Chapitre 13

Je m'échappe du cabinet de toilette où je m'étais isolé et retourne à la cuisine. Nous n'avons rien avalé depuis notre déjeuner au Chanteclerc, et j'ai l'estomac vide. J'imagine qu'il en va de même pour Jenna. En fouillant dans les placards, je trouve un bloc de foie gras et une boule de pain tranché. Parfait ! J'étale grossièrement le foie gras sur quelques tartines, ajoute un soupçon de confiture de figue que je trouve dans le frigo, et installe le tout sur un petit plateau en ardoise. Alors que je m'apprête à quitter la pièce, j'aperçois une bouteille de vin blanc entamée. J'ai beau chercher partout, je ne trouve aucun verre à vin. Ils sont certainement rangés dans un vaisselier dans l'un des salons... Tant pis, je ne vais pas y passer la nuit ! Je remonte à l'étage en emportant mes trouvailles. L'accès à la panic-room est refermé, et si je ne l'avais pas vue de mes propres yeux je ne croirais pas à son existence. Indétectable. Je frappe trois fois sur le fond du placard, mais sans certitude que Jenna m'entende : ça ne sonne même pas creux ! On pourrait croire que j'ai rêvé toute cette histoire. Pourtant, le fond du dressing coulisse en silence, probablement grâce à des pistons hydrauliques.

Je gravis les quelques marches qui me mènent au repaire de Lady Cash. J'aperçois d'abord ses jambes nues, croisées et repliées élégamment sous son siège. Elle est assise à son bureau, en train de démêler ses longs cheveux d'ébène, vêtue d'un kimono de satin noir fermé par une simple ceinture nouée négligemment, laissant apparaître beaucoup trop de peau pour ne pas me faire louper la dernière marche. Heureusement je retrouve mon équilibre et le plateau reste stable dans mes mains. Je me racle la gorge et lui propose :

— J'ai pensé que tu aurais faim. J'ai trouvé ça dans la cuisine, j'espère qu'Armand ne m'en voudra pas d'avoir fouillé.

Elle se tourne vers moi, un sourire illumine son visage lorsque ses yeux s'arrêtent sur le plateau. Je le dépose au centre du lit tandis qu'elle me rejoint et s'assoit en tailleur sur la couette moelleuse. La fluidité de son kimono est un supplice : il en dévoile trop ou pas assez, menace de s'ouvrir davantage à chacun de ses mouvements, glisse sur sa peau hâlée, laisse apparaître une épaule rebondie sur laquelle ma bouche rêve de s'attarder. Mais ce n'est rien à côté de la tentation de ses lèvres lorsqu'elle mord à pleines dents dans la tartine. Je lui tends la bouteille de vin blanc et elle s'esclaffe :

— On va vraiment boire comme ça, au goulot ?

— Je n'ai pas trouvé les verres en cristal... Et puis, ça aurait trop contrasté avec l'idée du plateau pique-nique.

Elle avale une gorgée en penchant la tête un peu en arrière, et s'essuie maladroitement le menton du revers de la main. Elle semble amusée par ce repas improvisé.

— Quentin, ce midi nous déjeunions au Chanteclerc, et ce soir nous pique-niquons sans couverts... Quel contraste !

— Oui... mais les sandwichs sont au foie gras, tout de même ! dis-je en retenant un rire.

Elle croque à nouveau dans sa tartine et cache aussitôt sa bouche avec sa main, comme si je risquais d'assister à quelque chose de trop indécent. Je ne peux m'empêcher de sourire, amusé par la scène. Cette femme richissime, d'une élégance scandaleuse, si sûre d'elle en toutes circonstances... qui porte ses doigts à sa bouche pour terminer les miettes avec une moue presque enfantine ! Ses yeux croisent les miens et elle semble percevoir mon amusement car un éclat de rire jaillit de sa gorge. Elle porte à nouveau la bouteille à ses lèvres, puis me la tend. Lorsque j'imite son geste à mon tour, le contact du verre, passant si vite de sa bouche à la mienne, me provoque des décharges électriques dans le bas du ventre. Est-ce cela, les fameux papillons dont on parle dans les comédies romantiques ? Elle me dévisage soudainement avec une expression plus sérieuse, comme si je n'étais pas le seul à trouver la scène très érotique. A mon tour, je lui tends la bouteille avec un air de défi. Elle s'en saisit, entrouvre les lèvres pour laisser apparaître furtivement sa langue, bien avant que la bouteille n'arrive jusqu'à leur hauteur.

