Chapitre 16

Lorsque nous entrons dans l'aéroport Nice Côte d'Azur, Jenna se dirige immédiatement vers le bureau des passagers VIP. Je ne connaissais même pas ce guichet, mais visiblement ce n'est pas la première fois qu'elle prend l'avion ici. Un valet très élégant s'occupe de nos valises et nous accompagne jusqu'à la porte d'embarquement de notre vol, qui n'est indiqué nulle part. J'aurais pensé que, compte tenu de son immense fortune, Jenna voyagerait en jet privé. Mais elle est finalement un peu moins dépensière que ce que j'imaginais. On nous demande de patienter dans un petit salon très chic, notre appareil n'étant pas encore tout à fait prêt. Un serveur nous propose des rafraichissements, que nous déclinons poliment. Alors que nous nous avançons vers deux fauteuils, j'aperçois Maxence en train de feuilleter une revue qui traite d'économie — à laquelle il ne doit pas comprendre grand-chose — installé sur un siège voisin. J'ignore comment ils ont prévu de procéder pour la suite. Jenna attrape ma main et la porte à ses lèvres pour y déposer un baiser furtif :

— Cariño, tu sembles nerveux... ne me dis pas que tu es stressé en avion ?

— Non, pas du tout, dis-je en lui adressant un sourire rassurant. Je suis juste inquiet à l'idée que l'un de tes agresseurs ne soit dans les parages, dis-je pour masquer mes tracas sans mentir pour autant.

— Ils ne doivent pas savoir que nous sommes ici. Tu peux te détendre... et prendre soin de moi. Car figure-toi que je déteste l'avion, moi.

Je m'apprête à passer mon bras derrière ses épaules pour la ramener contre moi, mais je suis interrompu par deux hommes du service de sécurité qui viennent au-devant de nous.

— M. Carrez ? Veuillez nous suivre, s'il vous plait.

— De quoi s'agit-il ? feule Jenna sur la défensive.

— Pardonnez-moi madame. Je... Nous... Enfin, nous avons un souci avec la valise de M. Quentin Carrez, madame, explique le gorille en perdant toute son assurance face à l'aplomb de ma partenaire. Je regarde ses yeux descendre sur le décolleté de la costaricaine, puis revenir à moi avec le même air de panique qu'un lièvre devant les phares d'une voiture.

— Tout va bien, Jenna, dis-je en me levant avec les mains en avant en signe d'apaisement. Je vais accompagner ces messieurs, il n'y en a que pour quelques minutes. Attends moi ici, insisté-je pour venir en aide à ce pauvre homme, qui vient tout juste de se frotter au charme vénéneux de la belle latina.

— Oui, quelques minutes, répète le deuxième type sur le ton des excuses.

Je les suis sans résistance jusqu'au poste de douane, en me demandant s'il s'agit du stratagème imaginé par mes coéquipiers de la Police, oui bien si c'est par pure hasard que ce contrôle tombe sur moi. En entrant dans le bureau, j'ai tout de suite la réponse à mes interrogations : Léonard est installé dans le fauteuil, Nicolas un peu en retrait à côté de lui, et il demande aux deux agents de fermer la porte derrière eux en sortant. Nous voici seuls.

— Quentin, ça va ? me demande Léonard alors que nous échangeons une poignée de main amicale.

— Oui, oui. Quels rebondissements, les gars... le bordel !

— Mec, elle est dingue de toi ! Poh là là... Cette bombe ! s'exclame Nico.

— Elle est beaucoup plus fragile qu'il n'y parait au premier abord, dis-je pour tempérer ses ardeurs.

— Tu déconnes, Quentin ? Cette mante religieuse ? Non, elle est juste tombée sous ton charme. Mais ne te laisse pas aveugler par son petit numéro. C'est Lady Cash, rappelle-toi. Garde la tête froide. Et puis... il y a Samia, hein, qui t'attend ? Mais quel bourreau des cœurs celui-là ! Il les aura toutes... me taquine-t-il.

— J'en étais sûr... Vous me l'avez envoyée exprès ? Pour me tester ?

