Chapitre 27 : rabibochage

Donc Allan était spécial lui aussi...? C'était lui qui avait ensorcelé la poupée dont s'était servi Kyle ? C'est pour ça que le meurtrier lui avait parlé de lui, alors ?! Rah, tout était si compliqué... Eva fixa longuement son oreiller, puis la paire de pantoufles qui gisait aux pieds de son lit. Il ne lui restait qu'une heure avant que son réveille sonne : elle avait bien envie de se rendormir et de comprendre ce qu'il s'était passé, mais cela en valait-il vraiment la peine ? Ne ferait-elle pas mieux de prendre un peu l'air pour remettre toutes ces nouvelles informations en place ?

C'est alors qu'un immense sentiment de culpabilité lui compressa la poitrine. Allan...

Il n'était pas parti simplement pour l'abandonner.

Il l'avait aidé...enfin...il avait essayé de la protéger en disparaissant de sa vie. Il avait pris le risque qu'elle la déteste jusqu'à la fin de ses jours pour qu'elle soit en sécurité. Et qu'avait-elle fait en retours ? Elle l'avait méprisé. Haït. Maudit tant de fois que le Diable en personne devait se lasser de ses prières.

Eva se sentait profondément stupide. Elle avait été si débile... Il fallait qu'elle fasse quelque chose. Mais Allan allait-il accepter ses excuses après tout ce qu'elle lui avait fait endurer ? Il fallait essayer. Mieux vaut tard que jamais disait le diction, d'autant plus qu'il lui restait encore une heure – voire deux, si elle se dépêchait – pour regagner le Monde des Rêves et s'excuser auprès de son ami. Après un instant de réflexion, l'adolescente décida tout de même de soigner son entrée : elle se para donc d'une jean skinny, d'une paire de talons aiguille argentée et d'un crop top en dentelle noire, ainsi que d'un fin trait d'eye-liner et d'une couche de rouge à lèvre violine. Elle n'était pas vraiment du genre à séduire pour réussir mais elle voulait faire comprendre au blondinet l'étendue de sa culpabilité par tous les moyens ; et puis, cet amalgame de petites voix qui ne cessaient de se disputer dans sa tête ne lui laissait pas le choix. Elles lui conseillaient même de prendre des gâteaux... Ce n'était pas une mauvaise idée ! Il était encore trop tôt pour qu'elle se mette elle-même aux fourneaux mais il y avait une grande cafétéria au Sanctuaire, l'endroit parfait pour discuter avec Allan et l'adoucir à grand coup de cookies. Ce fut sur cette pensée que la demoiselle trouva le sommeil, voguant le cœur battant jusqu'au Monde des Rêves.

Ses chaussures à talons hauts claquèrent sur la grande dalle du hall avec un poc sonore ; enfin, aussi sonore que pouvait être un pet de mouche dans un concert de Metallica.

La pièce au plafond de verre était en proie au chaos le plus total : tout le monde hurlait et courrait à travers la salle, pile dans la direction de ce qui semblait être la sortie. Eva fronça les sourcils, perdue. Personne ne sortait jamais du Sanctuaire, sauf s'il y avait un problème de force majeure... Un peu comme la vive lumière rougeâtre qui déambulait dans le couloir et se rapprochait dangereusement d'elle.

Le Spectre.

L'appréhension laissa place à la panique. Eva se mit à hurler comme un canard en plastique et se jeta dans le flot impitoyable de Voyageurs sans réfléchir, courant aussi vite que sa paire de chaussures plus onéreuse que pratique le lui permettait. La jeune fille se débattait tant bien que mal au cœur de cette apocalypse, usant des mains et des coudes pour ne pas se faire piétiner, mais le pire finit par arriver : son talon droit se brisa et la pauvre fille s'écroula par terre sans aucune forme de sensualité. Elle resta longuement au sol, sans cesse renvoyée au tapis par les autres Voyageurs affolés, et ne pu se redresser complètement qu'une fois la salle vide et silencieuse. Heureusement pour elle, le Spectre ne l'avait pas encore remarqué : il était trop occupé à menacer deux autres adolescents désarmés. Eva comptait en profiter pour se faire la belle lorsqu'un enchevêtrement de racines s'éleva du sol pour emprisonner la créature, permettant à ses victimes de partir en vitesse et à la demoiselle, son talon cassé à la main, de boitiller jusqu'à la cachette la plus proche.

