Chapitre 1 (2) - Sira

2044, lieu inconnu   

Assane, sauve-toi !

Un léger picotement me sortit de mon inconscience. J'ouvris l'œil hagard avant de le refermer aussi vite, aveuglée. Doucement, je réitérai l'opération, la vue brouillée. Au fur et à mesure, des formes se dessinèrent ainsi que des objets autour de moi. Des êtres difformes me faisaient face, ne cessant de s'approcher et de reculer, comme s'ils étaient en pleine hésitation. A travers ma vision trouble, je distinguai la blancheur de la pièce.

On me tira par le menton. Les contours reprirent leur netteté subitement et je tombai nez à nez avec une femme dont la blancheur de la peau tendant vers une pâleur cadavérique. Elle se rapprocha et j'eus un mouvement de recul. Je me rendis alors compte que je n'étais pas libre de mes mouvements. J'étais pieds et poings liés au siège. Mon sang ne fit qu'un tour. Je commençai à me débattre et mon front heurta son nez. Elle jura entre ses dents. Qu'est-ce que je faisais ici ? Pourquoi on m'avait attachée ? Où étais-je ? Et Assane ? Le manque de réponse immédiate à toutes ces questions accentua ma crainte.

—Dr Ivan, vous voulez que je la calme ?, questionna une voix féminine.

Mon cœur s'arrêta un moment avant de reprendre trois fois plus vite et fort. Cette voix...Non. Je tournai les yeux et me figeai en reconnaissant la femme qui nous avait kidnappés.

Assane, Assane ! Où es-tu ?

Je ne parvins pas à distinguer quel sentiment m'animait à cet instant précis, mais j'avais à la fois envie de prendre mes jambes à mon cou et de lui jeter mes éclairs dessus. ! A cette pensée, des fourmillements familiers me démangèrent.

—Non, ce n'est pas nécessaire. Elle va très vite coopérer, répondit la dite Dr Ivan, la femme au teint pâle.

Elle prit délicatement mon menton entre ses doigts et pencha ma tête en arrière pour plonger son regard indigo dans le mien. Je pouvais y lire une profonde curiosité et une obsession malsaine. Elle m'adressa, cependant, un sourire emplit de chaleur qui me déconcerta et frisson glacé me traversa l'échine.

Maman, sauve-moi...

¶¶

2044, laboratoire du C.R.A.G.

C.R.A.G.

Centre de Recherche en Anomalie Génétique.

Je savais enfin où j'avais été emmenée. Je le lus sur un gobelet lorsqu'on vint me porter ma ration de nourriture. La faible lumière qu'on me laissait avoir ne me permit, cependant pas, de lire les noms de mes tortionnaires sur les broches accrochées à leurs vêtements.

J'avais aussi mal, très mal. Ma tête bourdonnait sans cesse et Dr Ivan m'avait blessée. Pour me faire obéir, elle m'avait planté une longue seringue dans le ventre. Mon hurlement de douleur résonnait encore tel un écho. Mon sang s'était tari au bout de longues minutes d'agonie et ma plaie se résorbait depuis. La docteur s'était émerveillée devant ma capacité à me régénérer. Alors, elle avait retenté l'expérience.

Plus fort, plus profond, plus longtemps.

Depuis combien de temps étais-je prisonnière de ce laboratoire ? Une semaine, un mois, je n'aurais su dire. La notion du temps n'existait plus. Je me sentais telle une coquille sans âme ou bien serait-ce une âme sans corps ? Je ne savais plus trop. On m'avait injecté des substances inconnues dans le sang, fait subir des expériences plus tordues les unes que les autres. On m'avait dit que c'était pour trouver un remède à ces "capacités spéciales dont nous étions doté". Selon eux, ses capacités finiraient par nous tuer s'ils ne faisaient rien. Je les avais cru au début. Nous les avions tous cru. Oui parce que je n'étais pas la seule ici. Il y avait d'autres enfants comme moi. Nous subissions les mêmes traitements, nous entendions les cris de souffrance à travers nos murs à peine plus épais que du carton. Maintenant, je me demandais si ces scientifiques ne voulaient pas tout simplement nous torturer. Et Assane, où était-il ? Je ne l'avais plus revu depuis notre enlèvement.

Papa, pourquoi tu ne viens pas nous sauver ?

Mon sang pulsait avec force dans tout mon corps et des larmes piquantes creusaient des sillons salés le long de mes joues. En plus d'avoir peur, j'avais froid et la ration de nourriture ne satisfaisait pas mon estomac. Je ne savais même plus si j'avais de l'appétit. Je mangeais par automatisme, parce qu'on me disait de manger. J'avais à peine conscience de mon propre corps aussi bien de mes pouvoirs que je peinais à maîtriser désormais.

¶¶

2044, laboratoire du C.R.A.G.

C'était la panique totale. Le chaos avait pris place de manière incontestée.

