Chapitre 12

Jenna retire sa main doucement et s'éloigne en me tournant le dos. Elle se dirige vers le bureau, tout en enlevant ses boucles d'oreille pour les ranger dans un petit coffret au milieu de ses papiers. Elle retire ensuite son collier et ses chaussures puis s'étire gracieusement. Libéré de l'emprise de son parfum et de sa peau, je trouve peu à peu mes esprits. Sa proposition de voyage est comme un doux rêve : elle paraît réelle, mais elle est en réalité fantasmagorique. Je suis prisonnier. Cette fille est libre comme l'air, audacieuse, sans attaches, sans contraintes, sans responsabilités. Pour ma part, je suis en mission, pieds et poings liés. Un simple pion dans un échiquier.

— Tu dois être fatiguée. Repose-toi. Je vais m'occuper d'arranger ta chambre en bas, je redescends.

— Je vais prendre une douche, annonce-t-elle sans se retourner vers moi, alors que sa robe glisse jusqu'à ses chevilles.

Je n'arrive pas à détourner mes yeux de son dos, de sa taille, de ses hanches. Sa silhouette est un enchantement, enveloppée d'ombres et de lumières dans cette pièce peu éclairée. Elle pousse une porte à galandage qui laisse apparaître une salle de bain de marbre blanc et noir, à la robinetterie dorée. Je dois lutter pour m'extraire de cet endroit surnaturel.

Une fois les quelques marches descendues, je trouve un bouton qui me permet de rouvrir la porte dérobée. Un peu d'exercice me fera le plus grand bien, ça me remettra les idées en place. Je suis incapable d'être rationnel quand elle est dans les parages. Son charme me monte à la tête, je me sens comme un fauve en cage dans mon propre corps. Je redescends encore d'un niveau pour atteindre la cuisine où je trouve des sacs poubelles et du gros scotch, ce qui me permet ensuite d'emballer l'animal mort au mieux. Je le charge sur mon dos et l'emporte dans la chambre froide où plusieurs morceaux de bœuf sont suspendus. Je fais un peu de rangement pour réussir à caser le cochon. Une fois sorti du cagibi, j'attrape un verre, me sers un peu d'eau et m'installe sur une chaise pour reprendre mon souffle. La vache, qu'est-ce que ça pèse lourd ces bestioles ! Je jette machinalement un œil à mon téléphone portable, et découvre que mes collègues ont tenté de me joindre. Ils voulaient certainement s'assurer que je suis bien rentré. Je me relève et fais quelques pas dans le manoir à la recherche d'une salle de bain pour m'y enfermer. Je dois les rappeler, je ne peux pas leur cacher les derniers événements. Si je leur dissimule tout ceci, je reproduis l'erreur qui m'a valu une mise à pied, mais puissance 1000 cette fois-ci. Et en même temps, si je leur raconte tout, ils obtiendront l'autorisation pour faire une nouvelle perquisition. L'enquête me sera probablement retirée, mon rôle va s'arrêter là. Et le pire dans tout ça ? Ils ne trouveront peut-être rien de croustillant dans sa planque. Mais ce sera trop tard, mon masque sera tombé. Nous aurons gâché nos chances de découvrir le fin mot de l'histoire. Pourtant, il y a encore tellement de zones d'ombre que je pourrais explorer ! Non, il ne faut pas stopper le subterfuge trop vite. Je peux aller plus loin, j'en suis sûr. Une fois enfermé dans un cabinet de toilette au rez-de-chaussée, je compose le numéro de portable professionnel de Léonard et croise les doigts pour qu'il me réponde. Au bout de deux sonneries seulement, il décroche :

— Léonard, excuse-moi de t'appeler à une heure pareille. C'est moi, c'est Quentin.

— Pas de problème, je suis content de t'entendre. Tu es où ? Tu n'es pas rentré à l'appart comme prévu.

J'avais oublié que le loft qu'ils m'ont loué est surveillé. Ils savent que je n'y suis pas retourné.

— On était hyper inquiets ! reprend-t-il.

— Je vais bien. Je suis au manoir.

— Tu déconnes ? Tu passes la nuit avec Lady Cash !? s'égosille-t-il.

— Oui, mais ce n'est pas ce que tu crois. Les types qui ont tiré au restaurant, ils voulaient sa peau. Son manoir a été vandalisé, ils ont laissé des menaces à son encontre. Elle m'a demandé de ne pas la laisser seule. C'est une cible.

— Putain, j'en reviens pas, fais chier ! On va devoir protéger cette salope.

Une idée tordue se forme immédiatement dans mon esprit : j'ai là de quoi justifier de l'accompagner au Costa Rica.

— Ecoute, ce n'est pas tout. Elle se confie de plus en plus à moi. Je viens d'apprendre qu'elle a l'intention de repartir au Costa Rica.