Manque de bol, le Spectre réussit à se libérer aussi vite qu'il avait été immobilisé : il darda son environnement de ses yeux rouges et ne tarda pas à capter la présence de la jeune fille. Cette dernière, horrifiée, ne bougea pas d'un pouce lorsque le monstre fonça droit sur elle, et ne dût la vie qu'à la main salvatrice qui la tira à l'écart.

– Eva ! l'interpella la voix d'Allan. Mais qu'est-ce que tu attendais pour fuir ?!

Il l'avait téléportée – oui, oui, téléportée – dans une pièce reculée du Sanctuaire. Tien, n'était-ce pas la cafétéria ? Eva divaguait complètement lorsque le regard interrogateur du blondinet scruta les moindre détails de sa tenue, de son haut provoquant jusqu'à la belle traînée de rouge à lèvre qui lui barrait la joue.

– Tu... Pourquoi t'es habillée comme ça ? l'interrogea-t-il, entre la perplexité et la gène.

Le souvenir de la stratégie qui l'avait amenée ici réveilla finalement la jeune fille : elle retrouva brusquement son sang froid, essuya rapidement son visage et adopta l'air le plus sérieux possible.Tant pis pour les sucreries et l'apparence, Allan devait tout savoir. Maintenant.Elle ne pouvait plus supporter sa propre conscience.

– Je voulais m'excuser... déclara-t-elle sur un ton sincèrement coupable. J'ai vraiment été dure avec toi.

Allan se figea et la fixa avec étonnement. Il semblait sur le point de lui demander de répéter mais la demoiselle laissait se déverser tout ce qu'elle avait sur le cœur :

– J'ai toujours refusé tes excuses et je n'ai jamais cherché à comprendre réellement pourquoi tu étais partis. Tu voulais me protéger et moi, je t'ai juste méprisé comme une garce. J'aurais dû t'écouter. J'aurais dû faire attention à ce que tu ressentais toi aussi et essayer de comprendre... Je n'ai même pas fait d'enquête pour savoir qui étaient ces soit-disant pétasses ! Ridicule, non ? J'ai nourri une haine sans borne à ton égard juste pour me consoler. C'était stupide et je m'en veux à un point inimaginable. Je te demande pardon, Allan.

L'intéressé avait les yeux étincelants. Il avait la bouche grande ouverte, les bras ballants et cet air quelque peu stupide qui lui collait au visage lorsqu'il était surpris, mais il irradiait d'un sentiment d'espoir que la jeune Voyageuse n'avait plus vu depuis des lustres. C'était une lumière qu'elle avait cherché à bannir pendant des mois... Et maintenant qu'elle la voyait de nouveau, elle ne la trouvait que plus sublime.

– Je te comprends parfaitement si tu m'envoies balader, continua la demoiselle sur un tons enroué par l'émotion. Je n'ose même pas imaginer à quel point je t'ai détruit plus que tu ne l'étais déjà... Tu as fait le choix compliqué de cesser notre relation pour mon bien et moi, en retours, je te torture avec un grand sourire. Quelle conne... Je me déteste, je me déteste vraiment, et j'accepterai que tu me fasses subir mille fois ce que moi je t'ai fait endurer pour me faire pardonner. Tu as aussi le droit de ne pas croire tout ce que je viens de te dire. Ce serait amende honorable, après tout...

La jeune fille reprit brusquement son souffle. Cette déclaration s'était avérée bien plus éprouvante que prévue... Elle se sentait vidée et ne se sentait plus capable de regarder Allan en face. Qui en aurait eut la force après tout ce qu'elle avait fait ? La demoiselle baissa les yeux et fit mine de tourner les talons, pourtant une main s'enroula délicatement autour de son poignet : ce n'était pas une poigne timide, ni même désespérée, mais le doux geste d'un pardon.

– C'est moi qui m'excuse, Eva.

L'adolescente sursauta et posa sur Allan un regard profondément surpris. Le jeune homme lui répondit par un sourire et déclara alors, prenant les mains de son amies dans les siennes :

– J'ai fait tout ça par ce que j'avais peur. Je n'ai presque pas réfléchit... J'aurais pu nous éviter ça si je ne m'étais pas précipité. Et je n'ai pas fait mieux lorsque l'occasion de me racheter s'est présentée... Quelle idée que d'aller te sauver d'un Spectre ! J'aurais pu disparaître complètement, ou alors arrêter de tourner autour du pot comme un abrutit, mais il a fallut que je m'entête... Tu as toujours eu raison raison : je ne suis qu'un imbécile.

Eva fronça les sourcils. Un ouragan de crainte, de soulagement, d'amour et maintenant de colère bouillonnait dans sa poitrine...mais un sourire bienveillant lui fendit le visage.