— Ne me provoque pas, Jenna, dis-je en serrant les dents.

Elle écarte la bouteille — pratiquement vide cette fois —, hausse les épaules et passe la langue sur sa lèvre supérieure en détournant le regard, feignant l'indifférence. C'est est trop, je me penche vers elle, et la Costaricaine ne recule pas d'un millimètre :

— La prochaine fois j'apporterai des verres, car tu es bien incapable de boire comme les filles des bars, murmuré-je en attrapant son menton entre mon pouce et mon index, alors que ma bouche fond sur sa lèvre inférieure pour rattraper la gouttelette de vin qui menaçait de s'en échapper. Pardonne-moi, je refuse de gâcher la moindre goutte d'un si bon vin, chuchoté-je à son oreille en me reculant.

— Il y a pourtant bien des choses que je maîtrise mieux que les filles des bars, feule-t-elle en feignant d'être vexée. Il y en a bien deux ou trois que je pourrai te montrer dès cette nuit, si tu te tiens tranquille, promet-elle.

Mes sens sont en feu, et mon sexe en érection depuis un moment déjà. D'un geste instinctif, je repousse le plateau qui nous séparait et qui s'écrase au sol, supprimant ainsi la distance entre nous. Elle se laisse retomber en arrière tout en m'attirant sur elle. Nos souffles se mêlent et nos respirations s'emballent déjà.

— Jenna, nous devons cesser immédiatement ce jeu dangereux... dis-je surtout pour tenter de me raisonner moi-même.

Elle ne m'écoute pas, sa main se glisse entre les boutons de ma chemise et effleure ma peau brûlante. Les boutons résistent, ce qui semble contrarier un peu trop sa fougue. Enfin, celui sur lequel s'acharnait son autre main vient de céder, dévoilant une partie de mon torse. L'air frais de la chambre sur mes muscles bouillants me produit l'effet d'une claque. Mes pensées se clarifient tout à coup : mon micro, bordel ! Je m'écarte d'un bond, paniqué à l'idée qu'elle l'ait trouvé. A genoux, dressé au-dessus d'elle et l'entrejambe au bord de l'explosion, je m'empresse de reboutonner ma chemise. Par chance, le micro est resté bien à sa place, elle n'est pas tombée dessus. On a frôlé la catastrophe !

— Excuse-moi Jenna, mais si je ne m'arrête pas maintenant, je n'en serai bientôt plus capable. Et je ne veux rien faire que l'un de nous pourrait regretter.

— Pour les regrets, j'ai l'impression que c'est déjà trop tard, grogne-t-elle entre ses dents, tout en réajustant son kimono.

— J'ai besoin d'une douche bien froide, dis-je en coupant-court à la conversation.

— Tu sais où est la salle de bain, répond-t-elle d'une voix plus douce, sans agressivité cette fois.

Je m'enferme dans la pièce en marbre sans me retourner vers elle, craignant qu'un seul regard ne me fasse changer d'avis. Je prends appuie sur le rebord du lavabo en fixant le sol, et vide mes poumons dans une longue expiration. Mon rythme cardiaque redescend progressivement, mes muscles se détendent.

Une vingtaine de minutes plus tard, lorsque je quitte la salle de bain, ne portant plus que mon sous-vêtement, elle est assise à son bureau et rédige quelque chose à la main. En me voyant, ses yeux me détaillent avec un soupçon de gourmandise qui m'électrise. Mais ses traits reprennent très vite un air sérieux, alors qu'elle referme le petit carnet et se dirige vers moi. La belle Costaricaine attrape ma main, glisse ses doigts sensuellement au travers des miens, et la porte à sa joue dans une douce caresse.

