Chapitre 5 : Intersections

Quentin s'approchait de l'homme, résolu mais prudent. Il avait encore en tête l'épisode de sa traque par quelqu'un qu'il n'avait même pas pu apercevoir.

De son côté, celui qu'il approchait ne bougeait pas : il semblait le dévisager alors qu'il avançait. Très vite, la situation fut comparable à la rencontre impromptue de deux chats sauvages, sur leurs gardes. La vitesse avec laquelle s'était déroulé son premier contact avec Sophie avait certainement sauvé Quentin d'une gêne similaire, à la réflexion.

En fait, si tout le monde ici avait perdu la mémoire, il était tout naturel que personne ne se fasse vraiment confiance et même, que les gens se craignent mutuellement.

Quentin était arrivé à portée de voix, et il put détailler le physique de l'homme avant de le héler : il allait à première vue sur ses cinquante ans passés, et l'inconnu portait de courts cheveux grisonnants qui couronnaient un petit corps ratatiné.

"Hé !" appela t-il simplement, espérant qu'il n'allait pas s'enfuir effrayé.

Quentin apprécierait bien un peu de compagnie.

Mais il ne fit rien de ça : il continuait de le fixer comme s'il pouvait déchiffrer son existence entière d'un regard.

"Vous... Vous n'êtes pas du groupe ?" demanda l'inconnu, hésitant.

"Le groupe ?"

Quentin avait répété, sans comprendre. Mais de quoi parlait-il ?

"Nous étions cinq au départ, on s'est rassemblés à un point de chute, et on s'est dit qu'on allait se séparer pour couvrir plus de terrain, puis y revenir pour rassembler les infos..." commença t-il à expliquer.

"Ça ne me dit rien." avoua Quentin, "Je n'ai rencontré qu'une personne jusqu'ici."

"Oh, alors, ça vous dirait de vous joindre à nous ?" proposa t-il d'un ton conciliant.

"Si ça peut nous aider à sortir d'ici plus rapidement ! C'est avec plaisir !" accepta Quentin avec joie, un large sourire aux lèvres. L'espoir recommençait à faire battre son cœur.

"Alors c'est d'accord ! Au fait, moi, c'est Julien."

"Quentin" livra t-il d'une voix neutre. "Enchanté. A tout hasard, vous n'auriez pas entendu parler d'une Sophie dans votre groupe ?"

Julien leva les yeux dans un petit instant de réflexion, qu'il conclut vite :

"Non, ça ne me dit rien. Pourquoi ?"

"C'est elle que j'ai croisée. Mais... Vous êtes tous amnésiques, dans le groupe ?"

A vrai dire, Quentin espérait que ce ne fut pas le cas. Il pourrait ainsi en apprendre un peu plus.

"Oh, je... Oui. Oui, aucun d'entre nous n'a de souvenirs."

Ce n'était pas vraiment étonnant, mais au moins, il aurait tenté.

"On devrait rentrer au point de rendez-vous du groupe." proposa Julien. "Il faut que je vous présente."

"Oui, ça me fera du bien de voir du monde." acquiesça Quentin, pressé de travailler avec un collectif pour se sortir de cette situation.

Il suivit Julien, qui avait visiblement mémorisé le chemin à travers le dédale pour revenir vers son groupe, car il avançait promptement, sûr de lui, malgré les nombreuses intersections.

Alors qu'ils marchaient d'un pas soutenu sans interruption, l'horrible voix du Maître retentit à nouveau, se répercutant dans les couloirs en créant un écho surnaturel :

"Je suis le Maître du Labyrinthe, et le Jeu va commencer.

Mais d'abord, laissez-moi vous livrer ce dont vous aurez besoin pour le disputer."

Quentin et Julien s'étaient figés, mortifiés. Devant chacun d'eux, un petit carré de béton bien délimité s'était ouvert dans le sol, laissant échapper un plateau chacun, contenant trois objets.

Une bouteille d'eau, une tranche de pain, et un couteau dentelé.

Une réponse nerveuse brutale secoua l'échine de Quentin quand il aperçut le couteau offert face à lui. Ce n'était pas le genre de couvert qu'on apportait à un petit pique-nique tranquille. C'était une arme de guerre, pensée pour tuer. La lame était déraisonnablement large, le manche en cuir invitait à une prise ferme.

Le souffle coupé, Quentin leva les yeux vers son nouveau compagnon, qui haussa les épaules à la nouvelle, ironique :

"Tant mieux, j'avais soif !"

