Chapitre 20
— Max, tu m'entends ? dis-je en me tournant vers la jungle pour que personne ne puisse remarquer que je parle seul, assis dans ce petit salon excentré.
— Quentin, tu as vu l'heure ? Je dormais... répond mon collègue.
— Désolé, mais j'ai dû attendre qu'elle s'endorme aussi pour m'isoler.
— A quoi tu joues, mec ? Tu as vrillé, tu as franchi la frontière, pas vrai ? Il faut que j'en fasse le rapport, on va t'exfiltrer. On rentre.
— Non, non ! J'ai gagné sa totale confiance !
— J'ai remarqué... tu n'as pas gagné que ça d'ailleurs.
— Ecoute, je sais... ça va loin.
— Beaucoup trop loin ! Tu es en train de sombrer, Quentin. Et je te le dis en tant qu'ami... Je veux t'exfiltrer, et c'est pour toi que je le fais. Avant qu'il ne t'arrive quelque chose !
— Donne-moi encore 48h ! Elle va me montrer ses secrets, c'est pour ça qu'elle m'a emmené jusqu'ici. On aura toute la lumière sur sa personnalité, ses intentions. Elle a avoué tout à l'heure que c'était la première fois qu'elle couchait avec quelqu'un qu'elle ne hait pas. Mais tu n'étais pas à portée d'ondes.
— Elle a dit ça !? Fait chier ! Si j'avais pu enregistrer une déclaration pareille, je pense qu'on aurait eu de quoi l'inculper... ou en tout cas de quoi discréditer ses précédentes déclarations d'épouse modèle.
— T'inquiète, on va obtenir d'autres confidences de ce genre dans les jours à venir, je te le garantis ! Tu auras ce qu'on est venu chercher. Et moi... j'aurais encore un peu de temps pour lui avouer toute la vérité. Je préfère qu'elle l'apprenne de ma bouche, tu comprends ?
— Si elle le découvre, tu seras en grand danger. Elle n'en sera pas à son premier meurtre, tu te rappelles ? Je ne veux pas qu'elle l'apprenne sans que tu ne sois placé en sécurité auparavant.
— Le staff de l'hôtel m'apporte ma commande. Je dois te laisser.
— 24h, Quentin ! Pas une de plus. Tu as jusqu'à demain soir. Obtiens des aveux, quelque chose de tangible. Si non, je dis à Léonard qu'on doit t'exfiltrer. Et je t'en supplie, range ta bite dans ton froc, ok ?
— Pas de problème, elle apprécie d'autres parties de mon corps, je dois pouvoir me débrouiller sans ma queue.
J'entends mon collègue jurer dans son micro, mais je ne l'écoute déjà plus, trop heureux d'avoir obtenu quelques jours supplémentaires dans ce rêve éveillé. L'échéance est proche, mais je ne veux pas m'y projeter. Cette affaire — ou plutôt cette jeune femme ? — est devenue mon obsession, mon monde. Je ne parviens pas à imaginer ce que sera ma vie ensuite, je ne me vois pas retourner au travail comme avant, coucher avec Samia ou une autre. C'est devenu inconcevable. Pas après avoir connu un tel déferlement de sensations, d'adrénaline. Tout sera forcément morne et terne en comparaison. Faire partie de son monde est électrisant.
Je pousse la porte de la chambre tout doucement pour ne pas la réveiller, mais je la découvre en peignoir, installée dans un grand fauteuil tout en bambou et oreillers moelleux, les jambes repliées sous ses fesses. La pièce est très sombre, éclairée seulement de bougies disséminées çà et là.
— Tout va bien, Jennita ? dis-je à voix basse.
Elle acquiesce avec un faible son, encore toute alanguie mais souriante. Elle est radieuse. Ses longs cheveux ondulent négligemment en cascade sur ses épaules et dans la capuche de son peignoir. Je pourrais l'observer ainsi pendant des heures, chacun de ses plus subtils mouvements ou expressions me fascine. Une lueur d'espièglerie traverse ses grands yeux noirs lorsqu'elle comprend que je la détaille ainsi, savourant l'instant.
— Vas-tu rester longtemps adossé à la porte, avec le plateau entre les mains, ou bien vas-tu me rejoindre enfin ? interroge-t-elle, m'arrachant à ma douce contemplation.
Nous grignotons en discutant de tout et de rien, comme deux amis de toujours. Notre complicité est de plus en plus évidente : quand je me confie sur la relation particulière avec mon frère, elle termine mes phrases, cernant parfaitement la situation. Elle me parle ensuite de son enfance terrible avec beaucoup de philosophie, comme si le regard innocent de la petite fille ne l'avait jamais quitté : elle trouve du sublime et du merveilleux dans des bonheurs simples, lorsqu'elle me raconte par exemple comment elle a trouvé une couverture trouée de la marque Disney dans une poubelle. Affamée, elle avait tenté de voler de la nourriture dans une brasserie, mais le restaurateur l'a prise sur le fait et l'a jetée dans une benne à ordures en l'insultant. Elle n'a pas écouté ses grossièretés jusqu'au bout, car elle a très vite repéré le trésor parmi les immondices. Une couverture presque neuve ! Jetée là car elle avait simplement un petit trou sur un côté... vraiment trois fois rien. Un trophée pour la petite fille, qui l'a conservée pendant longtemps, un peu comme la preuve que du pire peut émerger le meilleur, pour qui sait observer et saisir sa chance. Des années après, ses yeux brillent encore lorsqu'elle en parle.
— Est-ce que... c'est parce que tu n'avais rien quand tu étais enfant, que tu t'es mariée avec tous ces hommes riches ensuite ? Pour combler un manque, une angoisse ? dis-je enfin.
