Chapitre 5 - Assane
Je laissai longuement mon regard traîner vers la porte que Sira avait claquée, en colère. Une fureur que je n'attendais pas l'avait saisie et j'avais à peine pu réagir. La seule chose que j'avais réussi à prononcer avait laissé un goût amère sur ma langue.
Je n'avais jamais eu l'intention de te dire quoique ce soit.
Mais quel idiot ! Je frappai rageusement le sol de terre de ma botte. De la poussière s'éleva et je me décidai enfin à tourner la tête devant moi. Ce n'était pas la manière dont j'avais imaginé nos retrouvailles « officielles ». Bon nombre de scénarios m'avaient tenu éveillé des nuits entières lors de mes tours de garde. Je n'avais jamais trouvé le meilleur moyen de lui annoncer la nouvelle. Dire que je n'avais jamais eu l'intention de lui dire était un pur mensonge. Du moins pas tout à fait.
J'en avait eu l'interdiction. L'ordre formel de ne rien révéler de mon identité. Je me devais de respecter les ordres. Bien des fois, j'avais résisté à l'envie de tout lui dire ne serait-ce que pour parler de nos souvenirs d'antan, lui parler comme l'ami d'enfance que j'étais. Que j'avais été pour elle. L'ami qui avait vécu le même enfer et qui comprenais mieux que quiconque la sensation de trahison qu'elle ressentais à l'instant.
Je me mis à marcher le long du chemin en terre battue qu'ils avaient emprunté une demi-heure plus tôt. Il fallait que je pense à autre chose. La mission avant tout. Mes pas me guidèrent au pied d'un arbre imposant. Contre son large tronc, une cylindrée noire attendait. La moto, coupée pour la haute vitesse avec son *empattement large et sa *chasse réduite, prenait de l'ombre sous le beau fromager.
Je poussai un soupir. Sira l'aurait adorée. j'imaginais son visage émerveillé, son regard brillant de curiosité et ses lèvres se mouvoir à une lenteur démesurée, me demandant si elle pouvait enclencher le moteur. Je fermai les yeux et chassai cette vision de mon esprit.
Enfourchant l'engin, je démarrai en trombe cherchant à faire le vide. Il me fallait me concentrer désormais. Je lâchai le guidon d'une main et me focalisai sur mon objectif, le vent fouettant mon visage. Mon lien avec la terre se fit de plus en plus fort et ma main libre, paume vers le sol, se couvrit de terre. De fines particules tournoyaient autour d'elle, tels des satellites en orbite. Une carte mentale se dressa dans mon esprit dans un rayon de sept cents mètres. Chaque herbe, chaque animal qui foulait le sol, je le ressentis. Chaque brise qui soulevait la poussière se matérialisa dans ma tête. Des plus petites racines jusqu'au moindre bourgeon près à éclore, je voyais chaque végétal.
A mesure que je gagnais en terrain, la carte se déplaçait et de nouveaux éléments apparaissaient. Il n'y avait personne à l'horizon. Nous étions seuls. Du moins presque. A ma gauche, de grandes foulées battirent le sol avec puissance. Des foulées animales, félines. Au loin, des pas rapides, mais, humains cette fois réagirent avec mon pouvoir. Je ralentis et finis par m'arrêter à la lisière du bois. Relâchant ma concentration, je patientai sur mon bolide.
Au bout d'à peine quelques secondes, un majestueux léopard —où plutôt panthère noire —surgit à ma gauche. La bête s'élança et bondit par-dessus ma tête. Je me baissai par réflexe et me préparai à un second assaut. Mais elle n'en fit rien et se contenta de me tourner autour lâchant des rugissements, l'air de vouloir me dire quelque chose.
—Tu t'es encore enfuit à ce que je vois, remarquai-je.
Pour toute réponse, le beau mâle d'un mètre quatre-vingt dix de long me fixa de ses yeux noirs. Son pelage sombre, cachait ses belles tâches, visibles sur ses confrères au pelage plus clair.
—Baguéra je te promets de t'étriper si tu continues à partir ainsi sans prévenir !, hurla une voix essoufflée.
