Chapitre 18 : garde et proie
- J'en sais rien, avoua sa camarade. Mais j'imagine que ça peut bien attendre une nuit de plus...?
La jeune Voyageuse se mordit la lèvre. Oui, elle voulait prendre la garde avec Sadie, mais si Clark avait quelque chose à lui dire, elle ferait peut-être mieux d'aller le voir. Bah... Elle avait toute la nuit devant elle ! Passer faire un coucou à Clark ne lui prendrait pas plus d'un quart d'heure, voire moins ! Puis elle rejoindrait Sadie devant les portes. Efficace. Simple. Pas cher.
- Je vais aller voir ce qu'il me veut et je te rejoindrai un peu plus tard, déclara finalement Eva.
Sadie hocha la tête.
- Je t'accompagne.
Sa camarade lui lança un sourire puis, une fois que l'autre lui tourna le dos, troqua discrètement son pyjama contre une tenue un peu plus présentable. Les deux jeunes filles traversèrent le hall et déambulèrent longuement avant de ralentir devant une jolie porte claire perçant un corridor qu'Eva n'avait encore jamais visité. Son amie lui fit signe de frapper avant de disparaître. Littéralement. Et l'interdiction d'utiliser l'imagination dans les couloirs, alors ?!
- Entrez, s'exprima une voix depuis l'autre côté du battant.
La demoiselle sursauta. Avait-elle toqué ? Pas à son souvenir. Mais Clark avait sans doute nombre de moyens pour surveiller ce qui se passait devant son bureau... Alors elle poussa lentement la poignée et entra.
Clark était assis derrière une grande table de bois parfaitement rangée : pas de feuilles volantes, pas de crayons et stylos éparpillés, pas de cafés ou restes de repas... Rien, mis à part un petit carnet ouvert sous les yeux de son propriétaire. La pièce était à l'image de la table, sobre et vide, meublée de deux armoires imposantes au contenu invisible. Une lumière éblouissante se déversait dans la pièce par les deux grandes fenêtres qui perçaient le mur du fond, si éclatante quEva dût plisser les yeux pour rencontrer le regard chaleureux du chef.
- Heureux de te voir saine et sauve ! Se réjouit le grand bonhomme. Assieds-toi, je t'en prie !
Le jeune fille acquiesça et avança à tâtons jusqu'aux deux grands fauteuils qui faisaient face au bureau. Clark en profita pour fermer les rideaux puis son petit carnet de...de trucs. Pas la moindre idée de ce qui pouvait se trouver là-dedans...
- Comment te sens-tu ? L'interrogea-t-il. L'adaptation n'est pas trop compliquée ? Les autres Voyageurs sont-ils gentils avec toi ?
- Perdue mais ça va, répondit simplement Eva. J'aurais rêvé plus calme comme intégration, mais bon... Et les autres sont sympa. Enfin, quand ils n'essayent pas de me tuer.
Clark soupira.
- Je m'excuse pour le comportement de Chris. Je veillerai personnellement à ce que cela ne se reproduise plus.
Il passa une main dans ses cheveux grisonnants et prit place dans son propre siège.
- Mais, dans l'immédiat, ce n'est pas lui le plus dangereux.
Eva écarquilla les yeux.
- Vous avez des nouvelles des Autres ? Comprit-elle immédiatement.
Au silence de Clark, elles ne devaient pas être très bonnes.
- Il semblerait qu'ils se rapprochent de toi, avoua le chef.
- Rapprocher comment ? S'inquiéta la jeune fille.
- Beaucoup trop. Il savent des choses extrêmement précises sur toi et je n'aime pas du tout ça.
- Et alors ? Tenta de se rassurer Eva. Peut-être l'ont-ils appris de quelqu'un d'autre...
- Pour certaines choses, oui, mais pas pour d'autres. C'est trop personnel. Ils savent parfaitement où tu habite et connaissent chacune de tes habitudes.
Eva se sentit pâlir.
- Et pourquoi n'ont-ils rien tenté ? Demanda-t-elle d'une voix blanche.
- Sûrement notre présence, calcula le chef. Allan a beaucoup rôdé près de chez toi dernièrement, j'imagine que sa proximité a dû décourager les Autres.
Allan. Encore lui. Il avait vraiment le don pour scinder les sentiments de la pauvre Voyageuse. Résultat : elle ne savait plus si elle devait le remercier pour ses petits tours de garde ou s'offusquer de ce comportement penchant sur le voyeurisme.
- Je vais demander à d'autres Voyageurs de te surveiller, annonça finalement Clark. Mis à part ça, j'aimerais que tu fasses très attention et que tu te méfies de tout le monde. Je ne sais pas comment les Autres se sont débrouillés, alors je te conseille de te méfier en permanence.
Un regard particulièrement dur appuya ses dernières paroles, puis il libéra Eva d'un geste de la tête. L'adolescente se leva lentement et sortit de la pièce les yeux baissés. Elle qui voulait des nouvelles, elle était servie... Et sur un plateau d'argent. Magnifique. En fait, il ne fallait jamais se dire que les choses ne pouvaient pas être pires ; parce qu'il suffisait d'y penser pour qu'elles le deviennent.
Elle traîna des pieds le long du couloir, dans le hall, puis se força à retrouver un peu de contenance lorsqu'elle arriva devant les doubles portes. Sadie se fendit d'un splendide sourire lorsqu'elle vit son amie approcher, ou plutôt se traîner, et vint à sa rencontre en trottinant.
- Alors ? L'interrogea-t-elle. Les nouvelles sont bonnes ?
