Chapitre 17 | 1

"When it gets heavy, sometimes I've got doubts

And I'm just trying to keep these shadows out."

Safe – Banners. (En média). 


Arrivé devant l'immeuble des Jensen, je m'immobilise, las. Je ne sais pas si j'attends que le courage s'empare de moi ou si je prie pour que quelque chose me sauve de ce qui va me sauter à la gorge, mais je ne bouge pas. Je me contente d'observer le bâtiment gris et la rue déserte. Dans quelques minutes, le voisin d'en face va sortir en trombe de chez lui pour se jeter dans sa petite voiture noire sans m'adresser la parole. Il regardera sa montre des dizaines de fois avant de démarrer puis le reste du monde suivra. Comme si les retards constants de ce type sortaient tout le quartier de son lit, le faisaient vibrer...

— Merde, merde, merde, je suis super à la bourre !

Le vieux grincheux traverse la route pour passer devant moi et claquer la portière de sa vieille Bentley. Un demi-sourire caresse mes lèvres. Peut-être qu'aujourd'hui, c'est moi que ce mec vient de réveiller. Dans un long soupir résigné, je calcule la distance qui me sépare de l'échelle de secours puis grimpe sur la benne à ordure en ferraille entourée de sacs-poubelles. Aujourd'hui, je ne peux pas me permettre d'attendre sous le porche, je veux me laisser une chance de ne pas me faire punir. Le machin branlant grince sous mon poids mais je suis trop concentré à tenter d'ignorer l'odeur nauséabonde qui me noie les narines pour y prêter attention. Quand j'atteins enfin un barreau rouge de rouille malgré les mouches qui me tournent autour, je me hisse dans la cage d'escalier à la force des bras et monte en vitesse les deux étages qui se dressent encore entre mon enfer et moi.

On y est. Face à la fenêtre de ma chambre, je prends une profonde inspiration. Faites que personne n'ait refermé... Après encore quelques secondes d'hésitation, je me décide à faire coulisser la vitre vers le haut. Je n'ai pas le temps de me glisser dans la pièce sombre qu'une silhouette déterminée fait barrage. Les mains sur mes épaules, elle me repousse par à-coups en grimaçant.

— Putain, Erika, à quoi tu joues ? Je suis pas d'humeur, là.

Le stress pulse dans mes veines ; si ses parents nous entendent nous disputer et qu'ils voient que je rentre par la fenêtre, je ne donne pas cher de ma peau.

— Va-t'en, Raven ! chuchote-t-elle avec de petits gestes pressés.

— Arrête tes conneries, pousse-toi de là !

Excédé, je tente de forcer le passage mais ma cousine s'extirpe de ma chambre, emmitouflée dans son peignoir rose bonbon. Ses grands yeux noirs me fixent d'une drôle de façon alors qu'elle écarte ses cheveux frisés de son visage. Sa peau métisse est marquée par la fatigue, pourtant je pourrais jurer qu'il n'y a pas que ça. Je pourrais jurer qu'un truc cloche.

— Je t'ai dit de ne pas revenir ce matin, pourquoi t'écoutes jamais rien ?! s'énerve-t-elle en triturant l'un de ses faux-ongles peinturluré de mauve.

— Mais qu'est-ce qui te prend ? Tu sais très bien que ça va faire qu'empirer les choses si je me pointe pas maintenant !

J'essaie comme je peux de baisser le volume de ma voix au maximum, mais je suis tellement crispé par l'angoisse que j'ai l'impression de hurler sur Erika. Qu'est-ce qui lui arrive, merde ? Elle bouge jamais le petit doigt pour m'aider et là elle essaie de faire quoi ? De me sauver en me foutant encore plus dans la merde ? Cette fille est pas croyable...

— Ils vont bientôt se lever, t'as encore le temps de t'en aller sans qu'ils te voient ! Je leur dirai que tu es arrivé dans la nuit et que tu es parti travailler plus tôt ce matin... tu sais à quel point ils aiment savoir que tu te consacres au job qu'ils t'ont trouvé.

