Chapitre 6 - Sira

Je suivais distraitement le débat stratégique qui se déroulait devant moi, lorsque je sentis une sensation étrange dans mon corps. Depuis que j'avais retrouvé l'usage de mes pouvoirs, je ressentais constamment une énergie dévorante couler dans mes veines. L'impression d'être une batterie vivante.

Sauf que quelque chose clochait. Je le savais. Ce n'était pas uniquement mon pouvoir, mais, aussi les vibrations électriques d'un engin à l'extérieur. Il se répercutait en moi tel un écho. Je me mis debout et au même moment, la porte s'ouvrit dans un fracas. Assane rentra brusquement.

—Ils nous ont trouvé, s'alarma-t-il en refermant la porte derrière lui. On en a pour moins d'une demi-heure.

Nos regards se croisèrent et je me détournai. Rahman se figea une fraction de seconde et sembla analyser la situation.

—Que faisons-nous ?, demanda Madéa, dont la panique fit dérailler la voix.

—On pars, il coula un regard sur moi, puis regarda Assane. La princesse et toi allez rejoindre nos guerriers sur la côte. Nous, nous irons vers l'intérieur des terres, conclut-il en se dirigeant en tout hâte au fond de la pièce.

Il saisit une carabine que je n'avais pas remarqué qu'il chargea presque immédiatement. Le déclic de l'arme eu un effet déclencheur sur moi.

—Il est hors de question que nous nous séparions !, intervins-je, la panique ma gagnant.

Le regard réprobateur qu'il me lança me jeta un froid, malgré tout je n'en démordis pas et repris avec hargne.

—Si mon père vous a envoyé ici, c'est pour nous protéger. Pourquoi devrions-nous nous séparer de notre meilleur atout ?

A vrai dire, ce n'était pas la raison pour laquelle je ne voulais pas qu'on se sépare. J'avais tout simplement peur. Le souvenir brûlant des assassins dans notre maison me tourmentait toujours. J'ignorais combien étaient nos assaillants. Peut-être étaient-ils plus nombreux surtout maintenant qu'ils savaient que nous étions protégés. Alors si nous devions nous séparer, ça n'aurait aucun sens.

—Ne vous inquiétez pas, princesse. Ce n'est que temporaire, uniquement le temps qu'on les mène sur une fausse piste. Nous vous rejoindrons bien assez vite, tenta-t-il de me rassurer.

Je décelai un légère hésitation dans sa voix et j'eus la sensation qu'il me mentait. Plus j'insisterais plus il me mentirait. Ça ne servait à rien de poursuivre le débat. Je m'approchai de la table et me penchai sur la carte. Le contour de l'île était dessiné ainsi que ses petites îles avoisinantes sur un papier jauni par le temps. Je doutai un instant de son actualité. Plusieurs croix avaient été tracées au feutre noir à différents points et je reconnus l'emplacement de notre ancienne maison.

Dans mon dos chacun pressa le pas, en proie à une panique générale. La mienne ne fit que s'accroître et mes mains devinrent moites. Je me redressai et me rendis compte du regard intransigeant que Rahman posait sur moi.

—Ne laissez jamais la peur influencer votre jugement. Bon nombre de guerriers sont morts à cause de ça, me somma-t-il avec fermeté.

—Je n'ai pas peur, rétorquai-je de but en blanc.

Un rictus moqueur déforma ses lèvres.

—Pour une gamine sans peur, vous tremblez beaucoup, ricana-t-il avant de reprendre son sérieux. Utilisez la force que vous fournit votre crainte pour survivre.

J'acquiesçai sans mot alors qu'il entreprenait de rouler le plan. Recomptant mes poignards à ma taille et m'attardai celui qui m'avait accompagné depuis ce jour-là. L'adrénaline du combat se diffusa dans mes muscles, me pourvoyant d'une force nouvelle. En équivalence, mon pouvoir vibra avec plus de force. Je fermai les yeux et l'accueillis avec hospitalité. On me tira par le bras et je me retrouvai plaqué contre une poitrine opulente.

—Je ne supporte pas l'idée de nous séparer, murmura Madéa du bout des lèvres.

Je lui rendis son étreinte avec tristesse sans lever la tête. Je refusais de voir son visage décomposé. Je refusais que mon cœur ne se brise par l'émotion. Je me devais de garder la tête froide. Un rire jaune faillit me secouer. Moi qui peinais à calmer ma colère vis-à-vis d'Assane, je parlais de garder la tête froide.

—N'oublie pas tout ce que je t'ai appris. Ne cherche pas à vaincre ton ennemi par l'usure. Va droit au but. Vise les points vitaux, blesse pour tuer, me conseilla-t-elle d'une voix devenue ferme.

Tuer

Ce mot avait un goût amère dans ma bouche. Je n'avais jamais ôté la vie. Pour moi elle était précieuse et ce, même s'il était question de celle de mes ennemis. Je repensai à la veille, à tous les cadavres que j'avais vu dans notre cuisine. La douleur qui m'avait saisie et le malaise qui m'avait ébranlée. Non je ne pouvais définitivement pas tuer. Madéa se détacha et me força à la regarder.

—N'hésite jamais. C'est ta vie qui importe avant tout, me dit-elle.

Quelque chose dans son regard me brisa le cœur. Une larme brûlante s'arracha à mon œil. J'avais l'impression que c'était des adieux, que le temps s'était arrêté pour nous. Atem nous enlaça toutes les deux.