- Disons que...ça pourrait être pire... Souffla simplement Eva.
- ... Ah ?
- Boh. Juste le chaos de ces derniers jours qui commence à me faire vriller.
- Je comprends... Répondit Sadie en lui souriant doucement. Du coup, je t'explique un peu comment fonctionne un tour de garde ?
Eva allait acquiescer lorsqu'un voix raisonna dans sa tête.
« Le flacon d'abord. »
- Et si on commençait par fouiller la pièce ? S'enquit la Voyageuse néophyte.
- Si tu veux ! Approuva sa camarade. Tu es toujours sûre que surveiller cet endroit avec moi ne t...
- Au contraire ! Ça me fait plaisir de me rendre un peu utile !
Et ce n'était pas qu'un prétexte. Enfin...ça aurait pu ne pas être qu'un prétexte si Eva ne savait pas où était l'intrus et ce qu'il était actuellement en train de manigancer.
- Soit, concéda Sadie. Mais si ça t'angoisse vraiment trop, ne te force pas à rester. D'accord ?
L'intéressée hocha la tête et l'encouragea d'un jolie sourire à commencer les investigations. Sur ce, les deux jeunes filles claquèrent des talons jusqu'à l'entré de la salle et s'y engouffrèrent sans un mot.
Rien n'avait changé : les volumes immenses, les échos austères, le métal arc-en-ciel qui recouvrait sol, murs et plafonds, les luminaires en forme de globes qui rependaient depuis le haut plafond leur lumière blanchâtre... Et puis, bien sûr, trônant au sommet de son socle multicolore, la fameuse fiole transparente aux propriétés mystiques et mystérieuses. Elle n'avait pas bougé d'un pouce, ce qui arracha à la voleuse ratée un discret soupir de soulagement.
- Regarde bien où tu mets les pieds, lui conseilla Sadie. On ne sait pas quel genre d'indice peut se trouver par terre.
Eva feignit inspecter le sol mais toute son attention était dirigée vers le précieux flacon. Son jumeau factice tressautait dans sa poche, comme impatient d'aller remplacer l'autre : d'ailleurs, l'assassin devait l'être tout autant. Étrange qu'il ne se soit pas manifesté à l'instant où les portes s'étaient refermées derrière sa marionnette... Il aurait été content de voir avec quel assurance son joujou se rapprochait de la fiole. Un pieds. Puis un autre. Sadie avait migré à l'autre bout de la pièce et passait la main sur les murs avec précaution, sans doute à la recherche d'un passage dérobé.
Eva n'en attendit pas plus. Elle enjamba les cinquante derniers centimètres qui la séparaient de son objectif et inversa les deux flacons d'un habile mouvement de la main. Puis elle s'éloigna en vitesse, une cascade de sueur froide inondant déjà son cuir chevelu. Enfin...! Elle l'avait ! Elle avait réussit ! Elle allait enfin pouvoir se débarrasser de ce psychopathe ET du Spectre une bonne fois pour toute ! Enfin...si cette histoire de montre était vraie.
- J'ai ton truc, annonça-t-elle fièrement par la pensée.
Elle s'attendait à une réponse, ou du moins à de nouvelles directives lancées avec froideur, mais seul le silence de la pièce lui répondit.
- Oh ! Je te parle ! J'ai la fiole ! Qu'est-ce que je fais, maintenant ?
Rien. Du tout. Eva commençait à s'impatienter lorsque l'éclat kaléidoscopique du sol lui attrapa la rétine.
Toute la pièce était isolée de matière anti-imagination. De ce qu'elle avait pu en comprendre, aucune sorte de pouvoir ne pouvait l'influencer, ni le modifier, ni...le traverser, sans doute. Voilà pourquoi son ravisseur se terrait dans un endroit aussi blindé que cette pièce : il se protégeait des Voyageurs tout autant que les Voyageurs protégeaient leur salle secrète de toute intrusion surnaturelle.
Donc, toute connexion avec lui était coupée.
Peut-être était-ce le moment de tout avouer.
Peut-être était-ce le moment de poser les bonnes questions.
Peut-être était-ce le moment de faire ces deux choses avant de commettre l'irréparable.
Peut-être qu'à l'abri de Clark, Sadie en dévoilerait un peu plus sur cette foutue pièce et passerait cette affaire sous silence.
Peut-être...
- Euh... Sad...?
- ...Die ! La coupa une voix masculine. J'ai entendu dire que tu étais toute seule pour la garde, alors je suis venu te filer un coup de main...
Ses deux derniers mots avaient baissé en volume lorsqu'il avait aperçu la présence d'Eva. Ils se dévisagèrent. Il savait qu'elle n'était pas ici par hasard. Elle se doutait qu'il était conscient de ce qui était en train de se produire. Que savait-il exactement sur la situation ? Elle n'aurait su le dire. Et lui ne dit rien de plus qu'elle. Aucun des deux ne parla. Ce fut Sadie qui brisa le silence.
- Allan ! S'exclama-t-elle. Tu arrive un peu tard... Eva a déjà pris le relais ! Mais merci d'être passé !
Une étrange lueur passa dans le regard du jeune homme.
- Si tu veux, je peux te remplacer et rester avec Eva, proposa-t-il. Ça te permettrait de profiter un peu de ta nuit.
La fausse blonde haussa les épaules et se tourna vers sa camarade.
- Et toi ? Qu'est-ce que tu en pense ?
*******
- Rester avec Sadie ?
- Rester avec Eva ?
- Autre chose ?
Le choix est votre...!
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