Seule dans cette pièce froide et sombre avec pour seule compagne, la peur, je me recroquevillais sur moi-même. Il y avait du bruit, beaucoup de bruit. Des sirènes d'alarme ne cessaient de résonner depuis de longues minutes. Leur vacarme semblait ne jamais vouloir prendre fin. J'avais peur. J'ignorais totalement ce qu'il se passait. Était-ce une énième expérience qu'ils voulaient mener sur moi ? Après m'avoir immergée dans l'eau et m'avoir électrocutée, ils voulaient me rendre sourde ?

J'entendis des pas précipités venir vers moi et la porte de ma cellule s'ouvrit brutalement. Je relevai la tête, m'attendant à être traînée sans vergogne. Au lieu de cela, un homme vêtu de la même combinaison blanche que moi me fixa de ses yeux gris. La vision de sa barbe extrêmement fournie me pétrifia. C'était lui ! L'homme aux bottes de sang, celui qui m'avait enlevée !

L'homme approcha et me tira par les bras pour me remettre debout. Je puisai dans mes forces pour le repousser et m'élancer hors de ma geôle. Les membres ankylosés et l'estomac creux, je ne fis pas trois pas qu'il me rattrapa.

—Attends, ne t'enfuis pas. Je ne te veux aucun mal, me cria-t-il par-dessus l'alarme.

Le souvenir de sa fouille mémorielle se raviva aussi violemment qu'un coup de poing, m'arrachant une vive douleur au crâne. Je laissai échapper une larme solitaire qu'il cueillit de son pouce large. Je sursautai.

—Laissez-moi ! Lâchez-moi ! Maman ! Au secours !

—Je suis là pour te sortir de là. Je veux t'aider, persista-t-il en s'accroupissant devant moi.

Je sentis une énergie nouvelle se propager en moi et pour la première fois depuis longtemps, je ressentis la rage de vivre. Des centaines de filaments électriques s'échappèrent de ma peau, ravageant ma tenue au passage. Ils fondirent sur lui dans un crépitement infernal. L'odeur de la chair qui se consumait emplit me prison et un gémissement de douleur s'éleva. J'en profitai pour partir.

Dans le couloir, le vacarme de l'alarme n'avait pas cessé et je me retins de presser mes paumes contre mes oreilles. Dans les cellules autour de la mienne il y avait des cris, des pleurs et du chaos. Assane ! Où était-il ? Je hurlai son nom à m'égosiller. Si je pouvais m'enfuir, je n'allais pas l'abandonner!

—Hé! Toi! Retourne dans ta cellule! Me héla une voix masculine dans le dos.

Un garçon, peut-être adolescent, me courrait après. Sa blouse blanche claquait l'air à chacune de ses foulées. Mon sang ne fit qu'un tour et la peur m'affola. Abandonnant mon projet de venir en aide à mes "compagnons", je pris mes jambes à mon cou.

—Reviens !

Maman, papa, aidez-moi.

Il m'avait presque rattrapée lorsqu'il se figea. Derrière lui, l'homme qui m'avait enlevée quitta ma cellule. Je reculai en poussant un cri. La moitié de son corps avait été brûlé par mes éclairs. Sa vision me souleva le cœur et je faillis flancher. L'incompréhension déforma les traits du jeune garçon. De plus près, il ressemblait à un enfant.

—Pourquoi la libères-tu ?

—Laisse la partir. Ne t'en mêle pas, petit.

—Que fais-tu ?

Il passa devant le garçon et m'adressa un léger sourire, le regard plein...de remords ? Lorsqu'il m'indiqua de le suivre, étrangement, une confiance nouvelle me poussa à lui obéir, malgré la peur qui me tenait. Derrière nous, le garçon pesta furieusement. Il tonna d'une voix pleine de rancune :

—Comment peux-tu me tourner le dos, à moi, et partir avec cette traîtresse ?

J'entendis le son distinct d'une lame qu'on déplie. Je fis volte face et dirigeais mes doigts vers le couteau suisse que l'ado abattait sur moi. L'arme s'arrêta dans son élan alors que je sentais des dizaines de milliers de connexions électromagnétiques se créer avec elle. Sans la toucher, je la repoussais de toutes mes forces. Mais, la force qu'il appliquait dépassait la mienne. A bout de force, je tombai à genoux, les mains toujours levées.

—Arrête ça ! Lui ordonna le barbu.

—Hors de question ! Je ne te laisserai pas partir avec elle.

—J'ai dit: arrête !

Le regard de l'enfant se voila et il lâcha sa prise sur le couteau. Sans résistance, je perdis le contrôle de l'arme qui vola vers son visage. Il hurla. L'homme en profita pour me tirer à sa suite. Nous marchâmes rapidement à travers le dédale de couloirs, prenant garde à ne pas nous faire repérer. De longs corridors sans fin, ponctués ça et là de cellules d'où des pleurs d'enfants se fondaient au vacarme de l'alarme. Un profond désespoir possédait les lieux. Allaient-ils revoir leur famille ? Et s'ils mourraient avant ? Non ! Pas ça ! Il faut les sauver ! Et Assane ! Non pas lui ! Et moi ? Un élan de panique me traversa soudainement. Et si l'homme me menait droit vers une nouvelle salle de torture ? A peine cette pensée me traversa que sa prise sur ma main se fit plus forte. Il se tourna vers moi et planta ses iris dans les miens. Je reculai, le cœur au bord des lèvres. Une douceur et une lueur rassurante brilla dans son regard.

