Chapitre 11 | 1
"I'm just a messed up kid
With sewn up lips.
I can't take this shit,
I need to exist."
Casual Sabotage – Yungblud. (En média).
— Eh, la Colombe, réveille-toi.
Savannah m'envoie un coup de coude dans le bras, et je me rends compte que j'étais encore perdue dans mes pensées alors qu'une cliente essayait vainement de m'atteindre. Je me racle la gorge, dégaine mon plus beau sourire avant de m'excuser auprès du groupe de filles qui m'observe avec perplexité. Elles réclament de nouvelles boissons pour accompagner le plat qu'elles ont déjà bien entamé, et je leur promets de leur apporter très vite pour qu'elles retournent s'asseoir et arrêtent de me fixer comme si j'étais un alien venu de mars. Ça fait déjà trois fois que l'Hirondelle me reprend ce soir, trois fois que je me laisse submerger par ce que mon grand-père m'a fait hier, sur ce que le coach m'a confié. J'ai beau y mettre toute mon énergie, je n'arrive pas à passer à autre chose. Je n'arrive pas à pardonner son comportement à mon aïeul, et en même temps, je suis terrorisée à l'idée que son amour pour moi ne s'amoindrisse si je ne lui donne pas ce qu'il veut. Il a toujours eu l'air si fier de m'avoir comme petite fille... je ne veux pas que ce sentiment disparaisse. Je refuse qu'il me lance ses coups d'œil plein de ressentiment pour le restant de mes jours.
— Merci, lâché-je en frôlant Savannah qui s'en va déjà servir une autre table.
— Arrange-toi juste pour faire ton taf, et moi je ferai le mien.
Ses mots sont durs, pourtant sa voix ne l'est pas. Elle a beau agir comme quelqu'un d'infect, je ne me sens pas jugée. Elle me rappelle à l'ordre, elle me renvoie dans le droit chemin sans ménagement, mais elle ne me fait aucune réflexion, elle ne me fusille pas du regard, elle se contente de m'aider, et je crois que c'est exactement ce dont j'ai besoin aujourd'hui. Quelqu'un qui m'oblige à rester focalisée sur le moment présent malgré tout ce qui m'arrache à la réalité chaque seconde. D'autant que la pauvre n'a pas que moi à gérer, aujourd'hui. Raven n'est pas dans son assiette non plus. Sur les nerfs, il se trompe de commande, n'est pas toujours avenant face à la clientèle et manque souvent de faire valser la vaisselle avec ses gestes brusques.
J'aimerais faire un pas vers lui pour tenter de comprendre ce qui lui arrive, mais on dirait qu'il me fuit ; chaque fois qu'on se croise, il semble faire tout son possible pour éviter de planter ses prunelles claires dans les miennes. Son langage corporel tout entier me conseille de lâcher l'affaire, mais j'en suis incapable. Pas après avoir remarqué ses nouvelles blessures. Ses nouveaux hématomes. La façon qu'il a de grimacer quand il fait certains mouvements. Je ne peux pas m'enlever de la tête l'idée qu'il se fait battre. Je n'ai aucune preuve, mais parfois, quand madame Langlois évoque les gens avec qui il vit, le Corbeau se ferme, il paraît effrayé, et mon esprit se perd dans mes souvenirs. Au milieu de toutes ces situations dans lesquelles j'ai retrouvé Axel quand son père le tabassait. Il se cachait de la même manière que Raven semble se cacher, il se protégeait comme Raven semble se protéger...
Je ne devrais sans doute pas, mais les liens se font tout seul dans ma tête. Depuis que je travaille ici, depuis que j'ai rencontré le Corbeau, j'ai l'impression de ne voir que ça. Que sa souffrance. D'abord, il a débarqué chez moi avec le visage en sang. Ensuite, il y a eu l'épisode du bar où il tenait à peine debout. Et maintenant, il y a ces bleus... tout concorde. Tout me renvoie sur la même piste. Pourtant je n'ai aucun moyen de l'aider, aucun moyen de m'en mêler. Je suis impuissante.
