Chapitre 6 : l'appel

Puis soudain, un appel venu tout droit de cette étrangeté. Un son incroyablement strident que seules ses perceptions d'oiseau pouvaient capter, une myriades de notes suraiguës qui semblaient articuler un court message au ton désespéré.

- EVAAAA !

Il y avait une urgence. Clairement. Eva ignorait ce que signifiait cet appel, ni même qui pouvait bien le lancer, et pourtant elle battit furieusement des ailes pour le rejoindre au plus vite.

Quelque chose frôla ses plumes. Un objet indéfinissable, lancé à toute vitesse dans sa direction : elle n'aurait pas accéléré, cette chose se serait abattu sur elle avec tant de force qu'elle aurait sans aucun doute chuté tout droit vers le sol. C'était quoi ce truc ?! Est-ce que ça lui était directement destiné ? Ça en avait tout l'air. Mais...pourquoi ?! Bonne question. En tout cas, ce truc ne venait pas de l'étoile. Bonne nouvelle. Au moins Eva ne fonçait-elle pas tout droit dans la gueule du loup...

Elle se jeta dans la lumière. Elle en resta éblouie, guidée par le seul bruit lancinant de l'appel : voler à l'aveuglette aurait été une expérience plutôt drôle si elle n'avait pas un poursuivant aux fesses. Au moins ne pouvait-il pas l'apercevoir par delà cette clarté... C'était déjà ça. Car pour l'instant, Eva ignorait complètement ce qu'elle allait découvrir de l'autre côté.

- EVAAAAAAAA ?!

La lumière s'atténua d'un seul coup. La jeune fille sentit le bord de son aile frôler quelque chose, un mur ou peut être l'encadrement d'une fenêtre, avant d'atterrir dans ce qui lui sembla être un endroit confiné. Elle pouvait clairement sentir que le vent avait disparu et qu'elle perdait en hauteur, ses serres raclant un sol de pierre lisse. Ce fut le moment qu'elle choisit pour se retransformer, la vue encore brumeuse et les sens perturbés par ce nouvel environnement.

- EVA !

Cet appel était différent. Il provenait de l'autre côté de cet endroit indéfinissable, plus précisément des cordes vocales d'un personnage féminin pris d'une incommensurable panique. Eva plissa les yeux pour tenter de l'apercevoir, sa vue peinant à s'adapter à la distance et à la luminosité nouvelle : tout ce qu'elle distingua fut une silhouette au pull rose pastel lui attraper le poignet et la tirer en arrière, sans s'arrêter de courir.

- COURS !

Un souvenir, plutôt récent d'ailleurs, fit écho avec cette réplique : l'apparition soudaine d'Allan dans son joli petit rêve, lui demandant de fuir, puis l'arrivée de la créature, la course poursuite, la chute et enfin toute cette histoire surréaliste de lecture des rêves ou je ne sais quoi. Bref, la cause de tout ce bordel...et de la chose qui frôla le crâne d'Eva pour la deuxième fois de son rêve. Merci, Allan. Sincèrement.

Elle était toujours incapable de voir où elle mettait les pieds, et pourtant elle courait à en perdre haleine. Elle suivait sa sauveuse sans se poser de question, ou presque : qui était-elle ? Pourquoi l'avait-elle appelé ? Était-ce pour l'aider à fuir son poursuivant ? Et c'était quoi, cet endroit ?! Comment cette fille pouvait bien connaître Eva ? Elle ne l'avait jamais vu de sa vie alors comment... Bref. Trop de questions pour une situation aussi urgente. Le temps présent était à la fuite, pas aux questionnements. Eva s'y pencherait plus tard. Pour l'instant, mieux valait se concentrer pour ne pas trébucher.

La fille cessa brusquement de courir et lâcha la main d'Eva. Cette dernière glissa sur le sol et se recroquevilla pour reprendre son souffle, profitant que sa vue soit enfin claire pour observer son environnement : elle se trouvait dans un hall immense au toit de verre, inondé de cette même lumière éblouissante qui avait attiré l'œil d'Eva à plusieurs kilomètres. Ce que la jeune fille avait d'abord prit pour une étoile n'était, en réalité, qu'un bâtiment enveloppé de lumière. Mais elle avait beau être dans un rêve, ce genre d'endroit avait tout de même de quoi intriguer... D'autant plus que la luminosité baissa d'un seul coup, sans crier gare, remplacée par la clarté de quelques lampes et du croissant lunaire qui s'épanouissait par delà le plafond de verre.

