Chapitre 14 : Impasse
"C'est...C'était moi..." chuchota Quentin, encore choqué par sa découverte. Le souvenir flou de l'inconnu qui l'appelait s'expliquait aussi brutalement que bizarrement.
"On est revenus dans le passé, tu t'attendais à quoi ?", tenta Julien pour le secouer. "Fais gaffe à ce que tu fais, maintenant, on n'est pas certains d'avoir une autre chance !"
"Là-bas...C'est nous...Je suis en train de donner mon couteau à Sophie, c'est ça ?"
Anna et Julien acquiescèrent en silence. Le reste du cheminement mental se fit avec fluidité pour Quentin : quelques secondes de réflexion, et il s'exclama :
"Vous voulez empêcher ça ? Et empêcher le meurtre de Frank par la même occasion ?"
Julien échangea un regard furtif avec son amie, avant de répondre prudemment :
"Non, comme ça, ce n'est pas possible. On créerait directement un paradoxe. Parce que nos nous passés sauraient que dans le futur on voudrait changer ça. Pour faire simple, on ne doit pas croiser les versions passées de nous-mêmes, sinon on crée un paradoxe et notre intervention se plante."
Quentin se mit à se gratter le crâne, tentative futile pour éviter la migraine qui menaçait d'y germer.
"Je ne comprends pas... On ne peut pas changer le passé ?"
"Si, on peut, mais pas n'importe comment." évoqua Anna.
Elle reprit les rênes de l'explication :
"On laisse vos versions passées lui donner l'arme. Et on revient lui reprendre plus tard, quand Sophie pourra penser qu'on ne vient pas du futur mais qu'on a simplement changé d'avis. Si l'un de vous croise sa version passée, il y aura transfert d'informations dans le temps, vos personnalités seront changées...Bref, ça ne marche pas. Je ne l'invente pas, c'était dans le manuel."
Quentin se souvenait vaguement des différents réglages de la machine. Est-ce que c'était à cela qu'ils faisaient référence ? Le problème était de toute évidence bien trop compliqué pour lui. Il décida de se rallier à la décision du groupe :
"Alors, on attend, on la suit, et on la désarme ?"
"C'est ça. Et ensuite on se tient à l'écart, histoire de ne pas croiser nos versions antérieures. On devrait se tenir éloignés des points d'exploration qu'on s'était donnés." suggéra Anna.
Tous approuvèrent tacitement ce plan. Quentin espérait qu'il permettrait que tout le monde sorte de cet enfer sans avoir à souffrir... L'espoir fut pour lui comme une bouée à laquelle s'accrocher, considérant son anxiété extrême. Elle le plongeait dans un état quasi fiévreux, amplifié par l'état de son épaule qui ne s'arrangeait pas. Tous ses muscles le tiraient douloureusement...Il fallait qu'il sorte au plus vite d'ici pour régler ça.
"Elle arrive !" chuchota nerveusement Julien, après un coup d'œil dans le couloir.
Tous s'activèrent alors à se cacher derrière un autre mur. Il fallait que Sophie croie que le groupe l'avait retrouvée après avoir changé d'avis, pas que ce soit elle qui leur tombe dessus ! Sinon elle se poserait des questions sur leurs déplacements aux allures surnaturelles... Bien que, Quentin l'avait appris, cela ne créerait pas forcément un paradoxe, ils voulaient surtout éviter les questions gênantes.
Ils se mirent donc à suivre Sophie pendant de longues minutes avec la plus grande discrétion possible, en veillant à garder une distance raisonnable entre elle et eux. Supposément, quand leurs versions passées l'avaient laissée, elle fuyait quelqu'un ou quelque chose de dangereux.
Cette hypothèse se confirmait par ses tremblements nerveux, sa respiration haletante, et son rythme de marche soutenu. Après plusieurs minutes à arpenter le dédale, Sophie interrompit sa course, et se mit à fondre en larmes, tombée à genoux.
Gênés, les trois compagnons de route ne purent que l'observer s'abandonner à sa détresse. Ils attendaient le bon moment pour intervenir.
