toute grimaçante.
J'acquiesce sans un mot, peu convaincue.
— Bon, eh bien puisque tu as bien besoin de te changer les idées, je t'invite à la fête d'anniversaire de Maïa samedi soir.
— Si c'est ma fête et mon anniversaire, c'est pas à moi de l'inviter ? rétorque Maïa alors que je ris à nouveau.
— Elle t'invite aussi, renchérit Lucy en passant son bras nu sur les épaules de son amie, qui roule des yeux. Pas vrai mon petit Crapaud ?
— T'es infernale !
— Allez, dis oui ! la Colombe va finir par croire que tu veux pas d'elle !
La voix de Lucy part dans les aigües alors qu'elle prend un air faussement indigné. Même si je ne suis pas fan de l'idée qu'elle m'impose à la soirée de quelqu'un d'autre, son petit jeu me déride. Sa complicité évidente avec Maïa aussi. C'est le genre d'amitié que j'ai toujours eue. Le genre d'amitié qui m'a toujours remonté le moral. Le genre d'amitié que je ne vivrai jamais plus.
— Bien sûr que c'est oui ! finit par s'écrier la cuisinière. C'est à 21 heures, à cette adresse.
Elle me tend une petite carte verte que je glisse dans ma poche en la remerciant. Lucy m'informe qu'elle a hâte de m'y voir et me menace à demi-mot de venir me chercher elle-même si j'ai dans l'idée de ne pas venir et je crois que ça me fait du bien. Sa bonne humeur me fait du bien. Le fait que quelqu'un veuille de moi quelque part me fait du bien.
— Bon, c'est pas tout ça, mais il y a quelqu'un ici qui me doit des tacos maison !
Le Rouge-Gorge se lève et entraîne Maïa vers la sortie.
— Tu veux te joindre à nous, peut-être ? Ça pourrait t'aider à penser à autre chose, lâche-t-elle en jetant un coup d'œil par-dessus son épaule.
— Non, non, c'est gentil. Je n'ai pas très faim. Mais tu pourras venir me raconter comment sont les tacos de Maïa.
— Ah ça, compte sur moi !
Amusée, je souffle du nez avant de lui faire un petit signe de la main.
— Si elle n'engloutit pas tout, je t'en garderai un ou deux pour te faire goûter ! me propose Maïa alors que notre collègue la traîne à l'extérieur.
Je secoue la tête, un rictus agréable désormais incrusté sur le visage.
Merci pour le sourire, les filles.
Un peu apaisée, je m'apprête à avertir Savannah que je prends ma pause du midi quand un téléphone atterrit juste devant moi sur le comptoir. Un sourcil arqué, je fais volte-face pour comprendre d'où il vient.
— Tu pourrais aller rendre ça à Raven ?
Un rire cynique m'échappe.
Bonjour à toi aussi, Maxxie, tu n'es pas en cours ? J'espère que ça va, au moins. Parce que moi ça ne va pas du tout et ton meilleur ami et toi êtes les dernières personnes à qui j'ai envie de parler.
— C'est marrant, je pensais que son meilleur ami, c'était toi, craché-je presque.
— J'sais pas c'que tu me reproches, mais je sais que t'en veux à Raven sans rien savoir et je voudrais que t'ailles le voir.
— Ah, c'est dommage qu'on ait pas toujours ce qu'on veut, dans la vie, pas vrai ?
Non mais pour qui il se prend lui ?
— Donc il t'intrigue suffisamment pour que tu le suives dans un endroit dangereux mais pas pour découvrir la vérité sur lui ?
La fierté piquée à vif, je croise les bras sur ma poitrine en sentant une chaleur me monter aux joues. Pourquoi est-ce que je rougis, comme ça ? Ce n'est pas moi qui devrais avoir honte, c'est lui. Même si ce que j'ai fait n'était pas très malin, c'est lui qui se fait éclater la tête dans un endroit douteux, alors c'est lui qui devrait rougir.
— La vérité ? Et quelle vérité, hein ? J'ai cru qu'il lui arrivait quelque chose de grave quand il disparaît pendant des jours. Des vrais trucs graves qu'il ne contrôle pas comme de la maltraitance. Mais en réalité, il court lui-même dans la gueule du loup ! Il prend le risque de se faire tuer à chaque fois qu'il y va et pourtant il continue. Les mecs en manque d'adrénaline comme lui ne m'intéressent pas !
— Est-ce que tu t'es demandée pourquoi il faisait ça ?
Le bassin appuyé contre l'évier, Maxxie me fixe avec nonchalance. Cet air doux qu'il arbore d'habitude s'est complètement évaporé. On dirait bien que quand il s'agit de Raven, il montre vite les crocs.
— Je me fiche de savoir pourquoi il fait ça ! Il y a des gens qui se font vraiment martyriser par leur famille et lui il s'inflige ça tout seul !
— Ramène-lui, me somme le Moineau en désignant l'appareil, tu pourrais être étonnée. Parfois, si on prend la peine de passer par-dessus nos préjugés, on se rend compte que tout n'est pas tout noir ou tout blanc.
Et il s'en va. Comme ça. Sans me laisser le temps d'accepter ou de refuser. Il manque pas de culot celui-là. Attirée par le Blackberry noir, je ne peux pas m'empêcher de m'en emparer. Une feuille pliée en deux fait son apparition au moment où je le soulève et mon cœur se serre. Non, Willow, non. C'est une erreur.
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Coucou tout le monde,
Je suis encore et toujours absent. Encore et toujours hyper occupé en ce moment, et encore et toujours avec une santé mentale de merde. Mais je m'accroche à mes projets et si je me dépêche de publier, je vais pouvoir passer sur quelques uns de vos commentaires, et ça, ça me fait plaisir.
Plus que 6 chapitres, déjà, c'est fou... J'espère que cette histoire vous plaît, parce que le meilleur arrive...
Du coup, la femme du grand-père, elle vous a convaincu.e.s ? Elle vous a donné envie de laisser le bénéfice du doute au vieux monsieur grincheux ?
Cette soirée, vous pensez que c'est une bonne idée, vu comment s'est terminée la dernière ? Vous pensez que ce sera différent avec Lucy et Maïa ?
Et le Moineau, on pense quoi de son intervention ? Culotté et relou ou plutôt pertinent ?
La musique, je l'aime d'un amour incommensurable. Avril Lavigne, vraiment, la femme de ma vie. La chanson vous plaît ?
Voilà, voilà, c'est tout pour moi. J'essaie de poster la suite ce week-end. Et je cours sur vos commentaires avant de devoir encore repartir. Il me reste quelques minutes, alors je compte bien en profiter !
Prenez bien soin de vous, les potes. J'espère que vous allez bien.
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