Chapitre 33 : vous avez dit surveillance ?
Certes, Eva avait tout intérêt à se rendre au lycée, pas vraiment pour sa sécurité mais pour sa crédibilité au niveau de ses parents et de ses professeurs – qui risquaient de se douter de quelque chose si elle loupait une journée entière de cours, mais d'un autre côté... Elle n'avait pas envie de rester passive dans cette histoire. Sa présence aurait plus d'impact ici, avec celle des autres Voyageurs, à chercher la Bombe, plutôt que dans une salle de classe remplie d'élèves turbulents...
Sa décision était prise. Hors de question de quitter le Sanctuaire alors qu'elle pouvait se rendre utile ! La jeune fille scruta la foule de Voyageurs pour s'assurer que Chris était bien parti puis, aussi discrètement que possible, suivit ses pas : tout le monde était trop affolé pour la remarquer et personne ne sembla se préoccuper de son air déterminé. Tant mieux. C'était ce qu'il fallait. Elle se faufila dans le couloir que le grand gaillard venait d'emprunter et guetta un groupe de recherche qu'elle pourrait intégrer en toute furtivité.
Il lui fallut un certain temps pour trouver ce qu'elle cherchait, non pas car les personnes manquaient mais car elles étaient toutes mélangées... Qui appartenait à quel groupe ? La cohue était trop intense pour le savoir. L'adolescente se cala donc dans un coin et attendit que quelque chose se passe, ou du moins qu'une information lui permette de différencier les groupes.
Elle dut attendre une bonne dizaine de minutes, concentrée sur les discussions de ses congénères, avant qu'un groupe ne se rassemble enfin et décide de se mettre en route : Eva quitta son coin d'ombre et se faufila sans bruit à la suite des autres. Personne ne sembla remarquer son arrivée clandestine et elle s'en réjouit, mais elle préféra tout de même rester discrète en conservant quelques mètres de distance. Ainsi put-elle le suivre le long du manoir, jusqu'à ce que l'un des membres du raid ne décide de faire demi tour et ne l'oblige à se cacher derrière une porte entrouverte.
– J'aurais bien du me douter qu'il allait oublier un truc... maugréa la grande Voyageuse ayant rebroussé chemin.
Alors qu'elle s'éloignait, la conversation entre ses camarades s'échauffait : sans doute grondaient-ils le responsable de ce contretemps. Combien de temps durerait-il ? Ça, c'était une bonne question... Eva décida de jouer la carte de la prudence et de se blottir dans sa cachette en attendant le retours de leur camarade, plutôt de de tenter de se rapprocher et se faire violemment tirer dans le bureau de Clark...
L'endroit où elle avait trouvé refuge n'était pas très grand : c'était une petite pièce comportant trois portes – celle qu'elle venait de franchir puis deux autres sur les murs d'à côté, une grande fenêtre sur le mur du fond et deux minuscules meubles d'angle sur lesquels reposaient autant de vases fleuris. Une antichambre, pour faire plus court, qui semblait étrangement familière à la demoiselle... Était-elle déjà venue ici ? Son regard fureta sur les portes en bois sculpté et le papier peint ancien, avant de rencontrer l'objectif d'une caméra de surveillance. Elle se figea.
Oui, elle avait déjà vu cette pièce : la première fois qu'elle était venue ici et avait tenté de s'infiltrer en douce, pour finalement se faire trahir par les caméra de surveillances et attraper par Chris. La panique lui coupa momentanément le souffle. Si on la voyait ici, elle était fichue ! Une brusque prise de conscience lui glaça le sang : et dans la cuisine ? Il y avait-il des caméras ? Et dans le jardin ? Et dans le reste du manoir ? Avait-elle été surveillée durant toute son escapade ?!