Sophie était toujours effondrée, ses mains serrées sur le poignard quand ils vinrent à sa rencontre.
Ils durent improviser une approche qui tenait la route. Elle vint naturellement à Quentin :
"Sophie... Sophie, ça va ?"
L'interpellée hoqueta, et leva des yeux rougis embués sur lui :
"Quentin ?... Qu'est-ce que... Tu fais là ?"
"Je te présente deux amis du groupe, Anna, et Julien. Tu connais Julien, tu l'as vu tout à l'heure ?" avança Quentin, désignant du doigts ses deux compères qui le suivaient de près.
Ils le rejoignirent avec un signe de la main pour la jeune femme, qui se relevait avec précaution. Elle hocha la tête faiblement, et renifla d'un coup sec, ce qui sembla calmer ses tremblements et ses pleurs.
"On a discuté avec d'autres gens du groupe. Ils ont un plan pour nous sortir d'ici ! On va explorer le Labyrinthe, on est proches de trouver la sortie."
"J'ai pas envie... J'ai pas envie de m'associer à eux..." fit-elle avec un mouvement de recul instinctif, comme un animal pris au piège. "C'est pas contre vous, mais... Avec ce qu'on vient d'entendre..."
"Je comprends. Je comprends, Sophie." la rassura t-il. "Tu n'auras pas à le faire. Mais nous, on a besoin d'armes pour faire face aux dangers des lieux qu'on explore... Tu es d'accord pour me redonner la mienne ? Il n'y a rien de dangereux alentour."
Sophie lança plusieurs regards craintifs autour d'elle, comme une biche qui s'attendait à se faire dévorer par un lion en embuscade à tout moment.
"Je te l'assure. Il ne t'arrivera rien." assura Quentin de la voix la plus ferme qu'il put. "Hé, Sophie, regarde-moi."
La jeune femme planta son regard dans le sien. Il put y lire une infinité de sentiments : la peur, le regret, la curiosité... Et la fureur ?
"Tu me fais confiance, hein ?" insista t-il.
"Oui. A toi, oui." avoua t-elle, la voix brisée.
Cette reconnaissance semblait lui avoir coûté beaucoup. Mais, en même temps, elle lui avait tendu son arme, qu'il reprit avec soulagement.
Ils avaient réussi ! Ils avaient changé le passé ! Peut être que personne ne mourrait, après tout !
"Ça va être dangereux, par là." pointa Anna en face d'elle. "Je te conseille d'aller dans l'autre sens, qui sait ce que le Maître peut mettre en travers de notre chemin pour nous barrer la route."
Elle pointa la direction du lieu du meurtre de Frank, Quentin l'avait remarqué. Un atout de plus dans leur manche pour faire dérailler le destin.
"D-D'accord." bredouilla Sophie.
Aussitôt, elle s'éloigna du groupe, dans la direction qu'Anna lui avait conseillée. Si tôt qu'elle fut assez loin pour ne plus les entendre, Quentin remarqua :
"Si quelque chose lui arrive...Je vous en tiendrai pour responsables."
"Ça ira pour elle." affirma Julien.
"Ha ouais, et comment tu le sais ?"
"Je le sais, c'est tout, on a la carte, on connaît les endroits dangereux du labyrinthe."
"Et si quelqu'un lui tombe dessus ?"
Julien roula des yeux :
"Personne ne lui tombera dessus, c'était un mensonge pour te tirer ton arme !"
Quentin siffla pour le faire taire, agacé.
Il ne fallait pas qu'il dise un mot de plus.
"Et Chloé, alors ?" objecta t-il. "On ne peut rien tenter pour elle ?"
"Ça va être compliqué sans s'exposer à des risques, nous-mêmes, parce que..."
La voix robotique du Maître coupa Anna dans son élan :
"Frank ne fait plus partie du jeu."
C'était comme si une pierre s'était abattue dans ses poumons... Ils se retrouvaient à nouveau en pleine impasse.
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