Chapitre 7
Le soir même, je suis à ma place habituelle, à l'heure habituelle. Je commence à apprécier ce petit rituel, ce rendez-vous qui n'en est pas un. Je me demande quelle tenue elle arborera, quel rouge à lèvre habillera sa bouche si tentante. Il y a sans doute d'autres jolies filles dans ce club, mais je dois reconnaître que je n'ai posé les yeux sur aucune d'entre elles depuis que Jenna est apparue dans mon champs de vision, le premier soir. Rien que de penser à elle, un frisson agréable parcourt mon dos.
Pourtant, le temps passe et elle n'apparaît toujours pas. Je marche un peu pour balayer les différents salons du regard, inquiet de ne la trouver nulle part, et peut-être plus inquiet encore à l'idée de la découvrir sur les genoux d'un homme. Mais il n'y a aucune trace d'elle.
— Étrange, on dirait qu'elle a d'autres projets pour ce soir... s'interroge Max.
Les heures tournent, et je dois me rendre à l'évidence : à 3h passées, toujours aucune trace de Jenna. Elle m'a fait faux bond.
— Ok Quentin, on décroche, tout le monde va dormir. Bonne nuit les gars, à demain, conclut Léonard.
Une fois les micros éteints, j'erre encore une bonne demi-heure dans le club, comme s'il m'était impossible de déclarer forfait. Des centaines de questions me taraudent. Que s'est-il passé ? Et s'il lui était arrivé quelque chose après que je l'ai laissée hier ? Et si elle avait pris peur, et était montée dans un avion direction l'Amérique Centrale ou n'importe quel autre pays ? Comment la retrouverais-je ? Serions-nous contraints de classer l'affaire, si elle sortait définitivement de l'espace Schengen ? Aurait-elle pu monter dans un avion sans que le procureur n'en soit informé ?
Je meurs d'envie de me rendre devant chez elle pour en avoir le cœur net. Mais je ne peux décemment pas l'espionner de la sorte, il n'y a que les psychopathes qui se comportent ainsi... Je dois accepter le fait que je ne fasse pas suffisamment partie de sa vie pour avoir une quelconque légitimité à la traquer si elle disparaît sans laisser d'informations. J'aimerais pouvoir l'appeler, et lui dire, l'air de rien : « Salut Jenna ! Tu vas bien ? Je ne t'ai pas vue à l'Attrape-rêve ce soir, du coup je me suis inquiété. » Mais nous n'avons pas noué de liens assez forts pour que j'ai ce droit sur elle et sur sa vie.
Je me décide finalement à rentrer. L'air est doux et j'apprécie de marcher à la fraiche après avoir passé le début de soirée dans la foule et l'ambiance moite de l'Attrape-rêve. Je ne tarde pas à apercevoir la place Garibaldi et la résidence très élégante dans laquelle mes collègues ont loué mon appartement fictif. Le loft, moderne tout en gardant le cachet de l'ancien, est splendide. Je n'y passe pourtant que peu de temps chaque jour. Lorsque j'ouvre la porte d'entrée, je suis surpris de constater qu'elle est déverrouillée... étrange. Instinctivement, je tends l'oreille et plisse les yeux pour scruter l'intérieur. Les lumières de la ville pénètrent à l'intérieur, projetant des ombres bleues et jaunes un peu partout sur les murs et le mobilier, si bien que le loft n'est pas plongé dans l'obscurité. La personne qui est entrée n'a donc pas dû ressentir le besoin d'appuyer sur les interrupteurs. Elle est là, debout devant la baie vitrée, surplombant la ville avec un verre à la main. Elle me tourne le dos, mais je pense bien savoir de qui il s'agit : silhouette très mince, presque maigre, cheveux courts à la garçonne.
— Bonsoir, Samia, dis-je en refermant la porte derrière moi et en me dirigeant vers elle d'un pas tranquille. Je ne pensais pas te revoir sur Nice.
— Bonsoir Quentin. C'est vrai, ça commence à dater, nous deux.
Elle se tourne vers moi et j'aperçois son sourire sincère malgré le faible éclairage. Découvrir son visage me ramène quelques années en arrière, lorsque je venais tout juste d'intégrer la police judiciaire. Elle me plaisait beaucoup, ça avait été une décision difficile que de mettre un terme à notre rapprochement. Mais je voulais faire passer ma carrière avant tout le reste, et je trouvais périlleux de mélanger vie privée et vie professionnelle.
— Alors ? Que me vaut cette visite nocturne surprise ? dis-je pour ne pas qu'on tourne autour du pot.
— Eh bien ! Tu es toujours aussi direct, toi ! s'esclaffe-t-elle.
— Bah ? Je ne vais pas te proposer de te servir un verre : tu en as déjà trouvé un, dis-je en souriant sur un ton taquin.
— Oui, le mini-bar était en évidence, je me suis permise de prendre un rafraichissement. Tu veux qu'on trinque ?