— Quentin, je comprends, chuchote-t-elle avec douceur, c'est moi qui t'ai repoussé brutalement à la sortie du restaurant. C'est normal que tu sois perdu. Et puis, il faut dire que les trois derniers hommes à avoir partagé mon intimité sont morts... murmure-t-elle tristement en baissant les yeux.

— Je n'ai pas peur de toi, Jenna.

— Tant mieux, sourit-elle en relevant les yeux pour croiser les miens. Reste, s'il te plait. Je serai sage, promet-elle avec une moue malicieuse.

— Je reste, je ne t'abandonne pas.

— Merci. Tu as failli être le premier homme que je doive supplier... s'amuse-t-elle avec une expression de provocation.

Elle m'entraîne vers le lit où elle s'installe à genoux, puis m'attire à elle. Nous nous allongeons l'un contre l'autre, nous faisant face, presque enlacés. Il est sans doute cinq heures du matin, mais la lumière tamisée crée des ombres orangées sur ce décor irréel, le feuillage au plafond me donne l'impression d'être couché dans l'herbe au crépuscule. Le moment me semble parfaitement opportun pour des confidences. Je veux obtenir la vérité, percer ses secrets.

— Tu n'as pas eu le temps de finir ta phrase, quand on se disputait devant le restaurant. Tu étais sur le point de me dire quelque chose, l'encouragé-je en chuchotant.

— Je voulais te dire que je ne peux pas être avec toi. Même si j'en ai très envie, j'ai un projet important avec lequel tu n'es pas compatible... Et ça devient une véritable torture, avoue-t-elle, sa bouche si proche de la mienne que je peine à garder ma concentration.

— Ce projet, c'est quoi ? Dis-moi. Je peux tout entendre.

— Non, je ne peux pas te le dire, Quentin. Il faut que tu le voies de tes propres yeux, pour comprendre.

— Alors montre-moi.

— On prendra l'avion tout à l'heure. Je vais tout te montrer. Tu comprendras ce qui me retiens, ce qui m'empêche d'être qui je veux. Et alors, tu pourras me juger.

Sa voix faiblit, ce n'est plus qu'un souffle. Elle ferme les yeux et vient blottir sa tête dans le creux de mon cou, prête à s'assoupir. Nous sombrons ensemble dans un sommeil empli de promesses.

Lorsque j'ouvre les yeux, sans doute quelques heures plus tard, elle dort encore profondément. Son kimono a glissé le long de son bras, laissant son épaule nue. J'y dépose un chaste baiser, savourant le contact de sa peau douce et chaude, et observe longuement son visage apaisé. Je suis incapable de me rendormir, car il y a beaucoup trop de doutes et de questions qui tournent dans ma tête. Je me lève en prenant un maximum de précautions pour ne pas la réveiller. Je fais quelques pas dans la chambre, observant les lieux, et mon regard se pose finalement sur le bureau. J'attrape le petit carnet qu'elle noircissait hier soir. Il est numéroté : sur la couverture, elle a tracé le chiffre 4 avec un stylo doré. J'entreprends de le feuilleter, et comprends assez vite qu'il s'agit d'un genre de journal intime. Sur la dernière page complétée, à la date d'hier, je lis en diagonale pour tenter d'extraire rapidement des informations.

... J'ai retrouvé Quentin au Chanteclerc... pas prévu... plus fort que moi...

Une phrase attire soudainement mon attention : "Il me témoigne de l'intérêt, je suis certaine de pouvoir le séduire, et il semble avoir beaucoup d'argent. Mais je refuse de donner son nom à ce nouveau carnet."

Je suspens ma lecture, car Jenna bouge dans mon dos. Finalement, elle semble toujours endormie. J'ouvre le tiroir du bureau en essayant de ne pas faire de bruit. Mon sang ne fait qu'un tour. Il y a là 3 autres carnets similaires, chacun est numéroté. Cependant, le chiffre est accompagné titre.

1. Fiodor Kuznetsov

2. Ruben Perez

3. Mickaël Cauve

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