– Ne dis pas ça, répliqua-t-elle dans un murmure. Tu n'as pas à te justifier pour mon comportement.

– Je te demande pardon.

– Non ! Je te demand...

Le rire d'Allan et la douce pression qu'il exerçait sur sa paume la firent taire immédiatement : c'était exactement comme au bon vieux temps. Ce temps où l'autre passait toujours avant l'un ; où ils s'écoutaient et se pardonnaient toujours, quelques soient les circonstance ; lorsqu'ils ne pouvaient pas se regarder sans sourire ou encore passer une journée entière sans penser à l'autre. Ce temps avait-il déjà été révolu une seule fois ? Il fallait croire que non... L'étincelle n'avait jamais cesser de briller. Elle avait peut-être été enfermée dans les ténèbres mais maintenant qu'elle était libre de scintiller, il ne faisait aucun doute qu'elle avait toujours été intacte. Même la plus puissante des rancœurs ne peut pas détruire ce lien exceptionnel qui relie les êtres.

Eva sentait les larmes lui monter aux yeux : était-ce du bonheur ? De la honte ? De la peur ? Elle ne le savait pas et n'avait pas l'intention de se creuser les méninges. Tout ce qu'elle voulait là, maintenant, tout de suite, c'était sentir la présence d'Allan, s'imprégner de son odeur et ne plus jamais le laisser partir. Elle s'avança imperceptiblement et, alors que son camarade en faisait de même, un sublime sourire collé aux lèvres...

Une lumière rougeoyante les balaya tous les deux, suivie d'un grognement monstrueux.

Le Spectre le avait retrouvé. Mais le pire dans tout ça, c'était qu'il était trop tard pour l'esquiver. Le duo vit la main ténébreuse du monstre se lever dans leur direction sans rien pouvoir faire d'autre que prier. Eva ferma les yeux. Pourquoi devait-elle partir alors que tout rentrait dans l'ordre...?

Une larme coula sur sa joue et s'écrasa par terre dans un plic précédé d'un lourd silence. Étonnée de sentir de son cœur battre toujours aussi fort dans sa poitrine, la jeune fille se risqua à rouvrir les yeux : le Spectre, la main levée, s'était figé, et semblait la regarder d'un air perplexe, du moins aussi perplexe qu'une créature sans visage pouvait l'être. Allan fixait le monstre avec un étonnement non feint mais Eva, l'attention toute attirée par l'étrange vibration qui se propageait contre sa hanche, se posait une toute autre question.

Que pouvait-il bien se passer dans la poche de son jean ? Quelle était cette étrange sensation ? La jeune fille se sentait complètement dépassée par la situation lorsqu'un souvenir presque effacé par l'habitude lui revint en mémoire : elle avait ce réflexe, depuis que Kyle avait conclut leur arrangement, de toujours garder sur elle la montre qu'il lui avait confiée. Un hoquet de surprise la fit sursauter. Le seul moyen – semblait-il – de se débarrasser de cette créature se trouvait donc dans sa poche ?! Elle se mordit nerveusement la lèvre. Bien... C'était le moment de tester la bonne parole de Kyle...

Déterminée à en finir avec ce monstre, Eva s'empara vivement la montre et la serra dans sa paume : elle était chaude, brillante et laissait échapper une légère odeur de romarin. Ou peut-être ces sensations venaient-elles directement du monstre... Il était difficile de le savoir. La jeune fille laissa ses questions de côté et brandit l'objet avec assurance, déclarant avec un naturel qui la surprit elle-même :

– Voici tes souvenirs. Je te laisse repartir.

Le monde sembla fondre tout autour d'elle, d'Allan et du Spectre qui se désagrégea comme une poignée de sable au gré du vent. Il sembla à la jeune fille apercevoir le temps d'un clignement de paupière la silhouette rayonnante d'un vieil homme, prononçant de ses lèvres souriantes un éternel merci... Mais l'univers retrouva son équilibre avant même qu'elle puisse le réaliser.

Le regard d'Allan, ne reposant dorénavant plus que sur le vide, se tourna très lentement en direction de sa camarade.

– Que... Qu'est-ce que tu viens de faire, là ? Balbutia-t-il.

– Je crois que je viens de libérer le Spectre... répondit-elle, peinant à croire en ses propres paroles.

Le blondinet remarqua alors la montre qu'elle tenait à la main main et fronça les sourcils.

– Un objet personnel ? l'interrogea-t-il avec méfiance. D'où est-ce que tu tiens ça ?