— Oui. Mais trinquer à quoi ? dis-je tout en ouvrant la porte du frigo pour me servir un verre de jus de fruit frais. Je ne vais pas le lui dire, mais j'estime avoir bu assez d'alcool pour aujourd'hui. Je veux garder un peu de lucidité pour la conversation qui s'annonce. Je retourne vers elle, toujours souriante. Sa combinaison noire arbore un profond décolleté dans le dos et dégage bien sa nuque. Elle est très belle ainsi. Mais je ne peux m'empêcher de penser à la Costaricaine que je n'ai pas réussi à voir ce soir. Pendant un bref instant, j'ai bêtement espéré que ce serait elle qui m'attendrait ici. Comme si c'était possible !
Nos verres s'entrechoquent dans un joli tintement.
— Je venais juste prendre de tes nouvelles, explique-t-elle. Je suis de passage à Nice, et j'ai pensé à toi.
— Hum hum. Bien sûr. Et tu as trouvé mon adresse dans l'annuaire ? demandé-je en arquant un sourcil, suspicieux.
— Non, évidemment. Ne te sens pas agressé, Quentin ! J'ai toujours des contacts parmi nos collègues, j'ai entendu des choses.
— Quel genre de choses, Samia ?
Je m'en veux d'être aussi froid avec elle, mais je n'aime pas ce petit jeu. Je ne comprends pas quelles sont ses intentions, et comment elle a su que je suis logé ici pour les besoins de l'enquête. Je veux savoir précisément quel est son degré d'information.
— Quentin, je suis une amie proche de Xavier. Mon grand frère et lui ont été à l'école ensemble.
Xavier... elle parle du procureur. Je comprends mieux maintenant.
— Il m'avait parlé de l'affaire Lady Cash, poursuit-elle. Il veut absolument la coincer. Ce type de profil le met très en colère. Il a lui-même divorcé d'une femme qui a tenté de tout lui voler... c'est sans doute pour ça qu'il y met les moyens nécessaires. Il fera tout ce qui est possible pour la faire plonger.
— Attends, ne me dis pas que c'est toi qui m'as pistonné ?
— Je te promets que non. C'est Léonard qui a parlé de toi en premier. Quand Xavier m'a dit qu'ils avaient pensé à toi pour ce rôle... j'ai simplement confirmé. Je leur ai dit la vérité, c'est-à-dire que je ne connaissais pas de type plus droit que toi... et séduisant, en plus. C'est vrai quoi, on aurait pu démarrer une belle histoire tous les deux, j'étais sous le charme, mais rapidement tu as mis de la distance entre nous. J'ai bien compris que tu ne voulais pas mélanger ta vie perso et ta vie pro. C'était tout à ton honneur. Tu as donc parfaitement le profil pour garder la tête froide en tant qu'agent infiltré. Ce n'est pas donné à tout le monde, ça.
— Merci. Ce n'est pas une place facile à tenir, je mentirais si je disais le contraire. J'espère en finir rapidement avec cette enquête.
— Oui, j'imagine... Cette fille est une vraie mante religieuse. Pour être tout à fait honnête, c'est aussi pour ça que je suis passée ce soir, explique-t-elle en posant une main sur mon bras avec douceur. Quentin, je m'inquiète un peu. J'espère que tu fais bien attention à toi. Ne reste pas seul avec elle, protège-toi. Trois homicides, ce n'est pas rien.
— Je vais très bien, sois tranquille, dis-je pour la rassurer en posant ma main sur la sienne. Tu n'as aucune raison de t'en faire, je suis sur écoute en permanence, les gars ne me lâchent pas d'un millimètre.
Même si ce n'est pas tout à fait la vérité, je perçois bien qu'elle est sincère dans ses inquiétudes donc je préfère la rassurer.
— Et donc, est-elle aussi belle qu'on le dit ?
Je retire ma main de la sienne et m'écarte un peu. Sa question me dérange, je ne comprends pas bien la réponse qu'elle attend.
— Il paraît qu'aucun homme ne peut lui résister, poursuit-elle. Je me demande si elle te fait aussi cet effet...
— Je suis un homme au même titre que les autres... Si je suis honnête, je dois reconnaître qu'elle dégage beaucoup de charisme et incarne la tentation.
— Quentin ! Elle arrive à te séduire ? s'offusque-t-elle.
— Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'essayais d'être objectif, c'est tout. En ce qui me concerne, je la regarde comme un numéro de dossier, rien de plus.
Samia porte son verre à ses lèvres et avale une gorgée. Elle semble satisfaite. Si seulement c'était la vérité... Mais je ne peux pas lui dire ce que Jenna provoque réellement en moi, car j'ignore les vraies raisons de sa présence ici : s'agit-il d'un interrogatoire, pour me tester un peu ? S'assurer que je reste lucide dans cette affaire ? Mes collègues ont-ils perçu mon trouble ? J'aimerais tellement pouvoir dire sans mentir qu'elle ne me fait aucun effet... Mais je sais que c'est faux, et je lutte de toutes mes forces pour garder la tête froide, les idées claires, et ma mission à l'esprit.
