Chapitre 13 | 2
"'Cause I get so lonely, and you get so low
And I looked so stupid when I lose control.
I'm alone in my bedroom and the walls are cavin' in
And I thought I'd be happy, but I'm barely breathing."
Falling Up – Dean Lewis. (En média).
Le visage inexpressif, Isaiah s'approche du bar alors que les premiers clients se pointent. Il regarde le sol jusqu'à ce qu'il arrive à ma hauteur et j'ai envie de le secouer pour qu'il arrête son petit manège. Ce n'est pas son genre de se la jouer impassible. Pourtant, une fois face à moi, il ne laisse toujours rien paraître.
— Alors, comment ça s'est passé ?
— Le mec veut te voir, Rav'.
Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Et si le roi des piafs me virait pour donner sa chance à Isaiah ? Je pensais que ma gaffe de l'autre jour avait suffi pour me sauver la mise, mais si ça se trouve, mon licenciement est prévu depuis deux jours. Les jambes en coton, je quitte mon poste sans un mot pour personne. Savannah m'envoie un coup d'œil interrogateur quand elle me croise en revenant avec deux assiettes vides dans chaque main mais je suis incapable de m'exprimer autrement que par un signe de tête que j'espère rassurant.
Le voyage dans l'ascenseur me paraît à la fois durer une éternité et passer beaucoup trop vite pour que j'aie le temps de calmer mon stress. Mon avenir risque de se jouer pour le pire d'une seconde à l'autre... Prenant une profonde inspiration, j'essaie de me dire que, si jamais je perds ce job et qu'on ne m'autorise pas à en trouver un nouveau, je pourrais toujours me réfugier chez Maxxie dans les moments les plus sombres. Ce serait l'enfer sur terre, mais j'aurais peut-être une chance d'y survivre le temps de récolter assez d'argent grâce Joachim, grâce à mes petits extras pour me barrer de cette ville. L'image de ma mère qui replonge alors que je galère à nous trouver un toit envahit mes pensées comme un avertissement ; si je perds ce travail, je condamne ma famille. Non. Non. Non. Il faut que je trouve un moyen de plaider ma cause auprès de monsieur Langlois.
— Je t'en prie, Raven, assieds-toi.
L'estomac en vrac, je me souviens à peine être entré dans la pièce. Mon patron me couve de son regard protecteur habituel mais je ne me sens pas tranquille pour autant. J'ai envie de l'implorer avant même qu'il ne prononce le moindre mot, pourtant ma voix refuse de s'élever ; tout ce que je suis en mesure de faire, c'est m'affaler sur l'une des deux chaises molletonnées qui font face à son bureau bien rangé.
— ... je veux que tu me le dises, d'accord ?
Le ton bienveillant du vieil homme m'apparaît comme un son étouffé et plusieurs longues secondes s'écoulent avant que je ne comprenne que ma panique n'a fait qu'une bouchée de son monologue.
— Qu... quoi ? balbutié-je, à deux doigts de cracher mes tripes au visage de mon patron.
— Ce que tu m'as dit à propos de Sharon, je n'en avais aucune idée. J'ai parlé avec elle, et je peux t'assurer que ce problème est réglé. Je voulais que tu le saches parce que j'aimerais que tu te sentes en sécurité, ici. Je t'ai promis que tu ne risquerais rien si tu me donnais ta confiance, ce n'était pas des paroles en l'air.
— Alors... je ne suis pas viré ?
Monsieur Langlois me sourit tristement. Je ne sais pas si c'est ma supplication à peine dissimulée qui le touche ou si c'est parce qu'il se sent coupable de me mettre à la porte, mais j'ai l'impression que quelque chose se brise à l'intérieur de lui.
— Non, Raven. Bien sûr que non.
Un immense soulagement me traverse de part en part. Je passe mes mains moites sur mon visage en relâchant toute la pression qui pesait sur mes épaules. Mon changement d'émotions est si brutal que je pourrais presque en pleurer. Je garde mon job. Le cauchemar ne va pas se transformer en calvaire.