Son cœur battait furieusement dans sa poitrine et l'affolement lui brouillait la vue. Elle suait à grosses gouttes, recroquevillée contre un meuble d'angle, les yeux bêtement rivés sur la caméra de surveillance. C'est alors qu'un détail attira son attention : aucune petite lumière ne brillait aux côtés de l'objectif. Il lui semblait pourtant qu'il y en avait une, signifiant que l'appareil était bien allumé... La jeune fille se redressa en tremblant et se rapprocha de la caméra pour l'observer de plus près. Oui, il y avait bien une diode... mais elle était éteinte. Une hypothèse se fraya un chemin jusqu'à son cerveau : était-elle éteinte ? Elle réfléchit un instant, songeant un instant à la facilité avec laquelle elle avait quitté les cuisines. S'il y avait une caméra dans l'antichambre, il devait forcément y en avoir plusieurs dans la grande pièce ; et pourtant personne n'avait remarqué qu'elle était partie. Personne ne lui avait demandé pourquoi elle s'était échappée par la fenêtre, car personne ne l'avait vue faire.
Donc, si ce raisonnement était juste, les caméras étaient éteintes. Mais pourquoi faire ça dans une période aussi dangereuse ? Étaient-elles en panne ? Est-ce que c'était pour ça qu'autant de Voyageurs avaient été déployés dans le manoir ? Un mélange de peur et d'incompréhension perturbait les pensées de d'Eva. Le flou dans lequel elle baignait la mettait extrêmement mal à l'aise... Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait rien. Tout était si étrange qu'elle n'arrivait plus à expliquer quoi que ce soit.
Le son d'un claquement de porte la fit brusquement sursauter. Quelqu'un venait d'entrer dans l'un des pièces que connectaient l'antichambre. Curieuse et enhardie par l'absence de surveillance, la jeune fille s'approcha de la porte de gauche pour y coller l'oreille : en effet, deux voix masculines échangeaient quelques mots bas.
– Bien. Comment se passe la suite des opérations ? Demanda un homme mûr qui semblait être Clark.
– Pas exactement comme je l'aurais voulu... répondit l'autre dans un grommellement semblable à ceux de Chris.
– C'est-à-dire ?
– Il a réussi à s'échapper.
Il y eut un silence tendu. Eva en profita pour glisser jusqu'au trou de la serrure, épiant les deux hommes d'un oeil plissé : comme elle l'avait prédit, Clark et Chris se tenaient au milieu de la pièce, se fixant avec un mélange d'inquiétude et d'irritation. Le gaillard aux cheveux rouges avait l'air encore plus fatigué qu'avant, le teint cireux et les cernes violacées, alors que le vieux bonhomme se pinçait les lèvres avec angoisse.
– Tu as déjà lancé des recherches, j'imagine ? Continua ce dernier.
– Oui. Deux groupes sont déjà partis et deux autres vont pas tarder. J'ai aussi prévenu ceux qui sont restés à l'extérieur.
– Bien. Contacte-moi dès qu'il y a du nouveau.
Le garçon acquiesça docilement.
– Et pour le reste ? Enchaîna le chef, visiblement pressé.
Chris fouilla dans ses poches et en sortit deux objets étranges : une espèce de boule en grillage perlé et un... kazoo ? C'était difficile à voir, mais c'est ce à quoi Eva pensait en voyant ces deux trucs. Clark, quant à lui, les analysa un instant du regard avant de se détendre, soulagé.
– Parfait. On verra tout ça ce soir. En attendant, remets-toi de ta blessure et repose-toi. On va avoir besoin d'être particulièrement en forme pour la suite...
Chris jeta un coup d'œil au bandage maintenant rougit qui recouvrait sa main puis approuva d'un hochement de tête.
– Merci, Clark...
– Ne me remercie pas, Chris. Pas avant que toute cette discorde soit définitivement calmée...
Le grand gaillard lui adressa un sourire reconnaissant – le seul sourire honnête qu'Eva ne vit jamais sur son visage – avant de quitter la pièce. Clark, quant à lui, lâcha un grand soupir avant de s'asseoir à son bureau et de feuilleter plusieurs papiers dans un silence total.