— Quentin... susurre-t-elle pour me sortir de mes pensées. J'ai quand même autre chose à te dire.
Elle me regarde avec un air malicieux. Une constellation de taches de rousseur, probablement tatouées au henné sur sa peau typée, apportent un charme particulier à son joli minois. Ses grands yeux m'observent avec intérêt, et dans la faible lueur des lumières extérieures qui pénètrent dans le loft, je lui trouve des airs de félin. Pas tout à fait comme Jenna, qui a l'élégance d'une panthère. Non, pour Samia c'est quelque chose de plus docile, de plus accessible. Là où Jenna se rapproche plus de l'animal sauvage, Samia est son pendant sociable, elle tient davantage du chat.
— Je t'écoute, dis-je pour l'encourager.
Elle se penche vers moi et se hisse sur la pointe des pieds pour m'annoncer :
— J'ai démissionné il y a quelques jours. Nous ne sommes plus collègues.
Alors que je tourne vers elle un visage surpris et interrogateur, ses lèvres attrapent les miennes dans un baiser fugace.
Il n'y a que deux possibilités : soit elle a réellement quitté la police, et elle s'est empressée de me rejoindre pour savourer l'étreinte que nous nous étions refusée en tant que collègues ; soit elle est ici pour me tester au sujet de Lady Cash et s'assurer que je ne succombe pas aux sortilèges de la Costaricaine. Dans les deux cas, je peux la baiser sans craindre de conséquences fâcheuses, alors inutile de cogiter davantage.
Je la sens fébrile, prête à s'excuser de son audace face à mon hésitation. Je décide de la rassurer immédiatement :
— Samia, si ça fait quelques jours, tu aurais quand même pu venir plus vite...
Sans lui laisser le temps de répondre, je m'empare à mon tour de sa bouche dans un baiser plus intense, plus charnel, me saisis de la fermeture éclair de sa combinaison que je descends lentement. J'en profite malgré tout pour chercher discrètement un éventuel micro, mais je ne décèle rien de ce genre.
Alors qu'elle se tient debout devant moi en sous-vêtements, je ne peux m'empêcher de repenser au soutien-gorge de fine dentelle noire que j'ai aperçu sur Jenna dans le rétroviseur avant-hier soir. Le corps de Samia n'est pas comparable : plus mince, moins charnu, son corps n'appelle pas au plaisir de la chair de la même façon que les formes rebondies et pulpeuses de la croqueuse de diamants. Sous mes doigts, sous ma bouche, sa peau me semble froide, insipide. Rien à voir avec la douce chaleur enfiévrante que dégage celle de ma suspecte... Ne devinant pas mon égarement mental, mon ex-collègue défait ma chemise et la laisse tomber au sol tandis que ses mains parcourent mon torse puis mon dos, blottissant son corps contre le mien dans une étreinte avide. Plus elle me serre et m'enlace, plus je sens mon esprit s'échapper et divaguer pour rejoindre une réalité alternée.
Je hisse Samia sur l'îlot central de la cuisine, mais la lumière de l'extérieur nous parvient moins bien, et dans l'obscurité, alors que je me fraye un chemin en elle, son visage prend les traits de celui de Jenna un bref instant. Loin de me faire débander, cette illusion m'excite encore davantage. Je m'imagine entendre la voix grave et chantante de la jeune femme alors que c'est Samia qui gémit au rythme de mes allers et retours. J'attrape ses cheveux courts et la presse contre moi, incapable de lutter contre mon fantasme et mes sens affolés.
— Quentin... continue... ne t'arrête surtout pas, demande-t-elle entre deux gémissements.
— Tais-toi.
L'ordre a fusé tout seul, empli de rage et de colère, car le son de sa voix me ramène ici, au creux de ses reins, alors que je m'imaginais étreindre une autre femme. Mon excitation vacille, je reprends un peu mes esprits et entreprends de me retirer, prêt à renoncer à cette folie. Pourtant, mon ton autoritaire semble décupler son plaisir, car ses gémissements deviennent incontrôlables lorsque mon membre glisse en dehors de son corps. Comprenant qu'elle aime se sentir dominée, je plaque une main sur sa bouche, et attrape son cou avec mon autre main, tandis que je plonge à nouveau en elle pour en finir, désormais trop proche de l'orgasme pour me raisonner. Elle se cambre de plaisir, je me répands.
Nous reprenons notre souffle, l'échange a été d'une rare intensité. Je n'ai pas fait l'amour avec tant d'ardeur depuis de longues années. Et pourtant, c'est à la sulfureuse Jenna que je le dois.
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