La jeune fille hésitait à répondre. Comment Allan allait-il le prendre ? Malheureusement son silence fut trop long et le blondinet, par un rapprochement connut de lui seul, compris de qui il s'agissait ; il ouvrit de grands yeux outrés et s'apprêta à crier le nom de son ancien ami lorsqu'un mouvement mystérieux attira l'attention du duo. Quelqu'un venait de se faufiler hors de la salle en courant.

– HEY ! QUI EST LÀ ?! Hurla Eva, terrorisée à l'idée que quelqu'un l'ai vu se débarrasser du Spectre.

Ce fut au tour d'Allan de se montrer pressé.

– Le maître du Spectre ! réalisa-t-il en se lançant à la poursuite de l'individu.

Sa vivacité fut bien heureusement récompensée et l'Autre infiltré finit par terre en quelques secondes, les chevilles et les bras emmêlés dans de la soie d'araignée : 1m75, entre 80 et 90 kilos, la poitrine généreuse, le visage adorablement rond malgré le foulard qui lui cachait la bouche, des cheveux blonds et un regard gris clair qui se glaça en se posant sur Eva. La jeune fille se décomposa.

– ... Lauren ?

Elle s'agrippa au bras d'Allan pour ne pas tomber lorsque la silhouette sombre de Sadie apparut brusquement devant eux : elle constata avec soulagement que Lauren était captive avant de poser un regard d'abord amical sur les deux amis, puis teinté de ce qui semblait être du mépris.

– Je suis heureuse de vous voir en vie ! souffla-t-elle alors, retrouvant sa chaleur habituelle. Où est le Spectre ? Et merci d'avoir attrapé cette espionne pour moi ! Je la cherche depuis des plombe !

Les deux camarades s'entre regardèrent avec gène avant qu'Allan prenne la parole :

– Et bien... Il semblerait que ce soit elle la maîtresse du Spectre.

– Oh ! s'exclama simplement Sadie, tout bonnement impressionnée. Dites-moi que vous avez piqué son objet de contrôle pour libérer le Spectre !

La gorge d'Eva se dénoua pour laisser échapper tout son soulagement :

– Oui ! s'enjoua-t-elle d'un rire gêné. Oui, c'est bien ça ! On a eu tellement de chance de tomber sur...

Sa poitrine se serra douloureusement.

– Elle... termina-t-elle dans un souffle.

Elle sentit les doigts d'Allan caresser discrètement sa main lorsque Sadie enchaîna avec engouement :

– Parfait ! Ça nous fait un problème en moins ! Et puis, comme ça, je pourrais l'interroger tranquillement, ajouta-t-elle avec une fermeté terrifiante.

Lauren lui lança un regard de défi mais Sadie, grâce au Ciel trop concentrée sur ses propres paroles, ne fit même pas attention à elle.

– D'ailleurs, en parlant d'ennemis, j'ai du nouveau... reprit-elle avec beaucoup moins d'entrain. Les nouvelles de la traque de Kyle ne sont pas bonnes : il semblerait que ce grand débile ait pour but de ramener la Bombe ici.

Les deux Voyageurs aguerris marquèrent un lourd silence pendant qu'Eva haussait un sourcil interrogateur.

– La quoi ?

– Je passe ma journée de demain au Sanctuaire Réel pour la surveiller, déclara soudain Allan. Hors de question que je laisse ce grand malade mettre l...

– Eva ! Eva, debout !

La jeune fille ouvrit les yeux en grognant et gratifia sa mère d'un regard haineux.

– Quoiiiiiiii ?

– Je viens de recevoir un appel de l'hôpital : Lauren va être sortie de son coma dans la journée !

Eva se redressa brusquement.

– On pourra aller la voir ? s'interrogea-t-elle avec plus d'entrain et d'espoir qu'elle aurait dû.

– Bien sûr ! Et je t'autorise même à sécher les cours pour rester auprès d'elle !

Un mélange doux-amer se forma dans la poitrine d'Eva. Sa traître d'amie allait se réveiller... Était-ce une bonne idée d'aller la voir maintenant ? Certes, elle avait besoin de réponses, mais Lauren le voudrait-elle bien ? Peut-être que si elle se montrait douce...

Puis, il y avait autre chose : un objet étrange se trouvait au Sanctuaire Réel. Un objet convoité par Kyle, qui menaçait la vie de plusieurs centaines de Voyageurs... Et Allan était seul là bas.

*******

– Aller s'expliquer avec Lauren et en apprendre plus sur les Autres ?

– Rejoindre Allan et en apprendre plus sur la Bombe ?

– Une toute autre décision ?

L'histoire repose sur vous...

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