Chapitre 5 : interrogatoire
- Qui es-tu ? L'interrogea sévèrement l'autre. Et qu'est-ce que tu fous ici ?
Il se tenait entre Eva et la fenêtre. Impossible de s'échapper. Et mince. Il ne lui restait plus que la technique ancestrale du mensonge. Elle n'était pas douée, mais tant pis. Il ne fallait pas perdre de temps. L'adolescente déglutit sans bruit et offrit au garçon qui venait de la surprendre une sourire crispé, couronné d'une paire d'yeux élargis par la tension.
- Je... Euh... Et bien, c'est à dire que...
Allez, Eva, trouves une excuses ! C'est pas si compliqué que ça ! Regardes un peu google : il peut te sortir tout et n'importe quoi en moins d'une seconde. Ton cerveau ne va pas se faire dépasser par un algorithme, tout de même. Tu peux faire mieux que ça. Allez. Fais un effort. Concentres-toi... Oui, je sais : penses à du drama. Personne ne peut résister aux trucs larmoyants. Et aux animaux. Chatons. Chiots. Bébés canards. Cochons nains. Quiche lorraine. QUICHE LORRAINE ?! ET PUIS QUOI ENCORE ? DEPUIS QUAND MA FAIM CONTROLE MON CERVEAU ? Attends... Y'avait pas un snack sur le chemin du manoir...? Mais oui... !
- C'est à dire qu'il m'est arrivé un truc... Se lança Eva sur un ton qui se voulait décontracté. J'étais au snack, tu sais, celui sur la route ? J'avais faim, je voulais m'acheter un truc à manger, mais... On m'a volé mon seul billet de cinq euros.
Eva tenta le tout pour le tout et adopta (ou, du moins, essaya d'adopter) une moue de peuchère. Le type leva un sourcils.
- Et ? L'interrogea-t-il froidement.
- Mon voleur s'est réfugié ici.
- Je peux savoir qui c'est ?
Allan ! Vas-y, c'est le moment : accuses Allan !
- ...Un pigeon.
... PARDON ?! MAIS QU'EST-CE QUE TU FOUS, EVA ?
- ... Un pigeon ? Répéta lentement l'autre.
- Ouais... Répondit Eva en ignorant la goutte de sueur qui parcourait son dos. Il était...balaise. Et il est entré par la fenêtre.
... Tu sais quoi, Eva ? Tu devrais juste fermer ta gueule. Et la prochaine fois que tes sentiments à la con sont susceptibles de prendre le dessus sur ta misérable cervelle, genre, comme maintenant, ne songes même pas à ouvrir la bouche. Sincèrement.
- Du coup, j'ai toqué à la porte d'entrée... Continua tout de même Eva. Mais comme personne ne m'a répondu... Bah, je suis entrée ! P-par la porte, bien évidemment...
Le gars décroisa les bras. Eva sursauta, songeant déjà à la droite astronomique qu'elle allait se prendre dans la mâchoire : mais le type se contenta de pointer du pouce un coin du plafond. La jeune fille leva lentement les yeux vers le petit point rouge qui clignotait dans un coin, couronné d'un bel objectif de qualité. Une caméra de surveillance.
Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde. Merde.
Le type n'avait franchement pas l'air de vouloir continuer la conversation : il fit un pas dans la direction d'Eva, une main dans le dos et l'autre serré, prête à voler en direction du visage de la jeune fille. Cette dernière bondit en arrière, terrorisée.
PLUS LE TEMPS DE DÉBLATÉRER TES CONNERIES, EVA ! CHANGES DE STRATÉGIE ! N'IMPORTE QUOI MAIS GROUILLES TOI !
- OH MON DIEUX ! S'écria-t-elle en pointant l'extérieur du doigt. Antoine Daniel est en train de tourner une nouvelle vid...BLBLRBLBRL ?!
Le type venait de brandir ce qui semblait être une bombe lacrymogène et en vidait le contenu sur le visage d'Eva. Le jeune fille n'eut même pas le temps de songer à se protéger les yeux que sa tête commença à tourner : sa vision se flouta pour ne devenir qu'un voile d'images dédoublées, immaculées, que le seul fait d'apercevoir intensifiait son malaise. Elle sentit comme un choc au niveau de ses genoux, puis de sa tête, avant de se faire happer par les limbes de l'inconscience.
Elle était de retour dans la forêt. Celle son rêve. Rien n'avait changé, depuis son réveil : les branches cassées, les ronces piétinées où pendaient toujours les lambeaux du tee-shirt d'Allan, sans oublier la grosse fissure qui traversait le sol pour s'arrêter à ses pieds. Eva tendit l'oreille et balaya le bois du regard. Il semblait vide, et les petits animaux qui l'avaient fuit quelques heures plus tôt avaient reprit leurs agréables piaillements. La créature était partie. L'adolescente souffla de soulagement. Elle pourrait enfin profiter de son repos... Et avec tout ce qui se passait en ce moment, elle en avait sacrément besoin.
D'un simple pensée, Eva se mit à rapetisser, puis ses bras s'étendirent pour devenir une magnifique paire d'ailes. Elle s'élança vers le ciel en chantant de bonheur, frissonnant de plaisir à la simple idée de voler parmi les nuages.
Aussi loin qu'elle s'en souvenait, Eva n'avait jamais dormi de jour. Les siestes, c'était vraiment pas son truc. Juste un truc de flemmard, une perte de temps qui l'empêchait de traîner sur internet ou de passer du temps avec Lauren. Mais... Si elle avait su...
Le soleil qui ne quittait jamais ses rêves avait disparu, échangé contre un fin croissant de lune irradiant d'un éclat blafard. Tout autour, la voûte céleste s'épanouissait en une infinité d'étoiles, nuages de poussières céleste et galaxies multicolores, si scintillantes qu'il était presque impossible d'apercevoir le vide qui les séparait. C'était comme dans un rêve, le plus beau de tous ; et c'était celui d'Eva.
Un frisson lui parcouru les plumes. Le scintillement des étoiles était comme une mélodie silencieuse, une partition divine que le simple fait d'admirer plongeait dans la plus agréable des béatitudes. La jeune fille battit des ailes pour se rapprocher du ciel, animée de l'incroyable conviction qu'il lui suffisait de prendre de la hauteur pour voler parmi les astres.
Au loin, une étoile plus brillante que les autres semblait posée au creux des montagnes. Attirée par sa lumière, Eva stoppa son ascension et décida de s'en rapprocher : non pas qu'elle était plus belle que le reste, mais elle était...étrange. Elle avait quelque chose de très différent de ses consœurs. Mais quoi ? La curiosité de l'adolescente en fut ravivée. Il fallait qu'elle aille voir de plus près.
Elle vola longtemps. Enfin, du point de vue d'un oiseau, car le voyage ne dura qu'un quart d'heure... La jeune fille avait franchit quelques collines et une petite montagne au sommet déchiré, sans pour autant quitter la plaine : l'étoile se rapprochait, se détaillant en dizaines de petits éclats au fur et à mesure des kilomètres engloutis. Bientôt, la véritable forme de l'étoile se révélerait par delà sa lumière.
Puis soudain, un appel venu tout droit de cette étrangeté. Un son incroyablement strident que seules ses perceptions d'oiseau pouvaient capter, une myriades de notes suraiguës qui semblaient articuler un court message au ton désespéré.
- EVAAAA !
*
- Suivre l'appel ?
- Garder ses distances ?
- Autre chose ?
Le choix est votre...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top