--- La chambre
Presque minuit, le 31 octobre 2120. Les rues sont sombres et silencieuses. Tout le monde respecte le couvre-feu le jour d'Halloween.
Il regarde par la fenêtre. Il aimerait bien habiter dans un appartement plus haut, il aurait une meilleure vue, mais son immeuble ne fait que dix-neuf étages. Si seulement il vivait dans l'un des gratte-ciels qui pullulent dans la ville ! Sa maman ne les aime pas, elle dit qu'il y a trop de monde. Ce n'est pas bon, le monde. Personne ne doit les remarquer.
Il a déménagé trente-sept fois, il a compté. Dans sa tête, bien sûr. Il aurait voulu le faire sur la tablette de sa maman, en notant les endroits, mais elle n'était pas d'accord. Elle a peur que les monstres les trouvent.
Ça fait quatre ans qu'ils changent de maison comme ça. Il ne sait plus comment c'était, avant. On n'a pas de souvenirs quand on est tout petit, c'est sa maman qui lui a dit.
Depuis, il regarde les rues par la fenêtre. Sa maman a peur des rues. Des gens dans les rues. Elle a peur de tout sa maman, depuis ce jour il y a quatre ans.
Il n'y a personne. Il a téléchargé un livre d'histoires du passé sur la tablette de sa maman. Dedans, on parle d'Halloween. Il paraît qu'il y a cent ans, les enfants comme lui sonnaient aux portes et récoltaient des friandises. Il sourit, rêveur. Ça devait être drôle... et les friandises... Il aurait aimé pouvoir goûter autre chose que les SoSoja que sa maman lui achète quand il est aussi sage et discret qu'une souris – celle qu'il a vue au zoo reconstitué, quand il avait deux ans et demi.
Il aimerait bien aller sonner aux portes, oui... Il n'aime pas trop les SoSoja, mais il pourrait faire des blagues aux gens. Ce serait rigolo. Il aimerait bien, mais il n'a pas le droit. Sa maman ne veut pas qu'il sorte.
Elle avait très peur, aujourd'hui. Encore plus que les autres jours. Elle avait des yeux bizarres, comme lui quand il pleure. Ça l'a mis en colère. Sa maman ne doit pas avoir peur, lui a peur, elle ne peut pas, elle doit le rassurer ! Alors il a crié, très fort : « Je te déteste ! T'as pas le droit ! » Il s'est mis à pleurer, il voyait plus rien à cause des larmes, et sa maman le regardait d'un air triste, trop triste, pourquoi elle était pas furieuse ? Il avait été méchant, elle devait le gronder, pas le fixer comme ça ! Il a hurlé encore plus fort : « D'abord, je sortirai quand même ! Je m'enfuirai ! Je veux plus rester ici ! » et il est parti dans sa chambre.
Il n'en est pas sorti depuis. Il ne pourrait pas, de toute façon : sa maman l'a enfermé.
Il s'est jeté contre la porte, il a pleuré, hurlé, menacé, il a même utilisé le Secret. Sa maman le lui a interdit, mais il voulait sortir, alors il a fait comme il y a quatre ans : il a lancé toute sa volonté dans la porte, comme dans Karim l'autre fois. Mais même avec ça, il n'a pas réussi. La porte est restée fermée. Il a cogné dedans, très fort. Ça n'a pas marché.
Maintenant il regarde dehors. Il se sent mal. Il est épuisé, il a l'impression d'être vide. Il a trop pleuré, il n'y a plus de larmes en lui. Il se sent sec, alors il observe et il regrette en silence.
Il voudrait sortir. Il voudrait affronter toutes ces choses qui font peur à sa maman. Mais il est enfermé, et puis il est trop petit. Six ans, sept mois et trois jours, c'est pas assez pour combattre les monstres, même avec le Secret. C'est sa maman qui le dit. Les monstres sont méchants. Ce sont des humains, mais ils veulent l'emmener et lui faire du mal. « Je ne peux pas te laisser. Ils t'emmèneront, tu entends ? » C'est ce qu'elle a expliqué en l'enfermant dans sa chambre.
Il en a assez d'observer. Il ne se passe rien dans ces rues. Comment c'était avant, quand les enfants sortaient pour Halloween ? Est-ce qu'ils riaient ? Est-ce qu'ils étaient heureux ? Oui, sûrement. Ils sont heureux les enfants, normalement. « Je veux que tu sois heureux, lui a chuchoté sa maman avec cette voix pleine de larmes, à travers la porte de sa chambre. Un enfant doit être heureux. Mais tu n'as pas eu de chance, tu comprends ? Je dois t'aider. »
Il en a assez alors il décolle son nez de la fenêtre poussiéreuse et il s'allonge sur le sol de sa chambre. C'est du béton, dur, froid, parce que sa maman ne veut pas payer le chauffage. Pas pour lui. Il doit faire semblant de ne pas être là.
Il regarde le plafond gris. Sa chambre est sale et vide. Il n'y a que son lit et son armoire. Sa maman a un grand lit propre aux draps blancs, qui la tire du sommeil avec des vibrations très douces. Lui, il se contente du système de base, avec de la lumière, qui date d'au moins cinquante ans et qui le réveille toujours en sursaut.
Il pense. Penser, il ne fait que ça. Il ne va pas à l'école, ça fait quatre ans qu'il n'existe pas. Quand les voisins viennent voir sa maman, il se cache dans sa chambre. Il ne peut regarder à la fenêtre qu'en éteignant la lumière. Personne ne doit connaître le Secret, personne ne doit savoir qu'un petit garçon vit dans l'appartement. Sa maman lui a appris à lire, alors il passe ses journées dans les histoires qu'elle télécharge sur sa tablette. Sa tête est pleine de mots, d'aventures et de rêves.
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