Chapitre 2 (1) - Sira

2054, Guadeloupe


J'esquivai la pointe de la dague finement taillée de mon adversaire en exécutant une pirouette maladroite sur ma droite. Je parai presque instantanément la seconde attaque avec mon avant-bras, bloquant son bras aussi et profitai de l'ouverture pour lui décocher un coup de poing dans le foie. Elle se recula vivement en suffoquant, mais, je ne lui laissai pas le temps de reprendre son souffle et attrapai la tête de mes mains en lui lançant mon genoux au visage. Son corps bascula en arrière alors que du sang giclait de son nez. Elle tint son nez défiguré en gémissant de douleur et un craquement sonore m'indiqua qu'elle le remettait en place.

Un sourire satisfait se dessina sur mes lèvres et je soufflai avec dédain en me redressant, les poings fièrement posés sur les hanches. Pour une fois que j'avais réussi à la vaincre au corps-à-corps, je n'allais pas me retenir de me moquer. Elle me foudroya du regard en essuyant rageusement le sang qui perlait à la commissures de ses lèvres pleines, et se jeta sur moi telle une bête sauvage. Je restai paralysée, ne m'y attendant pas, et ne réagis que lorsque je sentis la brûlure de la lame dans ma chair.

Je la repoussai de toutes mes forces en tentant d'esquiver son autre lame, sans grand résultat puisque celle-ci m'entailla la joue. Le feu qui coulait dans mes veines m'anesthésia sur le coup et je me reculai pour lui donner un coup de pied dans le ventre. Déstabilisée, elle se plia en deux et alors que je m'apprêtais à lui donner le coup de grâce, elle releva la tête, le sourire aux lèvres et une flamme dangereuse dans le marron de ses yeux. Décontenancée, je ralentis mes mouvements. Ce fut une formidable erreur. En une fraction de secondes, elle me balaya le pied, je basculai en arrière et elle m'acheva en croisant ses dagues au-dessus de ma gorge. Je fermai les yeux en haletant.

—C'était un très beau combat ! Tu as fais des progrès, me félicita Madéa en se relevant.

Je fis de même et époussetai mes vêtements.

—Mais..., marmonnai-je en la toisant d'un regard intéressé.

—Mais tu es trop sûre de toi ! Le combat n'est pas encore terminé que tu clames victoire !, me réprimanda la jeune femme.

Je haussai les épaules en grimaçant quand ma peau meurtrie tira sur ma plaie dans les côtes. Je baissai les yeux sur mon abdomen et découvris une petite tâche de sang qui s'étendait à vue d'œil. Mes mains se crispèrent et la douleur me parut plus vive que durant le combat. Ne prêtant plus attention aux recommandations de la quadragénaire, je titubais vers la terrasse de notre maison et m'appuyai sur la table en bois sur laquelle trônait l'indispensable boîte à pharmacie. Je m'assis, non sans mal, sur un tabouret en bois et retirai mon haut avec difficulté. La sueur perlait sur ma peau et collait mon débardeur contre mes muscles.

—On peut dire que tu ne m'as pas loupée, cette fois, lançai-je à l'intention de Madéa coupant court à son monologue.

Elle me jeta un regard satisfait et me montra son nez de l'index.

—Petite vengeance personnelle, ricana-t-elle.

—J'irai me plaindre de maltraitance infantile à Atem, menaçai-je en la foudroyant du regard.

La maîtresse de maison, petite, mais ô combien robuste pouffa. Elle vint à mes côtés et m'aida à désinfecter la plaie. Le liquide me piqua tellement que j'avais la sensation de le sentir s'insinuer dans la chair au travers de mes cellules, désintégrant toute molécule pathogène au passage.

—Mon cher et tendre t'aurait mise au tapis en moins d'une seconde. Et juste après tu aurais eu droit...

—...à un petit cours d'humilité, conclut une voix grave dans mon dos.

Un homme à la large carrure apparut dans mon champ de vision. Madéa lui offrit un sourire étincelant et il se pencha pour l'embrasser. Mais, au dernier instant, il plissa du nez.

An kele, la douche est juste à côté de notre chambre, marmonna-t-il avec un sourire narquois.

—Je sais!

J'eus du mal à retenir mon rire. Vexée, elle appuya sur ma plaie. Je gémis.

—Petite chochotte va !

—J'aimerais t'y voir moi..., ronchonnai-je entre mes dents.

—J'ai connu bien pire que toi, tu sais. Je n'étais encore qu'une enfant que mon père me formait déjà au combat. Je ne te raconte pas les coups que j'ai reçu depuis..., me raconta ma tante.

—Tu n'as jamais eu à souffrir d'une dague dans les côtes à ce que je sache, contredis-je en prenant un rouleau de compresse dans la boîte à pharmacie.

