Chapitre 26 : quelle est la différence entre un blond et un miroir ?
Sur la passerelle, les témoins sursautèrent et dégainèrent leurs lames multicolores d'un seul mouvement. Peut-être fus-ce un instinct commun ou même un miracle mais leurs regards convergèrent immédiatement vers Allan : il se retrouva au cœur de l'attention sans rien avoir demandé, les bras ballant, ne sachant comment réagir. Sadie, quant à elle, reculait déjà vers la sortie.
Eva se mordit les lèvres en jurant. Sans rire ! Même quand cet abrutit n'était pas responsable, il fallait quand même qu'il attire la peste ! La jeune fille se lança sur le témoin le plus proche puis, après avoir attrapé le majestueux vase qui servait de décoration, le lui explosa sur la tête : l'homme s'écroula comme un vulgaire sac de pommes de terre sous les yeux écarquillés d'Allan. Sa sauveuse lui lança un regard assassin pour lui signifier :
- de un qu'elle ne faisait pas vraiment cela par plaisir
- de deux que le blondinet avait intérêt à se concentrer puisqu'un Autre menaçait dangereusement ses arrières.
Il parut le comprendre rapidement et fit volte face pour parer un coup à l'éclat d'arc-en-ciel, profitant de la surprise de son adversaire pour le pousser par dessus la balustrade.
Sentant qu'un coup similaire l'attendait, Eva effectua la roulade la plus épique qui lui eut été donné de faire : elle avait attrapé l'arme de celui qu'elle venait de mettre K.O avant de se laisser tomber par terre pour esquiver l'Autre fourbe qui avait tenté de l'agresser. Elle se redressa à quelques pas de lui, l'arme levé devant elle et le regard discrètement tourné en direction d'Allan. Le grand débile s'en sortait plutôt bien et avançait lentement jusqu'à la deuxième cage d'escalier, écartant leurs ennemis à coup de larges coups d'épée.
Il leur fallut de longues secondes pour atteindre la sortie mais ils réussirent, le cœur battant, à pousser la petite porte de la passerelle et à dévaler les escaliers qui les attendaient de l'autre côté. Au palier du dessous, la cohue était totale : les Autres courraient dans tous les sens, l'arme à la main, commandés par les voix sévères de quelques Voyageurs supérieurs. L'arrivée des deux espions eut l'effet d'une bombe dans le long couloir en colonnade : avant que qui que ce soit eut prononcé le moindre mot, une immense vague de guerriers en colère déferla sur le duo. Allan attrapa la main d'Eva et la tira on ne sait où, sans doute dans la direction d'un passage secret découvert au long de ses multiples raids.
Ils étaient de partout : devant, derrière, à gauche, à droite, au dessus de leurs tête... Ils n'arriveraient jamais à s'en sortir. Il y avait trop d'ennemis ; et qui plus est des Voyageurs en pleine possession de leurs pouvoirs. Avancer en devenait presque impossible, pourtant la force du désespoir dotait les deux adolescents de réflexes incroyables, esquives et contre-attaques dignes des scènes d'action les plus complexes. Les sortilèges fusaient de tous les coins sans jamais les toucher mais la fatigue ne tarderait pas à les gagner, Eva s'en doutait avec angoisse.
Un Voyageur pyromane ne tarda pas à leur barrer le chemin. Une sphère enflammée se forma au creux de ses paumes et fusa dans la direction des fuyards à une vitesse phénoménale : Allan leva son arme au tout dernier moment et les flammes, frappant avec force le fil de sa lame, rependirent une lumière aveuglante qui noya entièrement le champ de bataille.
Il fait sacrément beau, aujourd'hui : les oiseaux chantent, le soleil brille, les fleurs s'épanouissent... Allan me prend par la main et me guide jusqu'à la cours du lycée, dans ce petit coin caché entre deux buissons que nous seuls connaissons. Su la vieille table de bois repose un gros sac en carton à l'odeur alléchante, décoré de ce gros M rouge que je connais si bien ; il y a même une grande bouteille de soda en supplément, au cas où je terminerait mon gobelet trop vite. Allan se tourne vers moi et m'offre un sourire à la fois heureux et fier, de ceux qu'il me présente à chaque fois qu'il me fait une surprise. Ce moment a tout pour être parfait...
– J'ai entendu dire que tu as passé tes examens blancs avec brillo ! Me dit-il. Ça se fête !