La sauveuse poussa un long soupir tendu. Eva leva les yeux vers elle, reprenant soudain conscience de sa présence : debout devant l'un des murs de la salle, un livre à la main et un couteau dans l'autre, l'inconnue tentait de retrouver son calme. Eva peinait à apercevoir les traits de son visage, avalés pas une imposante chevelure frisée, à moitié décolorée, au volume déconcertant, et se demanda un court instant si c'était une bonne idée de s'approcher d'elle... Jusqu'à ce que cette étrange demoiselle se décide enfin à se tourner vers elle, les yeux écarquillés d'angoisse.

- T-tout va bien ?! S'enquit-elle. Tu n'es pas blessée ?

- ... Parce que je devrais ? Lui répondit Eva, le sourcil levé.

L'autre accueillit la réponse avec un sourire soulagé.

- Heureuse de voir que tu vas bien... !

Un autre projectile fonça à tout allure depuis l'extérieur mais, avant même de traverser l'immense fenêtre qui se trouvait près d'Eva, percuta une barrière invisible : le symbole gravé à même le mur devant lequel l'inconnue avait atterrit parut s'affadir, luisant faiblement d'un bel éclat bleuté.

- ... Parce qu'honnêtement, j'avais des doutes... Avoua-t-elle en perdant son grand sourire.

Eva la fixa d'un air choqué.

- ... Pardon ?!

- Je... Comment t'expliquer...

La sauveuse soupira de nouveau et posa un regard las sur la jeune fille, sa peau sombre teintée d'un léger voile blanc. Elle rengaina son couteau à sa ceinture et chercha ses mots avant de reprendre :

- Disons que...le Spectre n'est pas le seul à te traquer.

- Me traquer ?! S'étrangla Eva. Qu'est-ce que ça veut dire ? Et on est où, au juste ? Comment ça se fait que je sois plus en sécurité ici que CHEZ MOI ?!

- Oh... Allan ne t'a pas encore parlé tes rêves, n'est-ce pas ?

Eva sentit le sang affluer à son visage. Mais bon Dieu, c'était quoi cette conspiration autour de ses rêves ?! Qu'est-ce qu'ils lui voulaient tous, à la fin ?!

- J'en ai déjà assez entendu, cracha-t-elle au visage de l'inconnue.

- ...Ah... Je vois... Soupira cette dernière. Clark ne m'a pas prévenue pour rien...

Elle prit une grande inspiration et s'arma d'un courage plutôt vexant avant de déclarer :

- Pour la plupart des gens, les rêves ne sont qu'une activité cérébrale, une pensée nocturne, un songe incontrôlable qui peuple leurs nuits. Mais pour nous, le rêve est bien plus que ça : il s'agit d'un monde à part entière, tout aussi vivant et dangereux que le monde réel, où nous sommes transportés à chaque fois que nous dormons. Nous sommes des Voyageurs, Eva, et tu es l'une des nôtres.

L'intéressée fronça les sourcil, à la fois perplexe et profondément agacée. Le discours de cette nana rejoignait celui d'Allan et ceci ne lui plaisait, mais alors, PAS DU TOUT. Cette histoire de rêve n'allait pas tarder à la rendre folle...quoique, c'était déjà le cas. Elle était en plein milieux d'un rêve des plus banals et voilà qu'elle commençait à douter sur ses propres convictions... Pfff ! Comme si Allan et cette nana disaient vrai ! Leurs discours se rapprochaient, certes, mais c'était uniquement parce que le cerveau d'Eva s'inspirait des paroles d'Allan pour créer celles de la fille. Voilà. Pas de quoi douter. Il n'y avait absolument aucune raison d'avoir peur. AUCUNE.

- OK. Je suis une Voyageuse. Et je peux savoir qui est le type qui m'envoie des trucs en pleine tronche ?

- Un autre Voyageur, pas spécialement fréquentable.

- C'est-à dire ?

- Il fait partie d'un groupe d'ennemis qui cherchent, visiblement, à te capturer. D'ailleurs, je serait prête à parier que ce sont eux qui ont envoyé le Spectre. Sans quoi tu serais morte depuis un petit moment...