— Le Corbeau ! Est-ce que je dois te rappeler pourquoi tu ferais mieux de bien faire ton travail ?
La voix acerbe de Madame Langlois m'extirpe de mes réflexions alors qu'un bruit de verre qui claque éclate derrière le bar. Surprise, je tourne la tête vers Raven, qui serre les dents. Tendu, il fixe le plateau qu'il vient sans doute de poser -de balancer- devant lui sans prêter attention une seule seconde à notre patronne.
— Je te parle, jeune homme. La moindre des politesses serait de me regarder.
Raven se crispe encore un peu plus, ses poings se ferment, et il relève lentement le nez vers son interlocutrice, le regard sombre.
— Je fais ce que je peux, là, crache-t-il.
Mon cœur rate un battement. Cette fureur, cette obscurité, je les connais. Je les ai déjà vues. Elles étaient là quand Raven m'a débarrassée du pervers de l'autre fois. Je ne pensais pas que je les reverrais un jour, pas dans un contexte comme celui-ci. Est-ce que ça je devrais m'inquiéter ? Est-ce qu'il va encore devenir violent ? Je fronce les sourcils devant ma propre stupidité. Il n'a aucune raison d'être agressif. Pas comme ça, pas ici. Lors de mon arrivée à New York, il cherchait à me protéger, rien de plus. Ce n'est pas une mauvaise personne.
— Dans ce cas il va falloir faire mieux, le rabroue Madame Langlois. Et je te conseille de surveiller le ton que tu utilises quand tu t'adresses à moi.
Visiblement désabusé, le Corbeau lâche un rire amer, que notre patronne coupe bien vite de ce ton hautain qu'elle n'utilise que lorsqu'elle parle à Raven.
— Qu'est-ce que c'est que cette attitude ? Je pensais pourtant que Jack et Kristen s'étaient occupés de ton insolence. Je n'ai plus qu'à leur expliquer que ton comportement ne s'arrange pas avec le temps, je suppose.
Les yeux de Raven s'arrondissent de frayeur, et une colère bouillante m'érafle les veines. Comment peut-elle le menacer de la sorte ? Je pensais que le Nid Aux Oiseaux était un endroit sûr pour les jeunes qui y travaillent. Je pensais qu'ils venaient justement ici pour qu'on puisse les préserver des environnements toxiques dans lesquels ils évoluent.
— Bah vas-y, te gêne pas. Dis-leur tout ce que tu veux, j'en ai rien à foutre.
L'intonation du Corbeau est faible, mais cassante. Si cassante que Madame Langlois en reste bouche bée. Raven fonce vers la sortie, percute Lucy qui laisse tomber les quatre assiettes qu'elle s'apprêtait à ramener vers la plonge, et quitte le pub sans se retourner. Le Rouge-Gorge s'énerve, demande à ce qu'on l'aide à « ramasser ce merdier », mais je ne bouge pas. Je reste paralysée devant l'air glacial de notre patronne. Elle scrute la porte avec mépris, et quand elle sort enfin de sa contemplation effrayante pour suivre son employé, je me plante devant elle sans réfléchir. Agacée, elle remet son chignon en place comme pour reprendre contenance, me dévisage puis soupire en lissant sa jupe étroite.
— Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi, la Colombe ?
Avec moi, sa voix n'est pas dédaigneuse, elle est même presque douce, mais au lieu de me rassurer, son hypocrisie manque de me faire perdre le contrôle. Inspire, Willow. Expire. Reste professionnelle. Toutes mes séances intenses à affronter des journalistes aussi intrusifs qu'irrespectueux me reviennent en tête, je me remémore les conseils de mes coachs quant à l'image que je devais renvoyer aux médias et finis par trouver la force de sourire au monstre sur lequel j'ai envie de passer mes nerfs.
— Pour moi non, mais il me semble que votre mari vous demande dans son bureau, Madame, murmuré-je dans un mensonge éhonté.