— Mais j'aimerais que tu me promettes quelque chose, fiston.
Toujours tremblant, je scrute le roi des piafs, incrédule.
— Promets-moi de me parler si tu as des problèmes. Si tu as besoin d'aide.
Je baisse la tête, sachant pertinemment que je ne peux pas faire ça. Cet homme a beau être le plus attentionné que j'ai jamais rencontré, il a beau fermer les yeux sur mes nombreuses absences, sur toutes les contusions qu'il voit apparaître sur ma peau toutes les semaines, il ne peut rien pour moi. Il ne peut pas me sortir du sable mouvant dans lequel je m'embourbe un peu plus chaque minute.
— Promets-moi au moins de l'envisager, ajoute-t-il pour combler mon silence.
— Oui, monsieur, soufflé-je.
Langlois exhale, visiblement peu satisfait.
— Est-ce qu'il y a quelque chose que tu voudrais me confier, Raven ?
En pleine hésitation, je mords l'intérieur de ma joue.
— Elle ne s'adressera plus à mon oncle et ma tante, votre femme ?
— Ils sont amis de longue date, je ne peux pas t'assurer qu'elle n'ira rien leur raconter. Mais tu ne la croiseras plus ici, elle ne pourra donc plus surveiller le moindre de tes faits et gestes. Elle n'aura rien contre toi. Et si elle devient encore la cause de...
Les traits de mon patron se durcissent.
— ... de punitions, fais m'en part, d'accord ? Tu n'es pas tout seul, petit.
Un rire nerveux m'échappe.
— Jack et Kristen ne me punissent pas, lâché-je dans un mensonge éhonté en me levant avec précipitation.
Je salue le roi des piafs, le remercie à toute vitesse et m'enfuis de la pièce sans écouter sa réponse qui ressemble plus à une protestation. Au milieu du couloir qui mène à l'ascenseur, je percute Willow qui s'apprête à s'insurger, mais qui se stoppe net.
— Est-ce que ça v... eh, Raven, attends !
Trop tard, je m'engouffre déjà dans la cabine pour rejoindre le rez-de-chaussée.
ᴥᴥᴥ
Le nez dans mes dernières commandes, j'ai du mal à croire que la journée touche à sa fin. Mes collègues ont tenté de m'atteindre toute la matinée, mais ont fini par déclarer forfait quand ils ont compris que je n'étais pas d'humeur à expliquer quoi que ce soit à qui que ce soit. Lucy a beaucoup râlé avant de quitter le pub, Willow m'observait avec une inquiétude que je ne mérite pas et Savannah, elle, s'est contentée de me dévisager. Même Isaiah n'est pas parvenu à passer mon armure, et quand il est parti, je m'en suis voulu. J'étais tellement focalisé sur mon entrevue avec monsieur Langlois que je ne lui ai même pas redemandé pour son entretien d'embauche. Depuis la pause déjeuner, plus personne ne s'approche de moi de peur que je ne leur explose à la figure et ils ont raison. Je ne supporte rien, même pas les clients, alors si jamais quelqu'un essaie encore une seule fois de me tirer les vers du nez, je crois que j'aurais du mal à me contenir.
— Hey...
Une légère pression s'abat sur mon épaule. Sur les nerfs, je fais volte-face avec humeur mais me calme instantanément quand je tombe nez à nez avec le regard cristallin du Moineau. À ses côtés, l'Hirondelle me lance un coup d'œil concerné comme pour vérifier que je suis entre de bonnes mains, puis s'éloigne en retirant son tablier de serveuse. Elle a appelé Maxxie à la rescousse...
— Ça va ?
Face à la question compliquée de mon meilleur ami, je me contente de soupirer. Je souffle tout l'oxygène que j'ai en stock.
