Chapitre 1 (1) - Sira


2044, Palais de la Reine, Bamako ( capitale de Laamateeri)

—C'est pas moi...

Une main me secoua encore et je m'enfonçai davantage dans mon oreiller. J'entendis une voix lointaine, alors que les méandres du rêves me rattrapaient. Cette fois, on essaya de prendre mon oreiller, mais, je le serrai encore plus entre mes doigts.

—J'ai pas mangé le gâteau...C'est Konan....ou c'est Assane, m'entendis-je marmonner entre deux rêves.

D'un coup, la fraîcheur m'envahit et j'ouvris les yeux. La lumière du matin me força à les plisser pour distinguer un garçon aux grands yeux verts pleins de malice devant mon lit. Il brandit fièrement ma couverture entre ses doigts. Sa peau marron s'harmonisait bien avec le beige du linge.

—Debout marmotte !

Je plongeai ma tête dans l'oreiller, bougonne. Je détestais quand Assane venait me réveiller. Et puis d'abord, pourquoi aussi tôt ? Un poids affaissa le côté du lit et mon corps se mit à bondir avec frénésie sur le matelas.

—J'ai quelque chose à te montrer. Allez Foudre ! Sinon tu vas tout rater !

—Laisse-moi tranquille ! Va voir Konan, je veux pas.

—C'est une surprise pour toi seulement, murmura-t-il en cessant de sauter.

J'ouvris un œil, puis deux. Une surprise ? L'excitation me monta au visage et je m'assis. Il me fit face avec un large sourire.

—Suis-moi.

Je m'exécutai en enfilant des chaussures en vitesse, plus pressée que jamais. Le palais encore endormi, nous ne risquions pas de croiser quelqu'un, excepté les gardes qui se contentèrent de sourire en frappant leur torse du poing en guise de salutation. A vrai dire, ce n'était pas la première fois qu'on s'aventurait à une heure aussi matinale dans le palais sans chaperons.

Nous passâmes près de la chambre de tante Madéa et d'oncle Atem, et longeâmes le long couloir principal qui menait à la salle du trône. Elle était très grande cette pièce. Les murs formaient une étoile à dix branches autour des deux trônes de maman et papa. J'avais toujours voulu monter dessus, mais, papa me l'avait interdit. Il m'avait dit que c'était réservé à ceux qui devaient prendre les grandes décisions pour le royaume. Les murs étaient bien décorés. Ils étaient peints en marron et des ornements d'or, accrochés, les habillaient. Parfois, des morceaux disparaissaient et des gens aussi.

Un jour, un rubis du trône de papa avait disparu et le lendemain, deux soldats avaient traîné Makita, une des cuisinières du palais, devant papa. Il l'avait fortement grondée et je ne l'ai plus jamais revue. Tout le monde disait que le roi l'avait faite emprisonnée. Mais, moi, je croyais tout simplement qu'elle s'était enfuie loin, comme moi quand on me grondait. Je n'aimais pas qu'on me gronde. Personne d'ailleurs.

—Foudre ! Qu'est-ce que tu fais ? Viens !, me chuchota Assane en me tirant par la main.

Je le suivis en accélérant le pas. A chaque fois que je passais près de la salle du trône, je restais plantée sur place. Souvent, on devait me tirer pour que j'avance. Assane passa par la cuisine et attrapa deux petits sachets remplis de graines de baobab qu'il me tendit, sans ralentir. Nous finîmes par quitter le palais pour nous aventurer dans la forêt dense avoisinante. La fraîcheur matinale me provoqua un frisson.

—Où est-ce qu'on va Assane ?, m'impatientai-je en ralentissant ma course.

—Viens et tu verras !

Je lâchai sa main et m'assis à même la terre en boudant.

J'aurais mieux fait de rester dans mon lit au chaud ! Il s'approcha de moi et tapa du pied. De la poussière ocre se souleva avec ses bottes.

—Arrête ! Ça pique !, protestai-je en lui donnant dos.

—Je veux te montrer quelque chose de très beau, me dit-il.

—Qu'est-ce que c'est ?

—Si je te le dis tu vas dire que c'est nul!

—Pas du tout ! Et puisque tu ne veux rien me dire, je ne viens pas !

J'entendis ses pas s'éloigner et le vent souffler fort dans les arbres.