Ouais, tant qu'ils peuvent se goinfrer avec mon fric, ils sont contents d'avoir hérité de leur neveu encombrant.

— Écoute, j'ai pas envie de me battre, je suis épuisé, là... Te mêle pas de ça et tout ira très bien pour toi, soufflé-je, découragé.

— Bordel, arrête de jouer au con !

Elle me frappe les côtes du dos de sa main et un gémissement que j'essaie de ravaler m'échappe. Quand j'attrape mon flanc par réflexe, Erika exhale toute sa colère puis croise les bras sur son buste.

— Tu crois que c'est facile, pour moi ?

Je crache un rire caustique.

En tout cas c'est pas trop dur.

— J'hallucine, s'outre-t-elle en secouant la tête avec énergie. Je ne vis peut-être pas ce que tu vis mais j'habite ici aussi, espèce d'imbécile ! Je me fais un sang d'encre à chaque fois qu'ils te foutent là-dedans ! Je m'en veux chaque seconde de rien faire pour t'en sortir ! Je sursaute à chaque bruit sourd de peur que ce soit toi qui t'écroules ! Je cauchemarde toutes les nuits du jour où ça finira par te tuer ! Je me...

Sans réfléchir, je l'enveloppe d'une étreinte protectrice.

— Hey... Erika...

Son cœur bat fort, ses muscles tressautent, pourtant à mon contact, elle se calme. Elle reprend sa respiration.

— S'il te plaît, pars d'ici... laisse-moi essayer de les convaincre de ne pas te punir...

Sa voix qui déraille me retourne l'estomac. Je ne savais pas qu'elle vivait aussi mal la situation ; elle a toujours l'air si impassible, si froide...

— Okay, okay... cédé-je. Je vais aller chez Maxxie et on verra pour le reste plus tard, d'accord ?

— Un pas après l'autre ?

Même si son chuchotement est presque inaudible, j'ai l'impression qu'il ravage tout dans ma poitrine. Que quelqu'un vient de m'envoyer cette question en pleine figure comme une énorme claque, un putain d'uppercut. Le ton larmoyant de Dawn s'élève dans mon esprit alors que je la réentends prononcer ces mots. La brûlure du manque est insupportable, la culpabilité m'étouffe, tout devient flou autour de moi.

Un pas après l'autre, petite sœur. On ira loin.

ᴥᴥᴥ

Éreinté, je dépose ma tête contre le mur en attendant que Maxxie viennent m'ouvrir. Je ne sais pas pourquoi j'ai écouté Erika. Toutes ces conneries vont me valoir des heures et des heures de torture et tout ça pour quoi ? Parce que je suis pas foutu de supporter les sanglots de quelqu'un ? Quelle merde... La porte du petit appartement s'ouvre brusquement mais ce n'est pas mon meilleur ami qui me dévisage avec étonnement. Soudain mal à l'aise, je me redresse d'un mouvement vif sans savoir où me mettre.

— Oh, Raven, bonjour.

— Madame Charles...

Je grimace un pauvre sourire de politesse tandis que la mère de Maxxie m'observe de haut en bas.

— Qu'est-ce qui t'amène si tôt ? m'interroge-t-elle en replaçant ses énormes lunettes sur le bout de son nez pointu.

— Je... je venais voir Maxxie pour... pour euhm...

Fait chier.

— Je vois... soupire la cinquantenaire en levant les yeux au ciel. Toi aussi tu reviens de cette soirée, c'est ça ?

Le petit rictus au coin de ses lèvres toutes fines me perturbe. Je n'arrive pas à savoir si elle se fout de moi ou si elle tente un truc pour savoir ce que faisait son fils hier soir.

— Je... Je voulais juste voir Maxxie...

— Ne fais pas cette tête de dix kilomètres, Raven. J'ai été jeune avant vous, tu sais !