Non, putain, ça va pas. Si Langlois continue de fouiller, j'ai peur de ce qui pourrait m'arriver.
— Central Park, cette nuit ? renchérit-il.
Une nouvelle vague de soulagement s'empare de moi et je hoche la tête avec reconnaissance. Le Moineau acquiesce sans un mot de plus avant de se diriger vers les vestiaires. Une fois changé, je retrouve Savannah, Willow et Maxxie dans la grande salle pour enfin pouvoir fermer l'établissement, mais la clochette accrochée au-dessus de la porte d'entrée se met à retentir. Une chemise cartonnée tout le coude, Isaiah débarque dans le bâtiment avec le même air nonchalant qu'au début de mon service. Il m'offre un sourire aguicheur auquel je ne peux pas m'empêcher de répondre puis se détourne de moi pour se concentrer sur Lucy, qui grelotte de froid malgré son long manteau vert sapin.
— Tu t'es perdue, Rouge-Gorge ? lance Savannah en croisant les bras. On ferme, là, je te signale.
— Oh, ça va, arrête de montrer les crocs, j'ai oublié mon écharpe ici ce matin et j'ai pas pu revenir avant.
L'Hirondelle lève les yeux au ciel et son exaspération m'arrache un petit rire. La connaissant, je suis certain qu'elle se retient d'envoyer Lucy sur les roses, ou mieux, de lui balancer une réflexion bien cynique à la figure.
— Et toi alors, qu'est-ce que tu fais là ? murmuré-je à l'attention d'Isaiah.
Ma voix ne ressemble qu'à un pauvre souffle tout juste audible, pourtant mon ami ne passe pas à côté. Il m'adresse un nouveau sourire, cette fois bien plus doux et me montre sa pochette bleue.
— Le patron voulait que je lui apporte des papiers avant de me prendre à l'essai.
Une étincelle flambe dans ma poitrine. Sans réfléchir, je fonce vers Isaiah et le serre contre moi. Il me rend mon étreinte dans un léger rictus alors que je me délecte de la chaleur apaisante de son corps contre le mien.
— Félicitations, chuchoté-je contre sa tempe.
— Hmm, quel pied, je vais pouvoir mater toute la journée, se réjouit-il en laissant ses doigts descendre le long de mon dos pour s'arrêter à la limite de mon jean.
Je m'écarte de lui en secouant la tête.
— T'es irrécupérable !
— Bah quoi ? J'y peux rien moi, si t'es la seule créature appétissante de ce bar.
— Prenez une chambre, faites un truc, mais laissez-moi faire cette foutue fermeture.
Soudain mal à l'aise, je me tourne vers Savannah mais me détends lorsque j'aperçois le coin de ses lèvres se relever. C'est presque imperceptible, mais avec la lueur qui brille dans ses pupilles, je ne vois que ça.
— Ce que la chieuse de service voulait dire, c'était « bienvenue dans l'équipe » ! grogne Lucy en tendant sa main à Isaiah. D'abord la Colombe, maintenant un Aigle Royal... la famille s'agrandit !
Isaiah hausse un sourcil, mais semble apprécier son nouveau surnom. Pour une fois, je crois que Lucy a tapé dans le mille, cet animal lui va à ravir. Ce mec a tellement de force en lui qu'il pourrait tous nous guider vers la lumière ; même s'il reste fragile, je ne le vois pas moins puissant qu'un aigle en plein envol.
— En parlant de famille qui s'agrandit... je crois que vous allez devoir me supporter quelque temps, ajoute timidement Willow.
Tout le monde se focalise sur elle et ses joues prennent une teinte rosée qui me réchauffe le cœur.
— Le roi des piafs t'a proposé le poste ? intervient Maxxie avec intérêt.
La Colombe opine fièrement mais mon meilleur ami n'a pas le temps de la congratuler que Lucy s'excite déjà :
— Bravo, bravo, bravo ! T'es du matin, j'espère ?