Julien s'empara de la bouteille et la déboucha d'un geste.

"Attends !" intervint Quentin, pris de panique. "Elle est peut-être empoisonnée."

Le vieil homme l'ignora, et but à pleines gorgées, ne s'arrêtant que pour souffler :

"Mais non... C'est de l'eau."

A ces mots, il s'écroula à terre, comme foudroyé.

Quentin blêmit. Quelle terrible substance devait être contenue dans ces récipients pour qu'elle puisse terrasser l'homme d'une façon si soudaine ?

En proie à la terreur, il se précipita vers le corps de Julien, qu'il secoua en vue de le réveiller :

"Hé ! Réponds-moi ! Dis-moi que tu n'es pas mort ! Tu ne peux pas mourir comme ça..."

Il vint à Quentin l'idée de lui prendre le pouls. Toujours submergé par la panique, il se pencha vers sa poitrine, et entendit un petit rire froid :

"Hé hé hé !"

Il eut l'impression qu'une enclume lui tombait dans le ventre.

"Je t'ai bien eu !"

Julien se relevait, l'air amusé.

La main droite posée sur son cœur, Quentin rassemblait toute sa volonté pour éviter de le gifler.

"Ne refais... Jamais ça !"

"Tu croyais quoi, qu'ils voulaient tous nous tuer avec ce ravitaillement ? On serait déjà tous morts si c'était le cas !" se moqua Julien.

"Ce n'était vraiment pas drôle." opposa Quentin.

"D'accord, d'accord, j'ai compris ! Allez, on se remet en route."

Ils ramassèrent chacun le ravitaillement qui leur avait été attribué, puis se remirent à marcher.

"Ce n'est plus très loin." annonça calmement Julien, alors qu'il ignorait un couloir qui s'ouvrait sur sa droite.

Une voix qui parut familière à Quentin, sans qu'il put se souvenir où il l'avait déjà entendue, s'y éleva, un simple et clair :

"Hé !"

Étonné, il se retourna, mais ne put rien apercevoir dans le conduit, vide. Il voulut s'y engager, mais Julien le retint par l'épaule :

"Ne perdons pas de temps. Les autres vont vouloir revenir au point de rendez-vous aussi après le ravitaillement, il ne faut pas qu'on les rate."

Quentin se laissa convaincre, mais il était tout de même intrigué par cet étrange appel sorti de nulle part. Il se promit de noter mentalement l'endroit pour y revenir plus tard.

"Plus que deux croisements encore et..." annonçait Julien, mais il fut coupé par l'irruption soudaine sur sa gauche de Sophie.

Décoiffée, l'air plus paniquée que jamais, elle paraissait essoufflée et lança un regard apeuré dans son dos, d'où elle venait.

"Sophie !" s'exclama Quentin, surpris. "Tu vas bien ?"

La question semblait hors de propos, étant donné son état. A bout de souffle, elle ne put que bégayer quelques mots :

"Une arme ! Il m'a pris... Il me faut une arme !"

"Sophie, tu es sûre que ça va ? Tu veux rejoindre le groupe, on est... ?"

"Je peux pas ! Je... Une arme, vite !"

Quentin croisa le regard de Julien, tout aussi décontenancé que lui. Alors, il décida de mettre son couteau dans les mains de Sophie, qu'elle embarqua en repartant aussi vite qu'elle était venue.

"Viens avec nous, on..." proposait Quentin alors qu'elle s'éloignait.

"Pas possible !" refusa t-elle d'un ton paniqué, reprenant sa course folle.

Étonné tant par ses propos que son attitude incohérente, Quentin se gratta l'arrière de la tête, gêné que Julien l'ait aperçue dans cet état, sans trop savoir pourquoi.

"Elle était normale quand je l'ai vue, je ne sais pas pourquoi..."

Mais un début de réponse à sa question vint par l'intermédiaire de la voix du Maître, qui s'éleva à nouveau :

"Je suis le Maître du Labyrinthe, et voici la règle numéro deux.

Quatre. Quatre rôles.

Six. Six victimes piégées et livrées à leur propre sort, traquées. Elles doivent à tout prix trouver la sortie.

Cinq. Cinq Candidats, pauvres innocents perdus, et un Élu. Un Élu pour désarmer, et détruire le Labyrinthe.

Trois. Trois chats pour poursuivre les souris, trois chasseurs impitoyables.

Deux. Deux Gardiens, soldats de la mort fidèles, fidèles au Maître. Un Maître du Labyrinthe pour tout contrôler, et s'assurer de remporter la partie."

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