Une jeune femme arriva à ma hauteur, à bout de souffle, les mains sur les genoux. Sur son crâne rasé brillait le symbole des guerriers du Mali – une épée entourée de flammes. Elle foudroya du regard l'animal qui baissa les oreilles et courba l'échine.
—Je comprends qu'il te fuit si tu le menaces comme ça, dis-je, étouffant un rire.
Elle—Lupita de son nom—se redressa, poing sur les hanches, l'air revêche. Sa langue claqua dans sa bouche et aussitôt la panthère se redressa à son tour. En un bon, je me retrouvai au sol, la gueule de l'animal, canines saillantes, au-dessus de mon visage. De la bave coula sur ma joue, alors que je peinais à comprendre ce qui m'arrivait.
—Tu as de la chance que ta vie me sois précieuse cousin, sinon tu aurais été son quatre heure..., lança-t-elle, sournoise.
Je serrai le point et une branche vint s'enrouler autour de la taille de la bête pour la soulever. Je roulai sur le côté et me relevai, époussetant ma chemise. La branche reposa la panthère au sol avec délicatesse.
—Je te serai gré de prévenir la prochaine fois que tu essaieras de me faire la peau, assénai-je en essuyant avec dégoût la bave de mon pouce.
La jeune femme me sourit de toutes ses dents, hilare.
—Pourquoi ? J'aime vraiment voir la tête que tu tires à chaque fois, gloussa-t-elle alors que mon agresseur se lovait contre ses jambes dans un ronronnement sauvage.
Je levai les yeux au ciel, excédé, puis enfourchai à nouveau la moto.
—Concentrons-nous. Nous avons une mission, requis-je avec sérieux.
—Je sais. Merci d'avoir fait appel à moi.
—Je sais de quoi tu es capable, me contentai-je de répondre.
Lupita reprit son masque impassible digne de la guerrière aguerrie qu'elle était, et scruta les environs. Je ne l'avais connue qu'avec deux visages. Celui illuminé par le rire et celui lissé par l'absence d'émotion. Ce dernier ne présageait souvent rien de bon. Baguera se tendit jusqu'à la pointe des oreilles, en alerte.
—Le vent emporte des odeurs étrangères avec lui, me dit-elle, concentrée.
—Des randonneurs ?, questionnai-je sans grande conviction.
Après tout, le charme des lieux pouvait attirer les visiteurs. Nous étions au cœur de la forêt tropicale, à proximité des rivières et cascades qui la peuplaient. Un raton laveur émergea d'un arbre et se faufila jusqu'à la guerrière. Elle lui caressa pensivement la tête, puis tourna la tête vers moi, un rictus en coin.
—J'en doute fort, trancha-t-elle, confirmant mes doutes.
Je tendis ma main vers la terre et scrutai la carte mentale qui se dressait dans mon esprit.
—Je ne les vois pas, m'étonnai-je.
Ma cousine souffla avec dédain et fierté en se positionnant face à la moto, me donnant dos.
—Ce n'est pas avec ton champs de vision de même pas un kilomètre que tu les verras ! L'odeur se transporte sur de très longues distances que seuls les animaux peuvent sentir, m'énonça-t-elle.
Je ravalai la pique qui me brûlait la langue et pris sur moi. Le moteur de la cylindrée vibra sous mes doigts.
—Je te laisse les ralentir, je vais prévenir les autres, lui ordonnai-je. Combien de temps avons-nous ?
—Les ralentir ? Voyons Assane tu sais très bien que je ne fais jamais les choses à moitié, s'indigna-t-elle. Je dirais pas plus de trente minutes.
—Tâche de ne pas y laisser une griffe alors, lâchai-je.
Je ne l'entendis pas répliquer, mais je devinai son sourire sadique sur son visage. Elle s'en sortirait. Du moins je l'espérais. Après tout, elle avait toute la faune à ses côtés, sans compter ses redoutables capacités de combattante. Non, je ne doutais pas, elle allait s'en sortir sans aucun problème.
Alors j'accélérai.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top