—Sira, ma petite n'ai pas peur. Je t'emmène rejoindre ta mère.

La stupéfaction me cloua sur place.

—Ma...maman ?

—Je...C'est moi qui lui ai dit où te trouver, me dit-il, les remords vibrant dans sa voix.

J'écarquillai les yeux.

Maman ? Oui, maman est là !

Des larmes piquantes me brouillèrent la vue et j'éclatai en sanglots. C'était fini. La fin du cauchemar. J'allais revoir ma famille. Le cœur battant, j'enlaçai l'homme. Il fut surpris par mon geste, mais, me rendit mon étreinte. La chaleur de son corps m'apaisa. Cependant, ce fut de courte durée. Au bout de notre couloir, deux silhouettes avançaient vers nous en courant. Le claquement de leurs bottes sur le sol, me rappela celui de mes tortionnaires. La peur irradia tous mes membres en une fraction de seconde. L'homme se détacha et se releva, le corps tendu. Des coups de feu retentirent, mais je ne parvins pas à bouger. L'homme nous plaqua tous les deux au sol.

L'homme lança un regard vers les deux autres personnes et les fixa avec intensité. Ils ralentirent et s'arrêtèrent à trois mètres devant nous. C'était un homme et une femme, vêtus de combinaison noirs et de gilets par balles. Des soldats. Le premier tendit son arme à mon sauveur et se retourna, suivit de sa collègue. Le barbu, les sourcils froncés par la concentration, les suivit et me tira à sa suite.

Je dévisageai l'homme sans comprendre, il semblait ailleurs. Je rangeai alors mes questionnements dans un coin de ma tête. Au bout d'un moment, nous arrivâmes devant une autre cellule. L'homme introduisit une clé, qu'il avait certainement volée, et l'ouvrit. Une odeur de renfermé envahit mes narines. La pièce était sombre et humide. Je me pliai en deux pour éternuer.

—Reste là, je vais chercher ton ami, m'intima mon compagnon de route avant de pénétrer dans l'obscurité.

L'inquiétude m'étreignit l'estomac. Je baladai un regard anxieux vers les soldats. Et s'ils me faisaient du mal ? Non, je ne voulais pas rester toute seule ! Pas avec eux ! Pourtant, mon corps restait figé. Ils ne bougeaient pas d'un poil et avaient le regard vide. A leur ceinture, pendaient des poignards ainsi que des munitions de rechange. Ils étaient très grands, je me sentais minuscule à leur côté. L'éclat d'un poignard accroché à la taille de la femme attira mon attention. S'ils m'attaquaient, je devais avoir quelque chose pour me défendre. Hésitante, je m'en saisis. Il était grand pour ma petite paume et pesait un certain poids, mais il restait magnifique. Je craignis un instant que le femme me crie dessus et ne me traite au fond d'un cellule, mais elle n'en fit rien. Elle n'avait glissé aucun regard vers moi, comme si je n'avais touché à rien. Stoïque et sans émotions, voilà ce qu'elle était. Je la piquais du bout du poignard, mais aucune réaction ne dérida ses traits. Pas même quand une petite goutte de sang se forma à l'endroit de la coupure. Effarée, je retirai la lame.

Mon sauveur sortit de la cellule, une petite silhouette le suivit de près. Lorsque je reconnus le visage familier de mon meilleur ami, je bondis sans réfléchir.

—Assane! J'ai eu si peur..., sanglotai-je à mi-voix.

—Foudre...Foudre..., répéta-t-il sans cesse, me serrant davantage à chaque fois.

Le soulagement mêlé à l'espoir vibrait dans chacun de ses soupirs et bientôt mon épaule fut imbibée de larmes. Je ne parvenais pas à exprimer ma joie, les mots restaient coincés dans ma gorge nouée. Alors il les murmura pour nous.

—Je suis si heureux que tu sois vivante, j'ai cru que jamais je ne te reverrais, souffla-t-il entre deux sanglots.

Tout à coup, une explosion retentit. Nous nous tétanisâmes et je hurlai, paniquée. Deux autres déflagrations retentirent et cette fois Assane se mit à sangloter. L'homme réagit aussitôt. Je m'agrippai à Assane alors que notre sauveur nous entraînait vers une porte au bout du couloir. Notre porte de sortie ! Avec l'énergie du désespoir, j'allongeai mes foulées à en perdre haleine. Derrière nous, des gravats s'écrouèrent du plafond. De larges fissures zébrèrent les murs dans des craquements inquiétants. Enfin, ma main se posa sur la surface froide et je poussai de toutes mes forces, aidée de tous. La porte grinça sur ses gonds et s'ouvrit.

Le sol s'ébranla et l'homme nous poussa dehors, Assane et moi. Nous atterrîmes avec violence dans la terre. Une ultime explosion gronda. Je fis volte-face. Le sol se déchira en deux et le laboratoire acheva de s'effondrer.

Le barbu encore à l'intérieur.

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