Chapitre 12 | 1

"The walls are closing in around me

And a heaviness surrounds me,

My body starts to shake."

Save Me From Myself – A Great Big World. (En média).


Dos à cette devanture que je connais par cœur et que je n'ai pas envie de voir disparaître de ma vie, je chancèle. La vodka que j'ai avalée pour me donner du courage ne m'aide pas beaucoup, elle ne fait que me filer la gerbe sans calmer mon angoisse le moins du monde. Qu'est-ce que je fais, maintenant que je suis là ? Qu'est-ce que je pourrais bien dire ? Est-ce que je prends le risque que madame Langlois soit encore présente ? Est-ce que je devrais supplier le roi des piafs ? Est-ce que je devrais m'énerver ? Est-ce que je devrais tout lui raconter ? Je n'arrive pas à réfléchir. Je ne suis pas capable de démêler les bonnes idées des mauvaises. Tout ce que je veux, c'est réussir à convaincre mon patron de ne pas me licencier. J'ai besoin de ce job. J'ai besoin de l'argent qu'il me rapporte. Si je le perds, ils reprennent le contrôle sur ma vie. Si je le perds, je n'apercevrai jamais le bout du tunnel. Je ne finirai jamais libre.

— Raven, c'est toi ? Il est tard... qu'est-ce que tu fais ici ?

Le ton aussi rocailleux que bienveillant de monsieur Langlois me stoppe net dans mon agitation et je me retourne au ralenti. Le cœur battant, l'estomac en vrac, j'ai du mal à baisser le nez vers mon patron pour planter mon regard dans le sien. À peine éclairé par plusieurs réverbères disposés au garde-à-vous sur le trottoir, le visage du vieil homme n'est pas très expressif. Et s'il m'en voulait ? Et si sa femme l'avait déjà monté contre moi et qu'il ne prenait même pas le temps de m'écouter ?

— Écoute, petit... souffle Langlois au bout de quelques secondes de silence. À propos de ce qui s'est passé cette après-midi avec Sharon...

— S'il vous plaît, ne me virez pas ! Je viendrai m'excuser auprès de votre femme dix fois s'il le faut, mais laissez-moi une chance, je vous en prie...

Les larmes aux yeux, j'ai du mal à tenir en place. Je me dandine d'une jambe sur l'autre pour ne pas faire les cent pas et scrute tout ce que je peux sauf mon interlocuteur ; à la moindre réaction de sa part, les restes de mon monde pourraient s'écrouler.

— C'était une sale journée, je suis allé voir ma mère ce week-end et j'ai tellement de trucs qui me pourrissent le crâne... ajouté-je, désespéré, j'ai perdu le contrôle. Mais ça se reproduira plus, je vous jure !

Un léger crissement m'oblige à me reconcentrer sur mon patron, qui appuie sur les roues de son fauteuil pour s'approcher de moi.

— J'ai plaidé ta cause, tu sais. J'ai vraiment essayé...

L'univers s'abat sur mes épaules. Non, pas ça.

— ...mais il faut bien admettre que tu n'as jamais été très coopératif. Ce n'est pas la première fois que tu as une prise de bec avec Sharon.

Mon sang ne fait qu'un tour. Mes larmes s'évaporent en une fraction de seconde.

— Mais putain, elle passe son temps à me pourrir la vie ! hurlé-je avec de grands gestes. C'est à cause d'elle qu'ils s'en prennent à moi ! Qu'est-ce que vous croyez ? Évidemment que mes nerfs lâchent au bout d'un moment ! Vous m'aviez promis que je serais en sécurité en travaillant dans ce bar !

— Qu'est-ce que tu as dit ? articule Langlois, glacial.

Quand je me rends compte des mots qui viennent de sortir de ma bouche, ma rage retombe comme un soufflet et mon rythme cardiaque s'accélère. Merde, merde, merde.

— Rien... Je... j'ai rien dit du tout, murmuré-je.