—Bien, mais, sache que tu rates une chance de me voir utiliser mes pouvoirs..., souffla-t-il dans mon dos.

Pouvoirs ? Je me levai d'un bond et me retournai. Il avait déjà disparu dans les bois. Je m'élançai à mon tour dans cette masse d'arbres, tenant les paquets de graines sucrées fermement. Cependant, il demeurait invisible. Je me mis à crier son nom aussi fort que je pus, fouillant les environs du regard. Pour une fois qu'il parlait de vouloir me montrer ses pouvoirs ! J'étais toute excitée !

Un craquement se fit quelques mètres à ma droite. Je me stoppai net, à l'affût, prête à bondir au moindre mouvement.

—Assane ?, murmurai-je.

Un homme émergea des fourrées. Il portait une tunique orange et un pantalon ample noir. A sa ceinture pendaient plusieurs couteaux de cuisine. Il devait certainement être un des cuisiniers du palais et cherchait des herbes aromatiques dans la forêt. Pourtant, je ne l'avais jamais vu avant. Était-il nouveau ? Je le saluai et il me répondit en inclinant la tête.

—Que faîtes-vous dans les bois de si bon matin, princesse ?, me questionna-t-il de sa voix grave en m'approchant.

—Je cherche mon ami, mais, ne vous inquiétez pas, je vais le trouver toute seule, répondis-je en m'éloignant de quelques pas de lui.

Maman m'avait toujours défendue de parler à des inconnus et en plus, quelque chose me dérangeait chez lui, seulement, je ne savais pas quoi. Pas encore.

L'homme haussa les épaules et se baissa pour ramasser un objet. Je reculai. Il se redressa et je remarquai une corbeille entre ses mains usées, remplie de feuilles et fleurs en tout genre. Il me sourit et me tendit une fleur. J'hésitai et finit par tendre la main vers elle.

—Mon nom est Hama, je suis originaire de Kidal. Prenez cette fleur de flamboyant en guise de présent.

Je bafouillai un "merci" et m'en allai, le laissant à ses occupations. Hama de Kidal... Cette ville malienne désertique se trouvait bien plus au nord de Bamako. Que faisait cet homme ici ? J'aurais peut-être dû lui demander... Assane allait me montrer ses pouvoirs ! L'excitation m'envahit à nouveau. Je marchai en poursuivant mes recherches.

Mon ventre commença à gronder et je décidai d'ouvrir un paquet de graines. J'en raffolais ! Le goût acidulé me crispait les mâchoires, mais, je ne pouvais pas m'arrêter d'en manger. C'était à la fois bon et désagréable. Lorsque je retrouvai enfin mon ami, j'avais fini le premier paquet. Il se tenait accroupi sur la berge du fleuve Niger. Un long fleuve qui traversait le pays entier du Niger à la Guinée. Je m'accroupis à ses côtés, le second paquet de graines déjà entamé.

—Te voilà enfin ! J'ai attendu longtemps ! Je croyais que tu ne devais pas venir..., me taquina-t-il en souriant d'un air narquois.

—Je veux voir tes pouvoirs.

Je me relevai. Comment faisait-il pour rester plier aussi longtemps ? Ça brûlait les cuisses ! Il se releva et s'épousseta les mains. Ses bras étaient couverts de terre tout comme ses bottes.

—Regarde, me dit-il.

Je pris une autre graine et m'assis sagement sans le lâcher du regard. Il étendit ses bras devant lui en fermant les yeux. Rien ne se produisit. Puis, l'eau s'agita avec fureur. Une branche garnie de gousses émergea, bientôt suivie par d'autres. Bientôt, ce fut un large tronc qui sortit du bord du fleuve. Face à moi, en bordure du fleuve Niger, un énorme baobab me faisait face.

Je n'en croyais pas mes yeux. Et mon excitation monta en pic lorsque plusieurs gousses tombèrent au sol et se fendirent, laissant entrevoir le pain de singe. Je me levai et me mis à sautiller en applaudissant Assane. Il me sourit à pleines dents, le regard pétillant de joie.

—Tu peux en faire d'autres ?, demandai-je en ramassant deux gousses.

—Pas tout de suite, c'est épuisant. Construire un mur de terre est bien plus simple !, fit-il remarquer en s'accroupissant à nouveau.