Je lâche un petit rire ravi et viens m'asseoir en face de lui, touchée par cette délicate attention : Allan est bien le seul à m'avoir félicité pour ça, en dehors de mes parents... Je n'ai pas vraiment d'amis – je suis trop chiante pour ça, selon les rumeurs – et savoir qu'au moins une personne dans ce lycée est heureux pour moi me comble de joie. Surtout qu'il s'agit d'une personne aussi adorable !
Allan extirpe notre repas du sac et nous mangeons dans la bonne humeur, riant l'un et l'autre des aléas de notre journée. Cela fait déjà un moment que nous nous parlons et que nous passons du temps ensemble, loin des regards et de la hiérarchie stupide des élèves de notre lycée : c'est vrai, ça, qui aurait cru qu'une associable comme moi pourrait sympathiser avec un populaire comme lui ? Il faut croire que nous sommes fait pour nous entendre. Je crois même qu'il y a quelque chose entre nous... J'expire intérieurement. Oui, nous avons une réelle connexion. J'y crois. Alors je pense qu'il est temps que je lui avoue mes sentiments.
Seulement la sonnerie du lycée retentit et m'empêche de faire ma déclaration... Allan sursaute : il devrait déjà être au gymnase pour son cours de sport, en basket et en jogging, près à courir le 100 mètres... Il attrape les déchets de notre repas et les jette dans la poubelle la plus proche avant de m'adresser un petit salut de la main.
– On se revoit bientôt ? Me demande-t-il, bien qu'il saches parfaitement que ma réponse est oui. À plus, je t'appelle !
Puis il disparaît, abandonnant sur mon visage un sourire débordant d'amour.
– Eva !
La jeune fille secoua vigoureusement la tête et cligna des paupières, complètement perdue : elle était assise contre le marbre d'une immense colonne, à même le sol, face à un blondinet totalement paniqué. Bien que les Autres avaient visiblement disparu et que le danger semblait s'être évaporé, ce grand malade la secouait par les épaules comme un forcené et s'affolait à voix basse :
– Eva ! Est-ce que ça va ? Tu étais toute bizarre pendant qu'on courrait... Tu avais les yeux dans le vide et tu ne répondais pas ! Tout va bien ?
Elle le dévisagea un court instant avant de froncer les sourcils et de le rejeter violemment.
– Mais bon sang, Allan ! À quoi tu joues ?!
L'intéressé la regarda se relever et épousseter sa tenue avec dégoût, la bouche grande ouverte et l'air spupide.
– Pourquoi tu t'intéresse à moi d'un seul coup ? Pourquoi tu t'inquiète ? Pourquoi tu reviens comme une fleur après m'avoir abandonnée comme une grosse bouse, hein ? Tu ne m'as jamais rappelé, je te signale !
La surprise du garçon se mua rapidement en une sérieuse culpabilité. Il baissa les yeux, soupira longuement et se redressa face à sa camarade, ne cherchant pas à dissimuler la gène qui le rongeait.
– Je...je voulais te rappeler, mais je n'ai pas pu, lui dit-il d'une toute petite voix.
– Ah bah oui ! S'insurgea Eva sur un ton particulièrement ironique. C'est compliqué d'entretenir autant de relations à la fois ! D'ailleurs, je ne t'ai jamais demandé : c'était qui, ces putes ?
– ...Des Voyageurs.
– Par ce que tu choisis bien tes produits en plus ! S'offusqua Eva. C'est vraiment n'importe quoi !
– Non... Tu ne comprends pas !
– Bah voyons !
Eva le fusilla du regard mais, pour la première fois de sa pitoyable existence, Allan le soutint et répondit avec gène :
– Tu sais, au Sanctuaire, on a tous plus ou moins une tâche dédiée : garde, membre de raid, chercheur en imagination... Et bien moi, la plupart du temps, je suis chargé de recruter les nouveau. Je vais les voir dans le Monde Réel, dans le Monde des Rêves ou même les deux, pour les aider à accepter et à comprendre leur nature.