Le roi des piafs s'avance encore un peu dans ma direction, mais je fais deux pas en arrière. Ce type est celui qui en sait le plus en ce qui concerne ma situation. Il n'y a que comme ça qu'il embauche ses employés : avec la vérité. Alors il a fallu que je lui dépeigne la mienne. À deux doigts de m'enfuir d'ici en courant, je secoue frénétiquement la tête au moment où je comprends qu'il est en train de faire tous les liens qu'il faut.

— Est-ce que Sharon te met en danger, Raven ?

Aussi pétrifié par sa froideur que par ma gaffe monumentale, je n'esquisse pas le moindre mouvement. Je ne prononce pas le moindre mot. Pourtant, à la réaction de mon patron, je sais qu'il lit la réponse sur mes traits crispés. La vraie réponse. Celle que je préférerais étouffer, nier, dissimuler derrière de nouveaux bobards.

— Laisse-moi un ou deux jours pour régler ça et reviens travailler à la même heure que d'habitude, se contente-t-il de rajouter d'une voix encore plus dure.

Je crois que j'acquiesce, mais je ne suis sûr de rien. Tout mon corps est engourdi, j'ai l'impression de devenir un immense amas de coton flageolant. Langlois me tourne le dos et je fixe les rayons des roues de son fauteuil, dans lesquels se reflètent la lumière des lampadaires. Au bout de quelques minutes, les lueurs orangées disparaissent de mon champ de vision et mes tripes se contractent violemment. Accoudé contre un arbre, je rends tout ce que j'ai pu ingurgiter dans ma vie. Je recrache ma colère, ma douleur, l'angoisse qui me perfore de part en part. Quand il ne me reste enfin plus rien dans le bide, je me mets à tousser. Encore et encore. Tant et si bien que j'en viens à me demander si je vais y survivre. Qu'est-ce qui vient de se passer ? Qu'est-ce que je viens de faire ? Si le roi des piafs discute de tout ça avec sa femme, je suis mort, putain. Mort. Comme pour me ramener à la réalité, mon portable se met à vibrer dans ma poche, et c'est à bout de souffle que je décroche.

— Ouais ?

— Bon, alors, tu viens, ce soir ou pas ? Sinon le Pitbull est prêt à prendre ta place, ça peut rapporter gros.

— Dis-lui... dis-lui d'aller se faire foutre. C'est ma soirée, lâché-je avec une furieuse envie d'adrénaline.

ᴥᴥᴥ

La douleur me détruit l'abdomen et la jambe droite, pourtant je me sens mieux. Beaucoup mieux. Cet enfoiré de Dawson était bien plus baraqué que moi mais, manque de bol pour lui, ma hargne me bouffait assez pour que je lui règle son compte et remporte le pactole. Cette simple idée me galvanise ; si je continue sur cette voie, j'aurais de plus en plus d'opportunités aussi fructifiantes et je pourrai mettre assez de pognon de côté pour récupérer ma vie. Pour en faire quelque chose. Quelque chose que personne ne contrôlera jamais plus à part moi.

À bout de force, je m'adosse un instant contre le mur d'un immeuble en tentant de me repérer dans New York. Le lieu de notre rencontre musclée était loin de mes circuits habituels et j'étais tellement absorbé par mes pensées, par mes blessures, que je me suis laissé entraîner dans les quartiers huppés sans m'en rendre compte. Ça ne peut pas faire si longtemps que ça que je marche, quand même...

— Le Corbeau ? Est-ce que ça va ?

Surpris, je fais volte-face et me retrouve nez à nez avec une Colombe au visage entaché par l'inquiétude. Willow... L'image des larmes qui s'écroulent sur ses joues revient me hanter et mon cœur se serre.

Je suis tellement désolé...

— Hey... chuchoté-je, la tête baissée.