- Parce qu'on essaye de me capturer, maintenant ? S'écria Eva, au bord de l'implosion.

- J'aimerais bien te dire pourquoi, sincèrement, mais...

Le reste de sa phrase se noya dans un flot de murmures lointains. Eva secoua la tête pour tenter de les étouffer, sans succès : elle n'allait pas tarder à se réveiller et elle ne pouvait rien faire pour lutter contre ça. L'inconnue parut le deviner et lui adressa un sourire rassurant :

- Je crois qu'il est mieux pour toi de te réveiller. Tu seras plus en sécurité, dans le monde réel.

Si tout ce qu'elle avait dit était vrai, son conseil était d'or. Eva décida de le respecter, au cas où, histoire de ne pas avoir de soucis inutiles...même si, visiblement, elle en avait déjà. Alors elle se laissa happer par les voix du monde réels et abandonna sa sauveuse à son air apaisé, profondément rassuré.

- Au fait, je ne me suis même pas présentée ! Chuchota-t-elle avant qu'Eva disparaisse. Je m'appelle Sadie...



Les voix gagnèrent peu à peu en volume. Les mots qu'elles prononçaient restaient malheureusement incompréhensible, lointains, étouffés par les derniers lambeaux d'inconscience qui s'accrochaient à l'esprit d'Eva... Et pourtant leur provenance était claire : deux hommes, peut-être même plus, penchés au dessus d'elle. Plus les sens lui revenaient, plus la jeune fille pouvait sentir leurs regards peser sur elle. Cette sensation était des plus désagréables, d'autant plus que ces gens étaient de parfaits inconnus. Horrible. Un frisson de dégoût termina de réveiller l'adolescente, furieuse avant même d'ouvrir les paupières.

- Écartez-vous, bande de pervers... Ordonna-t-elle d'une voix des plus assurées.

Sa détermination parut toucher les deux intéressés dans le mille : ils s'écartèrent vivement, étonnés par cette brusque prise de parole.

- Elle est vivante...! S'exclama l'un d'eux, probablement un homme bien plus âgé qu'elle. Mary, dis moi qu'elle n'a rien !

Un petit pas timide s'approcha d'elle, puis deux mains hésitantes commencèrent à l'ausculter. QUI OSAIT LA TRIPOTER ?! Eva rejeta ce qui devait être une autre jeune fille d'un violent mouvement du bras puis se redressa, captant peu à peu les subtilités de son environnement : le bruit lancinant d'un appareil de surveillance cardiaque et les visages inquiets de quatre personnes, Allan inclus, debout en plein milieux de cet espèce de dortoir qu'elle avait exploré avant de se faire attraper. Que ce soit l'un ou l'autre, Eva n'avait qu'une seule envie ; s'en débarrasser. Elle commença donc par arracher la pince ne plastique qui lui enserrait le pouce, mettant fin aux bips incessants de la machine. La fameuse Mary s'affola et tenta de la retenir d'une voix tremblante :

- T-tu ne devrais pas... T-tu vas...

- ...Très bien, répliqua Eva. Je vais TRÈS bien. Donc, je vais partir. Je m'excuse pour le dérangement, vraiment, je suis sincèrement désolée...alors je vais m'en aller. Et je ne reviendrais plus jamais, c'est prom...

La porte du fond s'ouvrit en claquant : une silhouette féminine apparut dans l'embrasure, encore ensommeillée, son incroyable chevelure aplatie à l'endroit où elle avait posé sa tête sur l'oreiller.

- Tout va bien, Clark ! S'exclama-t-elle. Je viens d...

Son regard croisa celui d'Eva. Cette voix. Ces cheveux délirants. Ce pull rose pastel. Elle avait déjà vu cette fille. Une seule et unique fois. Dans son rêve.

Sadie se tenait à seulement quelques pas d'elle, en chair et en os.

*******

- Peut-être que tout cela est vrai, après tout... Je crois qu'une petite conversation s'impose...

- C'EST QUOI CE BORDEL ?! FAITES-MOI SORTIR D'ICI, BON SANG !!!

- ... Une tout autre réaction...?

À vous de choisir... Exprimez-vous en commentaire !

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