--- Soleil
T'ES MON RAYON DE SOLEIL, Mathilde.
Ça fait bizarre dit comme ça. C'était mieux quand la pensée n'était pas formulée, quand ce n'était qu'une impression, flottant dans mon esprit sans que je mette des mots dessus. Maintenant, même si ça reste dans ma tête, c'est devenu bizarre. C'est toujours comme ça, j'ai remarqué. Quand on pose les mots, ça devient trop grave, trop sérieux – ou alors niais à chialer. Mais tant pis.
T'es mon rayon de soleil.
Bien sûr, je te le dirai jamais en face. Ce n'est pas le genre de chose qu'on dit à voix haute, pourtant ça reste vrai. Tu es forte, Mathilde, tellement courageuse de sourire pour deux. Papa dit qu'avec tes notes en maths, t'es pas une lumière, mais tu brilles. Tu brilles. Si tu savais combien je t'admire...
Je te dis ces mots dans ma tête en espérant que tu ne devines rien, mais peut-être finalement que je devrais te les faire comprendre. Te dire à quel point tu comptes. Dans un monde idéal, je le ferais, peut-être. Dans la réalité, j'ai appris à garder le silence, à verrouiller mes émotions, à taire mes pensées. Ne pas être faible. Ne jamais me montrer telle que je suis, à personne. Maintenant, c'est un réflexe, ça fait partie de moi, si je voulais changer je ne le pourrais pas. Même face à moi-même j'ai du mal, Mathilde... Mais te parler dans ma tête, c'est plus facile. Tout est plus facile quand tu es là.
J'aimerais avoir ton courage. Je me répète, je sais, mais ça tourne sous mon crâne, ça ne me laisse pas de repos. Je crois que tu es tout ce que je n'arrive pas à être. Tu es un rayon de soleil. Tu réchauffes mon cœur, tu illumines mon chemin, mais tu es si lointaine que moi, je ne peux rien pour toi. Dis, est-ce que tu as froid, dans le vide sans fond de l'espace ?
Mathilde, tu me souris, tu me jures que tout s'arrangera, et moi je me demande si tu y crois. T'as l'air si lointaine, parfois. Puis tu me serres contre toi, et j'oublie. Jusqu'à la fois suivante.
Reste mon rayon de soleil. Résiste, sois forte encore pour nous deux, j'ai besoin de toi. Je suis faible, je sais, je suis un poids, je sais, je t'empêche d'être heureuse...
Mathilde, je t'en supplie.
C'est presque supportable, avec toi. Quand les cris pleuvent et qu'on se réfugie dans ton lit, celui du bas. Tu me prends dans tes bras, tu me chuchote que tout ira bien, que c'est normal, normal, normal, normal. On écoute en silence. Les cris, les insultes. La rage. Et puis Maman qui cesse de hurler. Qui finit toujours par se taire.
C'est presque supportable.
Je me souviens de ce jour-là, je ne sais plus quand, il y a quelques semaines, quelques mois peut-être. Tu pleurais, Mathilde, toi qui souris toujours. Tes yeux étaient rivés dans les miens, au milieu du silence qui suit toujours les cris. Tu m'as dit il faut que ça cesse, tu m'as dit je ne peux plus, tu m'as dit fuyons, fuguons, partons. J'ai eu peur, ce n'était que de la peur. Je pensais oui, j'ai dit non. Tu n'as pas insisté, t'avais l'air si faible, si perdue. Le lendemain tu étais redevenue mon rayon de soleil, tu souriais, tu me disais que tout était normal.
Je ne sais plus où j'en suis, Mathilde. Je ne sais plus ce qui est bien, ce qui est mal. Dans les livres on nous dit que la normalité n'existe pas, que chacun est étrange à sa façon et qu'aucune bizarrerie ne doit être exclue. C'est peut-être vrai. Je n'en sais rien.
Je suis si fatiguée... J'aimerais dormir. Mais toutes les nuits c'est la même chose, Mathilde, c'est normal ça aussi ?
Toutes les nuits il y a nos yeux grand ouverts, le noir qui nous engloutit, les mots que nous n'osons pas prononcer qui flottent entre nous, il y a la rumeur lointaine de la vie des autres, coups de Klaxon, rires, bruits de volets qu'on descend. Il y a l'attente, même si nous nous persuadons que nous n'attendons rien. Et puis parfois, souvent, il y a les pas pesants, qui hurlent quand le reste du monde tente de disparaître, les craquements du plancher, nos souffles retenus. Il y a les grincements du sommier quand le corps s'affale sur le lit du bas. Il y a les frottements de tissu, les soupirs exhalés, et ton silence, toujours ton silence. Notre silence me crève les oreilles.
J'aimerais dormir, mais mes yeux ne se ferment pas. Alors je fixe les étoiles phosphorescentes qu'on a collées au plafond il y a des années. Elles émettent une lueur pâle qui ne percent pas la nuit aussi bien que toi, rayon de soleil, promesse de chaleur. J'essaie de me raccrocher à elles, mais elles ne valent rien face à toi. Je leur murmure sans un mot de garder le silence.
Garder le silence.
Après, parfois, je voudrais me lever, te rejoindre et te réconforter. Mais j'ai peur, si tu savais comme j'ai peur ! J'ai peur des monstres de mon enfance, tu vois, ceux qui vivent sous le lit. J'ai peur que tu m'en veuilles.
Je t'en prie, Mathilde, reste. Reste mon rayon de soleil. Ces temps-ci, je crains que tu ne t'éteignes...
Continue à briller pour deux, à me donner la force de faire comme si tout allait bien. Ne pars pas. J'ai tellement peur que tu me laisses, que tu me plonges dans la nuit.
T'es mon rayon de soleil, Mathilde, mon seul rayon de soleil.
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