Son rire résonne dans l'immeuble entier pourtant je ne me sens pas plus serein. Avec ce qui se passe chez les Charles en ce moment, je n'ai vraiment pas envie de faire de gaffe et cette femme ne m'aide pas. Elle ne laisse aucun indice transparaître, je suis incapable de savoir si elle est sincère ou si elle s'en prendra à Maxxie dès que je serai parti. Comme la plupart des adultes que je côtoie, je n'ai aucune confiance en elle.

— Entre, m'invite-t-elle en s'écartant du pallier pour me faire passer. Maxxie est encore au lit, mais mets-toi à ton aise.

— Merci beaucoup, Madame Charles.

Je pénètre dans le couloir étroit la tête baissée et me dirige vers la chambre de mon meilleur ami d'un pas rapide. J'entends sa mère râler en me répétant une énième fois de l'appeler par son prénom mais je ne réponds pas. Le nez dans son coussin, Maxxie grogne quand je m'installe dans son lit à côté de lui :

— Hum, Rav... pourquoi tu me réveilles à une heure pareille ?

Sa voix endormie est pleine de reproches, pourtant Maxxie se retourne et se blottit contre moi. Son oreille sur mon torse, il se plaint encore quelques minutes sans se rendre compte que sa petite mascarade détend chacun de mes muscles un à un. Ma conversation avec Erika, mon presque dérapage avec Willow, les paroles de Dawn... tout s'efface pour ne plus laisser place qu'à la chaleur du corps de Maxxie contre mien. Cette habitude qu'il a de m'accueillir comme sa famille peu importe le moment, peu importe ce que j'ai pu faire ou ne pas faire, peu importe ce qui se passe dans sa vie me fait du bien. J'ai l'impression qu'avec lui à mes côtés, plus rien ne peut me toucher. Mon existence ne peut pas me rattraper.

— Il est presque sept heures trente, espèce de flemmard, lâché-je en refermant mes bras autour de son dos.

— Mais non... impossible... j'ai trop mal au crâne, on peut pas me faire ça...

Un léger rire me secoue. Je vois que même après mon départ, il a continué d'enchaîner les verres...

— T'es qu'un lâcheur, m'accuse-t-il en se serrant un peu plus contre moi.

— Je suis désolé, Max... Willow était pas hyper bien, elle m'a demandé de la raccompagner...

— Qu'est-ce que t'as avec cette fille ?

Son ton pâteux devrait m'aider à relativiser, à trouver une vanne ou deux à lui sortir pour éviter le sujet Willow pourtant je ne peux pas m'empêcher de me raidir.

— Rien, il se passe rien, marmonné-je à toute vitesse. Mais il s'est passé un truc avec Sav'...

Je n'avais pas envie d'en parler à qui que ce soit avant d'avoir eu une discussion avec Savannah, mais c'est la seule diversion que j'ai trouvée... J'espère juste que Maxxie est trop dans le coaltar pour remarquer mon petit manège ridicule.

— Ah bah c'est pas trop tôt, je pensais que vous alliez vous tourner autour indéfiniment !

Exaspéré, je me marre comme un abruti jusqu'à ce que l'air peiné de Willow me revienne en tête. Quand sa grand-mère lui a annoncé qu'elle ne pourrait pas venir avec elle à Times Square, on aurait dit que quelque chose s'effondrait à l'intérieur de sa poitrine, qu'un truc foirait et que rien ne pourrait plus le réparer. Je suis peut-être complètement à côté de la plaque, mais j'ai eu la sensation de me retrouver en elle, à ce moment-là. Je me suis reconnu dans sa déception. Je me suis vu des années auparavant, le jour où ma mère m'avait promis de m'emmener au cinéma pour qu'on prenne un nouveau départ après une éternité de cauchemar. Elle avait fini par briser sa promesse au profit de ses recherches. De ses investigations. De tout ce qui ne l'a jamais menée nulle part ailleurs qu'un peu plus loin dans son anorexie et sa dépression.

— Max...

— Hum ?

— Ça te dirait de passer l'après-midi dans Times Square avec moi ?