La chaleur caniculaire de ce mois de juin m'agaçait plus que tout. Mes mouvements d'ordinaire vifs étaient ralentis et la sueur ne me lâchait jamais. Même en brassière j'étouffais ! Je tendis les compresses à Madéa qui repoussa ma main en secouant la tête.

—Prend d'abord une douche, me somma-t-elle en se relevant, le coton de désinfectant rougi par mon sang.

J'opinai et m'en allai dans la maison. Il faisait étonnement plus frais dans la bâtisse qu'en dehors. Peut-être était-ce dû à la brise qui la traversait de part en part. Je passai par ma chambre, attraper des vêtements propres et ensuite, je m'engouffrai dans l'unique salle de bain de la maison. L'eau chaude – froide à l'origine—sur ma peau augmenta encore plus ma chaleur corporelle. J'avais même l'impression de suer sous la douche. Lorsque je commençai à me vêtir, ma peau était déjà moite. Une fois habillée, je bandai mes côtes du bandage que j'avais sorti de la boîte à pharmacie.

—Seigneur! S'il pouvait neiger, je t'en serais reconnaissante !, m'écriai-je, une fois de retour sous la véranda.

J'entendis pouffer dans mon dos et des verres s'entrechoquer. Atem me rejoignit à la table, chargé d'un plateau garni de trois verres remplis de glaçons, d'une carafe d'eau et d'une belle grosse pastèque juteuse.

—J'ai apporté de quoi nous rafraîchir, dit-il en nous servant de l'eau.

—Merci beaucoup, le remerciai-je en trempant mes lèvres dans le liquide frais.

Je finis mon verre d'un trait et croquai dans les glaçons. Si je pouvais me téléporter, je serais allée en Russie, me perdre parmi les géants de la taïga. Quoique...ces grands conifères aux redoutables épines m'impressionneraient tant que je me sentirais minuscule. Et puis, frileuse comme j'étais, le froid mordant me figerait sur place. A la réflexion, ce n'était peut-être pas la destination à choisir.

Je jetai un coup d'œil. à mon oncle par alliance. Son expression tortueuse semblait plus soucieuse que d'ordinaire et il ne cessait de triturer une des larges poches de son kaftan —une tenue composée d'une large robe au-dessus d'un pantalon. Je posai mon verre sur la table.

—Atem ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Il releva la tête vers moi, l'air de jauger s'il devait m'en parler ou non. Il capitula et sortit une carte de sa poche. Je la pris entre mes doigts. Il s'agissait d'une invitation.

—Les Virapin nous invitent à leur anniversaire de mariage. J'ai voulu refuser, mais Eric n'a rien voulu savoir, s'expliqua-t-il.

—Mais pourquoi ? Chaque année on refuse leur invitation. On pourrait y aller, juste une fois, suppliai-je. La fête aura lieu ce soir et elle est chez eux en plus.

—Sira... Si ton père nous a envoyé ici, te cacher, ce n'est certainement pas pour t'exposer à une fête.

—Mais, ça fait dix ans maintenant. Si le C.R.A.G. ne m'a pas retrouvée aujourd'hui, il ne le feront jamais.

Il fronça les sourcils, seul signe de son agacement croissant. Je ne voulais pas spécialement aller à cette fête. Mon seul désir était d'échapper à cette maison le temps de quelques heures. Je ne l'avais quitté que très rarement. Tout se faisait à la maison. Les cours que me dispensait Atem, ma vie sociale qui se résumait à nous trois et mes loisirs. Je n'étais jamais sortie pour prendre l'air et encore moins pour rencontrer du monde. Je restais cachée aux yeux du monde, et surtout à ceux du Centre de Recherche en Anomalie Génétique.

—Ils te retrouveront si tu sors.

—Je porterai mes IDP et je garderai une dague sur moi. S'il le faut j'en prendrai deux voire trois, promis-je, encore plus désireuse de m'échapper de la canicule de notre logis.

Il se leva et croisa les bras sur son large torse. De ma petite chaise, il paraissait immense.

An kele, allons-y.

Je sentis la présence familière de Madéa dans mon dos et une forte odeur de savon. Atem fronça davantage les sourcils.

—Tu n'y penses pas, j'espère.

—C'est l'affaire de trois heures tout au plus. On sera de retour avant minuit. Si jamais il y a un souci, on reviendra, argumenta ma tante en se servant un verre dont les glaçons avaient fini par fondre. Et puis, Ludovic est dans le coin.

Mon oncle prit une longue inspiration, les yeux rivés sur son épouse. Au fond de moi, je savais bien qu'il agissait pour le mieux. Pourtant, mon cœur d'à peine dix-huit ans voulait découvrir le monde et ses secrets. Il pinça son arête nasale dans un grognement. Il capitulait.

—Bien, mais, on restera ensemble et au moindre mouvement suspect on part.

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