— Merde, merde, merde ! s'emporte-t-il. On n'a pas de motif valable pour la coller en garde à vue prolongée, on n'a rien contre elle pour l'empêcher de quitter le territoire.

— Je sais, mais c'est pas très grave. Le plan marche super bien : elle m'a carrément proposé de l'accompagner au Costa Rica. Ce sera un court séjour, juste quelques semaines.

— Hum hum... Je vois que tu as gagné ses faveurs... un vrai Don Juan, bravo ! Qu'est-ce que tu proposes du coup ?

— Je vais au Costa Rica avec elle. Je lui conte fleurette, on devient intime, j'obtiens sa confiance sans réserve. J'en profite pour récolter des confidences sur l'oreiller, on étoffe notre dossier la concernant. Et à notre retour en France, on aura accumulé suffisamment d'éléments à charge pour lui tomber dessus.

— Je ne sais pas Quentin... Imagine que tu n'obtiennes rien de probant ? Et puis tu ne peux pas partir seul avec elle : tu as besoin de quelqu'un à proximité pour recevoir en direct les ondes de l'écoute. On ne pourra pas suivre vos conversations à plusieurs milliers de kilomètres.

— Tant pis pour le direct : il me suffira de tout enregistrer. Et vous éplucherez ça à mon retour.

— Non, tu ne pourras pas gérer tout seul un enregistrement 24h/24 sans qu'elle te grille. La solution, c'est que tu partes avec un complice. En plus elle est dangereuse, je te rappelle qu'elle en a tué 3 avant toi. Hors de question de te laisser seul. Je dois donc obtenir l'autorisation d'envoyer 2 gars au Costa Rica... C'est pas gagné.

— Il faut quand même essayer... C'est notre seule chance de garder la main sur l'enquête. Si elle part là-bas sans moi, autant classer le dossier.

— Ok, on va tenter le coup. Et pendant que vous serez absents, on travaille sur la piste des tireurs. On va perquisitionner son manoir, puisque tu dis qu'il a été vandalisé, le légiste trouvera peut-être des indices...

— Inutile ! dis-je avec un peu trop de conviction. Vous ne trouverez rien d'intéressant, elle a voulu qu'on nettoie immédiatement, je n'ai pas réussi à l'en dissuader. On a tout enlevé, il n'y a plus rien à voir, expliqué-je, inquiet à l'idée qu'ils puissent découvrir la panic-room avant que je n'ai percé les secrets qui s'y trouvent.

— Ça ne m'étonne même pas, ce manoir est une coquille vide. Bon, je te laisse, et à la première heure demain matin je négocie 2 billets pour le Costa Rica. Si j'obtiens un accord, je mets Max sur le coup. Vous êtes sur la même longueur d'ondes tous les deux. Moi, je ne peux pas m'absenter aussi longtemps et Nico... Hors de question de l'envoyer là-bas, il serait fichu d'ouvrir un bar-paillote sur la plage et de ne jamais revenir. Et fais-moi plaisir, rentre te coucher au loft, ok ?

— Je vais voir ça, je fais au mieux. Bonne nuit.

Je raccroche et me fais aussitôt rattraper par ma mauvaise conscience. Bon sang, à quel jeu dangereux suis-je en train de jouer ? Je ne sais même plus de quel côté je me trouve : je ne sais pas si je manipule Jenna, ou bien mes propres collègues. Je crois surtout que je suis en train de me perdre dans les mensonges. A vouloir jouer sur les deux tableaux, je suis en train de sombrer totalement. Et le pire, dans tout ça ? Je suis incapable de tirer sur le frein à main. Je la sens sincère avec moi, confiante dans les bras d'un homme, et je suis peut-être prétentieux mais j'ai l'impression que c'est la première fois de sa vie. Je trouve ce lien qui se tisse entre nous bien trop précieux pour ne pas le laisser s'installer. Et en même temps, j'ai à cœur de mener à bien la mission que mes collègues m'ont confiée : je ne veux pas les décevoir, je veux me racheter aux yeux de la Police, effacer l'indignité qui m'a valu une sanction par le passé. Je veux faire le bien, je veux servir la justice.

C'est elle, ma porte de sortie : la justice. Je dois découvrir qui est la véritable Jeannette. Lorsque je le saurai, alors la voie la plus juste à suivre deviendra évidente. Ce n'est qu'en perçant ses plus sombres secrets que je trouverai mon échappatoire. Je dois poursuivre mon travail auprès d'elle, je dois faire tomber le masque pour de bon. Pas seulement pour que les méchants soient punis, mais pour me sauver moi-même. Qu'elle soit victime ou coupable, Lady Cash sera, quoi qu'il arrive ensuite, ma rédemption.

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