La brune acquiesce, grimace un pauvre rictus poli, puis fait demi-tour pour rejoindre Monsieur Langlois. Le danger désormais éloigné, je ne peux pas m'empêcher de me précipiter hors du bâtiment pour tenter de retrouver Raven.
Impuissante.
Impuissante.
Impuissante.
C'est parce que j'ai toujours été impuissante face à la douleur d'Axel qu'il est mort. Si j'avais fait plus, si j'avais été plus présente, si j'avais été là pour Neven aussi, ils seraient encore là. Tous les deux. Je ne peux pas refaire les mêmes erreurs. Je ne peux pas laisser Raven s'enfoncer sans agir. Ce serait comme les trahir. Lui, Neven, Axel...
— Hey... Raven, est-ce que ça va ?
À quelques mètres du muret sur lequel il était assis la dernière fois que j'ai eu une véritable conversation avec lui, le Corbeau fait les cent pas. Les mains derrière la nuque sous la masse blonde qui lui arrive jusqu'aux épaules, il paraît à deux doigts de l'explosion.
— C'est pas le moment, Willow.
Sa voix tranchante me coupe le souffle, pourtant je reste immobile, plantée comme un piquet devant lui. Je sais que je devrais le laisser tranquille, que je devrais respecter son espace vital, mais je n'y arrive pas. Et s'il était comme Axel ? Et s'il avait besoin d'aide mais qu'il refusait d'en demander ?
— Écoute... je veux simplement que tu saches que si tu as besoin...
— Mais je n'ai besoin de rien, Willow ! Surtout pas de toi, éructe Raven en faisant volte-face.
Sa hargne visible jusque dans les tremblements de ses poings serrés me retourne l'estomac. Il ne me fait pas peur, je ne me sens pas menacée, pourtant son rejet me donne envie de vomir.
Je t'en prie, pas toi. Ne m'abandonne pas en même temps que mon grand-père. Tu es mon dernier repère...
— Maintenant fous-moi la paix, reprend-il lorsqu'il remarque que je ne daigne toujours pas à retourner travailler.
— Mais je...
— Putain, Willow ! Qu'est-ce que tu veux ?
Hébété, je le fixe sans comprendre.
T'aider. Je veux t'aider. Je veux te voir sourire encore. Je veux rester avec toi.
— Qu'est-ce qu'une fille comme toi peut bien vouloir à un bon à rien comme moi, hein ? Retourne dans ta cage dorée avec tout ton pognon, ta vie parfaite et lâche-moi.
Ma poitrine me brûle, mes prunelles se noient. Tout devient flou. Je ne sens plus rien d'autre que la douleur qui me transperce de part en part. Je suis toute seule. Je n'ai plus personne.
— Dégage !
Le cri de Raven me fait sursauter, et mes larmes s'éclatent sur mes joues.
L'absence d'Axel ne m'a jamais paru aussi pesante qu'aujourd'hui.
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Coucou tout le monde, comment ça va ?
Moi, toujours malade, un peu démoralisé par le manque d'activité sur Wattpad aussi. Mais bon, je fais ce que je peux et j'essaie de ne rien lâcher. J'essaie de me focaliser sur la sortie de mon livre aussi, j'ai eu un premier retour positif, je suis plutôt content, j'espère que d'autres avis fleuriront d'ici les prochains jours.
Sinon, si vous étiez à la place de Willow, vous pardonneriez à Scott, vous ? Vous pensez qu'il mérite un peu d'empathie ou alors il a vraiment merdé ?
Concernant Raven, vous pensez que Willow a raison ?
Les team "les deux", vous commencez à avoir un camp après cette réaction de Raven ou vous restez fidèles et vous attendez de voir ?
La musique, cette merveille, on aime ?
Voilà, voilà, c'est tout pour moi. Je vais essayer d'aller voir vos commentaires précédents même si je sais qu'il n'y en a que très peu. Je vous souhaite une belle fin de journée, les potes.
Prenez bien soin de vous.
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