Eva, les poings serrés et le visage déformé par la haine, l'écoutait malgré elle, la curiosité plus forte que tout. Elle était tout de même sur le point de lui envoyer une droite lorsqu'il reprit ses explications, détournant une nouvelle fois les yeux :
– Je t'ai croisée comme par hasard, au détour d'un rêve, et je suis venu te voir au lycée dans l'espoir de t'accompagner jusqu'au Sanctuaire. Sauf que j'ai...senti que tu avais quelque chose de plus, que tu étais spéciale. Que tu avais des pouvoirs que Clark ne supporterait pas. Alors j'ai décidé de disparaître de ta vie pour que personne ne te retrouve et que tu puisses vivre en paix dans le Monde des Rêves, sans Voyageurs pour te traquer ou tenter de t'emprisonner.
– Pffff, cracha haineusement l'intéressée. Mais bien sûr.
Allan lâcha un soupir déchirant et continua, ignorant la remarque de son ancienne amie :
– J'ai beaucoup réfléchi avant de faire ça. J'ai vraiment cherché toutes les solutions pour ne pas te perdre, mais...c'était le plus sûr pour toi. Te laisser m'a vraiment beaucoup fait de mal, tu sais ? Il m'arrive toujours de ne pas en dormir la nuit. Alors, quand j'ai compris que les Autres avaient eut vent de ton existence et planifiaient de te capturer, j'ai... J'ai sauté sur l'occasion. Je n'étais pas sûr que te protéger d'eux suffise pour me rattraper, mais je devais au moins essayer. Pour toi. Pour nous.
Eva grinçait des dents. Un pernicieux sentiment d'amour entachait sa colère et elle ne voulait pas qu'il prenne le contrôle, pas maintenant. Elle fit craquer ses phalanges et laissa échapper un rire débordant de sarcasme.
– Tu crois vraiment que je suis conne, ma parole ! S'exclama-t-elle. Tu as senti que j'étais différente ? La meilleure ! Et comment t'as fait ? J'ai les pets qui sentent la rose, c'est ça ?!
La jeune fille avait crié un peu trop fort... Au loin, le bruit de pas des Autres raisonnait en rythme, de plus en plus fort et surtout, de plus en plus proche. Eva se maudit intérieurement et chercha rapidement des yeux un moyen de s'échapper, seulement son regard fut irrésistiblement attiré vers les lèvres d'Allan : il souriait. Tristement, mais il souriait. Il s'approcha de sa camarade et murmura avec beaucoup de peine, comme si prononcer ces quelques mots lui faisaient beaucoup de mal :
– Je t'ai sentie car entre spéciaux, on apprend à se reconnaître.
Une véritable armée de Voyageurs avait fait irruption au bout du couloir et courraient dans leur direction à une allure vertigineuse : ils n'allaient pas tarder à les rejoindre mais quand Allan tourna les yeux dans leur direction et claqua des doigts, ils disparurent. Tous.
– Tu les a téléportés ?! S'extasia Eva.
– Sadie ne t'as pas appris qu'on ne pouvait pas maîtriser l'imagination d'autres Voyageurs ? Rétorqua simplement Allan.
Il se retourna vers elle. Son sourire avait déjà disparu, remplacé par une expression d'immense inquiétude et un regard affreusement pénétrant.
– S'il te plais, la supplia-t-il, fais attention à toi.
Eva se redressa brusquement dans sont lit, le cœur battant si fort contre sa poitrine que la nausée ne tarda pas à faire son apparition. Quelle heure était-il ? 05H12. La maison était silencieuse, la rue plus que calme et sa chambre plongée dans l'obscurité la plus totale. En bref : rien n'était susceptible de la réveiller. Et pourtant elle était là, assise dans sont lit, les yeux grands ouverts et les cernes étirées jusqu'au menton. Est-ce que... Est-ce qu'Allan venait de la faire se réveiller ? C'était impossible ! Enfin, mis à part s'il lui avait dit la vérité...
Donc Allan était spécial lui aussi...? C'était lui qui avait ensorcelé la poupée dont s'était servie Kyle ? C'est pour ça que le meurtrier lui avait parlé de lui, alors ?! Rah, tout était si compliqué... Eva fixa longuement son oreiller, puis la paire de pantoufles qui gisait aux pieds de son lits. Il ne lui restait qu'une heure avant que son réveil sonne : elle avait bien envie de se rendormir et de comprendre ce qu'il s'était passé, mais cela en valait-il vraiment la peine ? Ne ferait-elle pas mieux de commencer à se préparer pour aller au lycée et réfléchir un peu à tout ce qu'elle venait d'assimiler ?
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– Se rendormir ?
– Se préparer ?
– Autre chose ?
À vous de décider....
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