—Nous t'aimons de tout notre cœur, petite étincelle, murmura mon oncle.

Submergée, je lâchai la bride à mes sanglots, trop longtemps refoulés. C'était une séparation bien trop difficile. Plus difficile je ne l'avais cru. J'avais la sensation que plus jamais je ne les reverrais. Eux qui avaient été présents pour moi. Eux, qui m'avaient soutenue lors de mes premières règles. Eux, qui m'avaient éduqués et aimée pendant une décennie. Ils avaient été des confidents, des piliers, des parents. Les parents qui avaient rempli le gouffre immense qu'avait laissé la disparition de ma mère et la séparation avec mon père. J'avais vu en eux, le grand frère que j'avais laissé au Mali. C'était ma famille.

Et ce mauvais pressentiment qui me serrait les entrailles me brisa le cœur.

Mettant fin à notre étreinte, je leur souris avec tristesse en essayant mes joues.

—Ne vous inquiétez pas, je m'en sortirai très bien. Vous aussi... revenez! Les rassurai-je.

Madéa m'embrassa le front.

Nul n'éteindra la flamme...,commença-t-elle.

—... des guerriers du royaume..., poursuivit Atem, un sourire farouche sur les lèvres.

—...de Laamateeri! Conclus-je, traversée d'une force redoutable.

Laamateeri. Mon royaume. Le Royaume du Mali. Ma terre natale.

Lorsque je me détournai d'eux pour chercher Assane, je vis qu'il m'attendais près de la porte. J'inspirai un grand coup et le rejoignit. Il me surplombait de toute sa hauteur et ce ne fut que maintenant que je remarquai le vert émeraude de ses yeux.

—Rahman m'a expliqué le plan, nous allons le suivre, m'informa-t-il en tournant les talons.

Dehors, une moto nous attendait. Exactement la même que celle que j'avais vu plus tôt. Le jeune homme grimpa dessus et me tendit un second casque. Je me souvins soudain pourquoi elle m'était familière. Je l'avais vue quelques fois garée à quelques pâté de maisons de notre ancien chez-nous.

—Tu montes? S'impatienta le motard.

Je sortis de mes pensées et pris le casque avant de monter à l'arrière. Je me collai contre son dos et m'agrippai à sa taille. Dans un autre contexte, cette proximité m'aurait gênée, mais, là il en valait de notre survie. Il actionna le moteur sans un mot et alla vers la forêt. Là où il n'y avait pas de chemin. Je m'apprêtais à le lui faire remarquer lorsqu'il dégagea une main et que la terre devant nous se retourna. Acacias, pierres coupantes, racines desséchées, tout disparu, pour laisser place à une terre fraîchement retournée.

Assane garda son élan. Je regardai en arrière et vis qu'à la suite de notre passage, tout était comme à l'origine. Nous ne laissions aucune trace, aucune piste. J'émis un hoquet de surprise. Nous roulâmes longtemps, sillonnant le bois à vive allure. Tous les muscles tendus, nous étions attentifs au moindre mouvement. La forêt me parut plus agitée qu'auparavant, les oiseaux volants avec vivacité et bas comme si une tempête se préparait. Mais ils n'avaient pas tort, une tempête s'annonçait et nous étions ses instigateurs.

Les troncs défilaient à vive allure et sans cesse à nos côtés, ne laissant aucun répit à nos yeux. La couleur verte de l'herbe avait perdu en éclat, se montrant plus sombre et inquiétante. Un malaise s'était installé en moi et je peinais à me focaliser sur autre autre chose. Je ne tenais plus en place, il fallait que je mette pied à terre. Subitement, Assane freina et la moto bascula en avant, emportés par son élan nous manquâmes de tomber. Je retins un juron en m'agrippant plus fort à lui.

—Pour..., commençai-je.

—Pas un bruit, m'intima-t-il en resserrant sa poigne sur le guidon.

Je me tus. Il se crispa violemment, tendant les muscles de son corps au maximum. En réponse mon rythme cardiaque s'intensifia et l'angoisse surpassa mon malaise. Nous ne fîmes plus de bruit, restant silencieux au milieu de cette forêt tropicale. Je fermai mes yeux et me concentrai sur mon ouïe. Le moindre soufflement des branches me parvint beaucoup plus fort et l'anxiété d'Assane me frappa de plein fouet. Son organe vital menaçait d'exploser sa cage thoracique. Je le sentit prendre une grande inspiration, alors que mon pouvoir s'éveillait sous mon épiderme, libérant une énergie brûlante dans mes veines. L'air se chargeait en électricité. Je portai instinctivement ma main au poignard d'argent à ma taille.

—Nous sommes acculés, j'ignore comment ils ont fait, mais ils nous ont trouvés, me chuchota le jeune homme.

—Combien ?, interrogeai-je en redoutant la réponse.

Il ne répondit pas tout de suite comme pour se laisser le temps d'intégrer l'information.

—Une bonne quinzaine, finit-il par dire.

Je déglutis. Mon stress atteignit son apogée en une fraction de seconde. Je n'étais pas préparée à me battre. Certes, je savais manier le poignard et me défendre, mais, je n'avais jamais mené de véritable combat. Pas contre des gens qui voulaient ma peau. Et pourtant c'était pour ce moment précis que j'avais subit les entraînements intenses de Madéa et les interminable cours d'Atem. Pour aujourd'hui. Ce combat et bien d'autres. Je ne devais pas me défiler maintenant. Je le savais, seulement, je ne m'en sentais pas capable.

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