J'étais d'accord avec lui. Pour moi il était simple de contrôler les champs électrostatiques autour de moi, mais, en ce qui concernait la manipulation des métaux... C'était une toute autre histoire ! Maman avait beau me montrer comment faire, je n'y arrivais pas. Avoir des pouvoirs c'était trop difficile...

Soudain, un grondement se fit au-dessus de nous. Dans le ciel, les nuages s'assombrirent et le vent se leva. Sous ma peau, un grésillement familier me mordit la chair. C'était maman ! Elle utilisait ses pouvoirs. Les branches du baobab s'agitèrent violemment et les gousses restantes tombèrent au sol. Assane et moi nous pressâmes d'en ramasser le maximum avant de courir à travers la forêt. Nous avions si hâte de les ramener au palais pour les ouvrir et les déguster !

—La pluie arrive, il faut faire vite, constata Assane, soucieux. C'est bizarre, il faisait beau avant.

—C'est maman qui fait ça, articulai-je, essoufflée. Elle doit être très fâchée pour attirer la tempête...

Horrifiée, je jetai un regard noir à mon compagnon.

—Je suis sûre qu'elle nous a vu sortir ou que Hama l'a prévenue ! C'est de ta faute !

Il papillonna des yeux, surpris.

—Qui ça ?

Je le dépassai sans lui répondre. Je ne voulais plus lui parler. Les premières gouttes de pluie furent glaciales. Les suivantes se déchaînèrent tel un déluge. Alors, une masse colossale s'abattit sur moi et je trébuchai. J'avais la sensation de m'enfoncer dans la mélasse que commençaient à former la terre et la pluie. J'entendis mon ami tomber à mes côtés et un craquement sonore s'émettre dans le chahut de l'averse. Les gousses s'étaient éparpillées dans la boue et je n'avais pas la force de les mettre hors de terre. Je peinais à respirer et mon sang pulsait contre mes tempes.

La frustration m'envahit. Au lieu de dormir dans mon lit, au sec et au chaud, je ramais dans la boue sous une pluie battante. Quelle injustice ! Pourquoi Assane m'avait entraînée dehors ! C'était de sa faute si j'étais là, pas la mienne ! Plus jamais je ne le suivrais ! Plus jamais ! Si Konan avait été là, il m'aurait portée sur son dos. Mon grand frère ne m'aurait jamais laissée tomber dans la boue...

Je battis des mains au sol comme un nageur et glissai jusqu'à un arbre, cherchant à m'abriter de l'eau froide. Je réussis à m'adosser au tronc et à reprendre mon souffle. Puis, d'un coup, je me sentis plus légère, plus légère qu'une plume. Je pouvais me mouvoir sans trop fournir d'effort, à ma plus grande surprise. Assane se releva en chancelant, une branche s'était enfoncée dans son mollet. Il hurla en voulant la retirer, mais, elle cassa sous sa force.

—Appuie-toi sur moi, l'encourageai-je à bout de souffle.

Il gémit en agrippant mon épaule et nous progressâmes vers les cuisines du palais. Elles n'étaient qu'à quelques mètres. La pluie, la boue et notre charge rendirent nos efforts pénibles et je commençai à m'impatienter. Je n'aimais pas cette pluie !

Brusquement, les poils de ma nuque se dressèrent. Nous étions épiés. Je balayai les bois du regard, m'attendant à voir Hama ou maman surgir à tout moment. Pourtant, ce ne fut pas lui qui émergea des fourrées, mais, un homme et une femme que je n'avais jamais vu auparavant. Assane entreprit un mouvement de recul, bien vite arrêté par sa jambe blessée. Un sourire mauvais se dessina sur les lèvres d'un rouge sang de la femme. Son teint hâlé pâlissait sous le déluge.

—Et bien, n'est-ce pas la princesse et son petit camarade aux yeux verts ?, se réjouit-elle en joignant ses mains.

Un étau invisible nous entoura, contraignant tous nos mouvements. L'homme, le visage caché par une épaisse barbe, s'approcha silencieusement de moi. Son regard perçant pénétra brusquement, mon esprit. Une vague de souvenirs déferla dans ma tête sans interruption. Une foule d'émotions me traversèrent, brutales, fugaces. Je m'étranglai dans un cri.

Je ne sus à quel moment j'avais basculé dans la mélasse. Mais, la dernière chose que je vis fut une botte maculée de sang écrasant une fleur de flamboyant.

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