Eva assuma qu'il ne lui servait plus à rien de rester ici ; elle ne pouvait même pas voir le contenu de la paperasse du chef, de toute façon. Alors elle s'écarta du battant pour se rapprocher du couloir et jeter un œil à l'extérieur : personne. Elle sentit son visage se décomposer. Non... L'univers n'était tout de même pas aussi cruel ! Elle ouvrit un peu plus la porte, les lèvres pincées, mais le silence qui lui parvint confirma sa grande solitude. Le groupe était parti pendant qu'elle espionnait Clark. Et mince...
Mais là n'était pas le plus étrange : tout était parfaitement calme. Plus elle avançait dans les couloirs, plus l'absence de bruit se faisait pesante. Étaient-ils tous déjà partis ? Non ! Ils n'avaient pas pu tous disparaître en une seule conversation ! Elle se maudit elle-même pour sa curiosité et se faufila le long du couloir, à la recherche de potentiels retardataires.
Rien. Personne. Même les Voyageurs responsables de la sécurité du bâtiment semblaient avoir disparus. Et pourtant les caméras restaient éteintes... Et bah ! C'était beau, l'organisation : sous prétexte que l'ennemi ayant frappé se trouvait ailleurs, on pouvait bien négliger la surveillance du Sanctuaire ! Elle soupira, se demandant si Chris n'était pas l'imbécile derrière tout ça, puis continua de s'enfoncer dans le manoir.
Un mouvement lui attira l'œil, près de ce qui lui semblait être les douches. Enfin un peu de vie ! Elle se colla contre le mur et s'avança discrètement, priant silencieusement pour qu'il s'agisse d'un groupe retardataire. Ou bien le premier groupe était-il déjà revenu... C'était plausible, mais moins cohérent que la première proposition : et puis, l'idée de partir était bien plus séduisante aux yeux d'Eva, alors elle se raccrochait à cette idée comme pour obliger le destin à lui obéir. La volonté humaine était, disait-on, pleine de pouvoirs...
Elle glissa le long du mur puis passa timidement la tête par le montant de la porte des douches. Elle sursauta lorsqu'une main lui agrippa le col mais n'eut pas le temps de crier qu'un inconnu lui pulvérisait une brume à l'odeur sucrée au visage. La jeune fille se sentit partir, chuter vers les profondeurs ténébreuses de l'inconscience, puis sombrer définitivement dans le sommeil lorsque ces quelques mots raisonnèrent à ses oreilles :
– La cible est entre nos mains. Replis.
Elle ouvrit les yeux sur le hall du Sanctuaire des rêves, baigné de la douce lueur des étoiles. À ses pieds, la dalle d'apparition luisait de son éclat sanglant. Elle se sentit pâlir. Que s'était-il passé ? S'était-elle encore faite enlever ?!
Sa respiration s'affola. Ça ne pouvait pas en être autrement ! Elle avait bien entendu cette voix ! Et puis, elle ne pouvait pas passer du Sanctuaire réel au Sanctuaire des rêves comme ça ! Elle ne pouvais pas s'endormir comme ça, sans raison ! Puis une hypothèse terrifiante fit son chemin jusqu'à son esprit : peut-être que ses kidnappeurs avaient aussi envoyé des alliés dans le Monde des Rêves ! Peut-être même faisaient-ils déjà route vers le Sanctuaire pour la capturer ici aussi, voire pire !
Eva sauta de la dalle, affolée. Elle devait prévenir quelqu'un, vite ! Mais... Il faisait jour dans le Monde Réel, personne ne devait se trouver dans le Monde des Rêves à dix heures du matin... Elle ferait sans doute mieux de se cacher et d'attendre son propre réveil. Le Sanctuaire ne manquait pas de recoins dans lesquels se dissimuler...
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– Chercher de l'aide ?
– Se cacher ?
– Autre chose ?
Le choix est votre !
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