— Tu me demandes si je suis une femme vénale, c'est bien ça ? dit-elle tout naturellement, sans paraître blessée le moins du monde. Je l'ai été je crois, au début. A l'adolescence, je me suis jurée de m'en sortir, de devenir une femme accomplie et de vivre dans le luxe. Avoir la vie parfaite des épouses de milliardaires, comme les femmes de footballers ou les actrices dans les séries américaines. Mais très vite, c'est devenu autre chose... Je connaissais le vrai visage de ces hommes, et surtout, je n'étais pas heureuse. Cette vie dont j'avais rêvé était finalement moins enviable que ce que j'avais imaginé... J'ai eu d'autres ambitions.
— Tu as pourtant continué à épouser des hommes fortunés. Tu n'as pas cherché une vie plus simple, plus authentique. Après ton premier veuvage, tu aurais pu te tourner vers autre chose.
— C'était trop tard. J'avais finalement trouvé ce qui me rendais heureuse par un autre biais, et je devais poursuivre dans cette voie. Tu comprendras bientôt.
Nous restons un instant silencieux, seul le bruit régulier des vagues vient chatouiller nos oreilles. Nous écoutons cette douce mélodie, comme si la mer nous appelait par ce chant hypnotique. Nos regards se croisent, et Jenna reprend :
— Quentin, tu penses à la même chose que moi ?
J'acquiesce en me levant puis baisse la fermeture éclair de ma veste de survêtement enfilée négligemment tout à l'heure et dévoile mon torse nu.
— Tu crois qu'elle est chaude, Jennita ?
Elle se lève, viens combler la distance qui nous séparait et effleure mes pectoraux du bout des doigts dans une caresse qui me donne un frisson de plaisir.
— Des muscles taillées pour le sport ne reculeront pas s'il faut faire quelques brasses dans une eau tiède... répond-t-elle, provoquante.
— Ok, allons-y. Passe devant, je te suis.
Elle laisse tomber son peignoir au sol, son corps ne s'habille plus que de l'obscurité de la nuit, et des lueurs dansantes des bougies. Mais elle ne s'oriente pas tout de suite vers l'escalier qui donne sur la plage. Elle s'agenouille devant moi en emportant mon boxer jusqu'au sol. Je ne peux m'empêcher de glisser une main dans ses cheveux, un peu surpris par l'avidité avec laquelle elle me prend en bouche. Aucun problème, le bain de minuit attendra. Il n'en sera que plus délassant.
Bien plus tard, lorsque nous remontons de la plage en riant, le corps recouvert de sel après cette baignade nocturne, il me semble bien apercevoir à l'horizon les premières lueurs de l'aube. Epuisés mais comblés, nous nous endormons entièrement nus, à peine nous sommes nous jetés sur le lit encore fait.
Lorsque j'ouvre à nouveau un œil, la lumière du jour est intense, le bruit des vagues me revient et je me rappelle où je suis. Jenna est allongée contre moi, le visage posé sur mon torse, quelque part sous ses cheveux en bataille.
— A quand même, vous vous réveillez enfin !
La voix toute proche me fait sursauter, et Jenna pousse un petit cri craintif avant de se redresser, un poignard à la main. Comment a-t-elle attrapé ça !?
— Leti, tu m'as fait peur ! s'exclame-t-elle en reconnaissant son amie, l'employée de l'hôtel qu'elle était heureuse de retrouver à notre arrivée.
La jeune femme, toujours très masculine dans son apparence, est assiste négligemment dans un fauteuil de notre chambre.
— Pardon Guapa, mais je suis venue pour... prévenir.
— ¿ Qué pasa ? l'interroge Jenna, soucieuse.
— Hay dos hombres que te están buscando, han preguntado por ti en recepción. No he dicho nada. [Il y a deux hommes qui te cherchent, ils ont posé des questions à ton sujet à l'accueil. Je n'ai rien dit.]
— Gracias. ¿Cómo eran? ¿Rusos o latinos? [Merci. De quoi avaient-ils l'air ? Russes, ou latinos ?]
— Latinos, sin duda alguna. [Latinos, sans aucun doute.]
— Bien. Nos vamos hoy. Gracias por tu ayuda, linda. [Ok. Nous partons aujourd'hui. Merci pour ton aide, ma belle.]
— Bonne journée, les amoureux, reprend Leta en m'adressant un clin d'œil. Toi, j'adore tous... tes... elle s'interrompt et gesticule pour se faire comprendre, avant de trouver le mot et de poursuivre : tous tes muscles, là ! Très beaux ! Y también cualquier otra cosa : j'aime aussi tout le reste, dit-elle avec son accent, tandis que Jenna lui fait signe de se taire.
Je retiens un rire embarrassé et attrape un oreiller pour cacher ma nudité.
La jeune employée sort enfin de notre chambre, sous le regard mi- amusé mi- furieux de Jenna.
— Ils viennent souvent sortir les clients du lit, dans cet hôtel ? dis-je, un peu gêné.
— Non, d'habitude ça n'arrive pas ! Nous ne pouvons pas rester, nous sommes en danger, répond-t-elle avec beaucoup de tristesse dans la voix.
— Le programme change ?
— Non, je vais t'emmener voir la cascade comme prévu. Mais ensuite on ne repasse pas par cet hôtel. Je dois retourner à San José dans la foulée, pour y régler mes affaires au plus vite. Pour ne pas te mettre en danger.
Pas le temps de lui demander plus d'informations, elle est déjà debout et se dirige vers la baignoire. En moins de 30 minutes, nous sommes prêts à partir.
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