— Du matin, du soir, parfois les deux, ça dépend des jours. J'ai les mêmes horaires que le Corbeau, d'après monsieur Langlois.
Une satisfaction étrange me parcourt ; j'ai un peu de mal à l'admettre, mais je suis content de pouvoir passer plus de temps avec Willow. Je crois que j'aimerais avoir l'opportunité d'en apprendre plus sur elle, sur cette douleur qui parle tellement à la mienne.
— Il faut absolument qu'on aille fêter ça ! s'emballe le Rouge-Gorge, sur le point de sauter partout.
— Eh, Lucy, c'est jeudi, aujourd'hui. Vous bossez demain matin. Et moi j'ai cours, réfute Maxxie.
— Ouais et puis si c'est pour que je me retrouve dans un trou à rat qui sert pas d'alcool aux mineurs, ce sera sans moi, ajoute Isaiah dans une grimace.
— Bande de rabat-joie !
La mine déconfite de la belle rousse me fait marrer. Elle est censée être la plus âgée de nous tous, pourtant c'est la première à nous pousser à boire jusqu'à l'aube pour célébrer l'arrivée de deux nouveaux abîmés dans l'équipe.
— Bon, j'accepte de patienter un peu... Mais demain soir, je vous embarque tous à une soirée étudiante et aucun d'entre vous n'a le droit de refuser !
Elle nous pointe un à un d'un index menaçant et, aussi étonnant que ça puisse paraître, Savannah est la première à céder, suivie de près par Maxxie. Lucy se tourne ensuite vers Isaiah, déterminée.
— Alcool à volonté, lâche-t-elle simplement.
— Oh, mais si tu me prends par les sentiments, ma jolie...
Je m'esclaffe à moitié alors que le Rouge-Gorge se plante devant moi. Hésitant, je pèse le pour et le contre sous le regard inquiet de mon meilleur ami avant de scruter la seule d'entre nous qui n'a encore rien dit.
— Si elle vient, j'en suis, affirmé-je en désignant Willow du menton.
Lucy se précipite vers sa nouvelle proie, la suppliant d'un regard de chien battu ridicule.
Parfois je me demande si cette fille-là a vraiment vingt-quatre ans...
— Allez, s'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît...
Aussi amusée que surprise, la Colombe ne semble pas savoir comment réagir. Ses prunelles vertes alternent entre Lucy et moi, pour finir par s'ancrer dans les miennes.
— Ce sera l'occasion de te souhaiter une vraie bienvenue, tenté-je en repensant au petit mot que je lui ai laissé sur le tableau dans sa chambre.
Une émotion plus intense que je n'aurais pu l'imaginer traverse le visage de Willow alors que ses yeux se mettent dangereusement à briller.
— Okay, articule-t-elle. Je viendrai.
Lucy laisse exploser sa joie, mais je n'y prête pas attention. Le lien puissant que la Colombe a tissé entre nous m'emporte complètement.
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Coucou tout le monde, comment ça va ?
Pour une fois, j'essaie de poster avant de partir, pour que vous ayez le chapitre un peu plus tôt.
Sachez, les team West, que j'ai commencé a préparé le terrain pour reprendre l'écriture de R. Je devrais m'y mettre ce soir ou demain, j'ai déjà quelques idées en tête. Je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle, mais j'avais envie de partager l'info avec vous.
Alors, content.e.s pour Isaiah ? Et pour Willow ?
Son petit nom d'oiseau vous plaît ? Vous trouvez que ça lui va bien, vu que la plupart d'entre vous le connaissent déjà un peu.
Cette soirée, bon ou mauvais plan ? Vous en espérez quelque chose ?
Bon, la musique, assez connue mais je l'aime bien. Vous en dites quoi ?
Voilà, voilà, je dois y aller, maintenant. Du coup je vous souhaite une belle fin de journée. J'espère quand même que cette histoire vous plaît et je vous dis à samedi pour la suite.
Prenez soin de vous, les potes.
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