— Mais non... C'est elle qui a insisté pour avoir les infos, précise Léonard. Elle te recherchait. On s'est dit que ça t'aiderait à garder les pieds sur terre, si tu avais quelqu'un sur qui compter. On sait que tu n'as pas de famille ici pour te rappeler qui tu es, d'où tu viens. On a pensé qu'elle te serait d'un bon soutien, explique-t-il.

— On s'est pas trop trompé quand même, t'as bien apprécié sa petite visite, pas vrai ? insiste Nico avec un ton graveleux qui ne me plait pas beaucoup. Je sers les poings et me retiens de lui montrer ma façon de penser.

— Bande d'enfoirés, vous nous avez espionnés... dis-je en serrant les dents.

— Ce qui est sûr, c'est que ta belle salope de Lady Cash n'aurait pas apprécié de savoir que tu joues double jeu. Si elle savait que tu en as baisé une autre dans son dos...

— Ferme ta gueule, Nico ! dis-je en perdant complètement mon sang froid. Je me jette sur lui et l'attrape par le col, le soulevant presque du sol, prêt à lui en coller une.

— Bah quoi ? D'habitude c'est elle qui mène les hommes par le bout du nez. Ou plutôt le bout de la queue. Imagine, sa tête quand elle va découvrir que tu es flic, poursuit-il.

Il insiste si lourdement que j'ai finalement un déclic : ils me testent, encore. Ils veulent s'assurer que je suis toujours de leur côté, en me poussant à bout. Je lâche brusquement sa chemise que j'ai chiffonnée et pose une main sur son épaule.

— Ne manque pas de respect à Samia, s'il te plait, dis-je pour rectifier le tir. Ça me met hors de moi, Nico ! Mais oui, j'ai hâte de révéler qui je suis à Jenna. Ça me libérera d'un poids, et elle comprendra qu'on l'a démasquée. Ce sera jouissif. Mais sérieux les mecs, soyez un peu plus solidaires, arrêtez de jouer avec mes nerfs. J'ai besoin de pouvoir compter sur vous.

Ils semblent rassurés par ma réaction, et se regardent l'un l'autre avec un air désolé, comme s'ils se sentaient un peu coupables de m'avoir ainsi mis à l'épreuve.

— Cette histoire sera bientôt derrière toi, l'enquête touche à sa fin. Elle va forcément se confier au Costa Rica. Elle fera des impairs, c'est certain. Tu as dû croiser Maxence, en salle d'embarquement. Il part avec toi, et la police costaricaine a été contactée : ils sont plutôt coopératifs. Ils seront prêts à intervenir si tu es menacé. Tout est sous contrôle.

— Ok. Et comment on fait pour l'écoute ?

Léonard ouvre une petite boîte d'où il sort une minuscule oreillette intra-auriculaire qu'il m'aide à installer, ainsi qu'un micro qu'il accroche de nouveau à ma chemise. Un mouchard...

— Tu les gardes sur toi jour et nuit, en permanence, quoi qu'il arrive, OK ?

— Entendu. Je ferai au mieux.

— Dans ta valise, tu as une brosse à dent électrique. Le manche peut s'ouvrir : dedans, tu as un double de l'oreillette et du micro. Tu les porteras en alternance, et lorsqu'ils sont dans la brosse à dent et que tu la branches, ils se rechargent. Tu as donc un exemplaire pour la journée, et un exemplaire pour la nuit. Chacun a 12h d'autonomie, tu n'as donc pas de marge de manœuvre. Sois bien rigoureux, me recommande Léonard.

— Ok, je dois y retourner, elle va commencer à se poser des questions.

— Bonne chance, Quentin. On se voit à ton retour.

Je leur serre la main sans m'attarder et reprends la direction du salon VIP. J'ai franchement mauvaise conscience, car je sais que je leur dissimule une information capitale. Il suffirait que je leur indique où se trouve la panic room de Jenna, et une perquisition permettrait de dénicher ses journaux intimes. Ils y trouveraient très certainement les réponses dont nous avons besoin. Au lieu de ça, je fais durer la mise en scène et je m'offre une escapade au Costa Rica avec la suspecte... Je ne suis vraiment pas fier de moi. Mais j'ai la sensation qu'il me manque des éléments, je veux continuer à découvrir son fonctionnement. Et puis, je dois me l'avouer, je suis de moins en moins à l'aise avec l'idée de la trahir. Jenna me fait désormais totalement confiance, et je m'en sens privilégié. J'imagine déjà la déception dans ses yeux quand elle me regardera en tant que flic. Le dégoût, la haine, la rage. Et pourtant, je dois servir la Justice : si elle est responsable de la mort de trois hommes, alors elle a affronté la peur dans leur regard mais elle leur a tout de même ôté la vie, comme un monstre sans émotion. Si elle a réellement fait tout ce mal autour d'elle, je ne peux la traiter avec compassion. Je ne peux me rendre complice de sa barbarie. Au-delà des questions de Justice, ce dossier me cause un cas de conscience, et je me dois de l'élucider.