Maxxie s'assoit brusquement sur son matelas. Dans la pénombre de sa chambre légèrement illuminée par les quelques rayons de soleil qui se faufilent entre ses rideaux noirs, je ne suis pas en mesure de déchiffrer les émotions qui passent sur son visage. Tout ce que je perçois, c'est le regard insistant qu'il darde sur moi.

— Je bosse cet après-midi, lâche-t-il, soudain distant.

— Demande à Maïa de...

— Elle doit s'occuper de Joey.

Je souffle.

— Demande à Isaiah, alors. Il a besoin de thunes, il sera ravi de te remplacer.

— Je ne peux pas...

— S'il te plaît, Max'... tu connais cet endroit comme ta poche...

— Toi aussi je te signale.

Je déteste quand il est sur la défensive comme ça. Dans mon esprit, tout me hurle de ne surtout pas insister, de ne pas me mêler de la vie de Willow et de me concentrer sur la mienne mais sa douleur me parle beaucoup trop pour que je n'essaie pas de l'atténuer.

— Mais t'as passé tellement de temps là-bas...

— Oui, Raven. Avec Dawn !

Mon cœur se serre en même temps que le ton de Maxxie déraille. Toutes les fois où je n'ai pas été là, toutes les fois où j'ai été un grand-frère merdique, toutes les fois où je n'ai pensé qu'à moi, Max' a été présent pour Dawn. Il l'emmenait faire un tour dans Times Square en attendant que je revienne et ma sœur finissait chaque fois avec des étoiles dans les yeux. Des étoiles que je donnerais tout pour revoir.

— Justement... murmuré-je. Je voudrais emmener Willow là-bas sauf que...

Ma gorge se serre, de lourdes larmes manquent de s'éclater sur mes joues. Comme pour cacher ma détresse, je plaque mon bras sur mes yeux en m'enfonçant de tout mon poids dans le lit de Maxxie.

— Sauf que quoi, Raven ?

Mon meilleur ami se radoucit pourtant ma tristesse s'exacerbe. Même après tout ce temps, ça fait toujours aussi mal, putain.

— Sauf que je peux pas aller là-bas tout seul... pas sans quelqu'un qui... qui...

Un sanglot finit par m'échapper.

— Quelqu'un qui sait ? chuchote Maxxie en reprenant sa place sur mon épaule.

— Ouais... quelqu'un qui sait... Ce serait trop dur sans toi, Max'...


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Coucou tout le monde,

Je n'ai pas été présent la semaine dernière, je suis désolé. La période des fêtes n'est pas une période facile ni agréable pour moi alors j'ai eu besoin d'un temps pour souffler. De toute façon je suppose que tout le monde a été bien occupé, donc ça n'a pas changé grand chose. J'espère néanmoins que vous avez été gâté.e.s à Noël si vous le fêtez, que ce soit par les moments, par l'amour ou par les cadeaux. Et je vous souhaite également une très belle année 2023, en croisant les doigts pour qu'elle vous apporte tout ce dont vous avez besoin. Puisse-t-elle être l'année ou vous vous trouverez et vous épanouirez pleinement. Parce que rappelez-vous que vous méritez toustes le bonheur et que vous êtes capables de tout accomplir. 

En tout cas, si certain.e.s d'entre vous sont encore présent.e.s ici, j'espère que ce chapitre vous plaît, et on passe au blablatage habituel !

Vous pensez quoi de la cousine ? Elle fait bien de ne pas laisser Raven rentrer, à votre avis ? 

D'ailleurs, en parlant de Raven, vous pensez que c'est une bonne idée d'aller à Times Square malgré les souvenirs douloureux qui y dorment ? Et Maxxie, il va finir par l'accompagner, vous pensez ? 

La musique, un groupe assez connu, notamment depuis la sortie d'After en film, mais vous aimez bien ? 

Ah, et si jamais vous avez eu des cadeaux, vous avez eu quoi ? Je suis curieux. 

Voilà voilà, c'est tout pour moi. Je vous souhaite une belle fin de journée. 

Prenez bien soin de vous en cette nouvelle année, les potes. 

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