J'ai été infâme avec elle, beaucoup trop pour réussir à la regarder dans les yeux sans avoir honte. Je m'en suis pris à elle sans raison et je me déteste de l'avoir fait. Elle devrait aussi. Elle aurait toutes les raisons du monde de me haïr, de se barrer sans plus de cérémonie ou de m'en foutre plein la figure, mais une partie de moi espère qu'elle ne m'en veut pas trop. Qu'elle va me pardonner. C'est ridicule, d'ailleurs ; ce serait bien mieux pour tout le monde si elle ne m'approchait pas, si je la laissais vivre sa petite vie parfaite loin de mon trou noir. Pourtant elle brille si fort que ma volonté de m'éloigner de son éclat vacille.

— Tu vas bien ? insiste-t-elle.

— Nickel, qu'est-ce que tu fais là ?

— Je rentre chez moi, peut-être ? lâche-t-elle avec cynisme en désignant un bâtiment du menton.

Je suis son geste du regard et remarque que nous ne sommes qu'à dix mètres à peine de son duplex. Mais qu'est-ce que j'ai foutu ?

— En plein milieu de la nuit ?

— Ça te pose un problème ?

Son amertume m'arrache un soupir.

— Écoute, Willow... commencé-je en faisant un pas vers elle.

Trop concentré sur ce que je pourrais bien dire pour arranger mes conneries, j'en oublie que l'un mes membres inférieurs n'est pas opérationnel et manque de m'effondrer dans un gémissement lorsque j'y mets tout mon poids. Une main sur mon genou, je grimace mais me redresse aussi vite que possible pour continuer ma tentative d'excuse auprès de la Colombe.

— J'ai été nul, aujourd'hui. Je... eh, qu'est-ce qui se passe ?

L'air horrifié, ma collège fixe ma jambe comme si j'avais une fracture ouverte. L'angoisse qui irradie de son corps immobile m'attrape à la gorge, sa respiration se saccade peu à peu, et j'ai l'impression qu'elle étouffe. Cette fois plus prudent, je me précipite vers elle et dépose mes doigts dans sa nuque.

— Willow, regarde-moi... parle-moi... dis-moi ce que je peux faire pour t'aider...


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Coucou tout le monde, comment ça va ? 

Moi, ça va un peu mieux. Mon livre est enfin sorti (disponible sur Etsy, Amazon et en MP en version brochée et numérique) et j'ai reçu mon premier retour (dans l'ensemble très positif). Je ne sais pas si ce livre va se vendre, je ne pensais pas qu'il verrait le jour alors j'essaie de ne pas en attendre grand chose. Je suis simplement content qu'il soit enfin dans les mains du monde et que je puisse m'occuper un peu d'autre chose. J'espère qu'il vous plaira si vous l'avez acheté ou si vous prévoyez de l'acheter. Et si jamais la poésie, c'est pas vraiment votre truc, vous pouvez toujours attendre la sortie de mon prochain livre, parce que lui aussi, il avance bien. (Et oui, je m'occupe de sortir un roman, aussi). 

Si vous voulez me soutenir, sachez que vous pouvez également me laisser un petit commentaire sur Amazon, ça aide énormément pour la visibilité du livre. 

Enfin bref, je suis heureux de pouvoir me concentrer sur autre chose et j'espère que ce livre fonctionnera un peu. Mais on est pas là pour parler de ça, alors je vous laisse la parole : 

Raven est à deux doigts de perdre son job, vous pensez que le roi des piafs va lui sauver les fesses face à sa femme ? 

Vous pensez que Willow en veut à Raven ?

D'ailleurs, Willow, qu'est-ce qui lui arrive ? 

La musique, on aime bien ? Je ne connaissais qu'une seule chanson de ce groupe, j'ai découverte celle-ci dans un livre et je l'ai bien aimée. 


Voilà voilà, c'est tout pour moi. Encore merci pour votre soutien, que ce soit ici, sur mes livres ou sur les réseaux. 

Je vous envoie plein de bonnes ondes. 

Prenez bien soin de vous. 

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