Lorsque j'entre dans le salon où les passagers attendent notre vol, Jenna est plongée dans la lecture de son livre. Max, lui, m'adresse un regard entendu au-dessus de son magazine.

— Quel était le problème ? me demande-t-elle alors que je prends place.

— Rien de grave, dis-je en attrapant sa main pour la tenir dans la mienne, entremêlant nos doigts. Ils m'ont posé plein de questions sur le contenu de ma valise, jusqu'à ce que je comprenne qu'on ne parlait pas de la même. Ils n'ont pas interpelé la bonne personne.

— La prochaine fois, contente-toi de leur glisser un gros billet, ça t'évitera de négocier avec eux. J'espère au moins qu'ils se sont excusés.

Je ne peux m'empêcher de sourire face à son tempérament de feu. Notre avion est enfin prêt, nous montons à bord du petit appareil. L'intérieur est superbe : les parois sont plaquées de bois sombre, les sièges sont en cuir blanc molletonné. Nous sommes quelques dizaines de passagers seulement, que des gens fortunés. Nous prenons place au centre de l'appareil, mais il y a beaucoup d'espace entre les rangées, ce qui nous confère une certaine intimité malgré tout. Les sièges sont pivotants, de telle sorte que nous pouvons les orienter l'un vers l'autre et voyager face à face. Jenna ne s'en prive pas et en profite pour placer ses jambes au milieu, entre les miennes. L'avion commence tout juste à rouler vers la piste de décollage, qu'elle a déjà défait ses chaussures et placé sa jambe droite sur mes genoux, son pied arrivant le long de mes côtes, tandis que son autre jambe reste entre les miennes. Sentir le contact de son corps contre le mien est un exercice périlleux, et je lute pour garder le calme au niveau de mon entrejambe, largement exposée. Je sens déjà des pulsations descendre dans mon bas-ventre, tandis que je la contemple, nonchalamment installée face à moi, grignotant l'ongle de son index sans me quitter du regard. Belle, provocante, dangereuse. Mais je la sais aussi traquée, menacée. Pleine d'ambivalence, cette femme est une énigme. Elle attrape ma main et la serre très fort au moment où les moteurs produisent leur forte poussée, nous scotchant à nos sièges.

Notre avion décolle enfin, Jenna retrouve son calme une fois notre vitesse de croisière atteinte. Autour de moi, j'observe les autres passagers. La plupart est affairée sur un ordinateur portable ou un téléphone. Le reste est déjà en train de roupiller, peut-être victime d'un décalage horaire ? Max, lui, est plongé dans la lecture d'un roman d'espionnage. Il m'envoie un clin d'œil amical quand il se rend compte que je l'observe, dans le dos de Jenna. La présence de mon collègue ne me rassure pas, bien au contraire. J'ai la sensation qu'un seul faux-pas de Jenna, même un demi- aveux maladroit, et elle sera jetée au sol, menottée. Pourtant, j'ai plutôt confiance en Maxence. J'ai de la chance que ce soit lui qui nous accompagne, car il est tempéré. Le genre de flic avec qui on peut discuter facilement. Pas une tête brûlée comme on en voit trop souvent.

En me focalisant sur cette pensée plus positive, je parviens à me détendre un peu et à savourer le confort de mon fauteuil. Notre vol, bien que direct, va durer 11h. Nous disposons d'un large écran avec casque sans fil pour regarder des films. Mais la belle costaricaine ne semble pas décidée à pratiquer ce type d'activité... Le regard de braise qu'elle me lance laisse penser qu'elle a tout autre chose en tête.

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