Chapitre 16 : derrière les portes

Sadie baissa les yeux et partit rejoindre ses collègues, laissant Eva à ses réflexions. Bien. Tout ça n'avait rien de très étonnant, au final, mais ça complexifiait pas mal les choses... Si cette pièce était importante au point que les Voyageurs vivant dans ce sanctuaire n'étaient pas tous au courant de ce qu'elle renfermait, c'est qu'il y avait du soucis à se faire. Déjà pour réussir à avoir ce truc qu'elle protégeait, mais aussi vis-à-vis de ce que ce type allait en faire. Même s'il avait l'air honnête, ses intentions n'en restaient pas moins très obscures...

Cependant, l'univers semblait vouloir maintenir Eva dans l'ignorance la plus totale. Si Sadie elle-même refusait catégoriquement de lui expliquer quoique ce soit, personne ne le ferait... Et s'obstiner à trouver des informations sur ce qu'il y avait dans cette pièce ne servirait à rien mis à part lui faire perdre un temps précieux.

Une pression douce, à peine perceptible, s'attarda entre ses deux omoplates : le type était toujours là, et il la surveillait. La jeune victime avait tout intérêt à faire quelque chose si elle ne voulait pas avoir de problèmes. Tant pis si elle agissait sans rien savoir...ça ne changeait pas beaucoup de d'habitude. Et puis, peut-être que son ravisseur daignerait lui expliquer ce qu'était cette mystérieuse...chose...une fois qu'elle la lui aurait ramenée...

Ce n'était pas le moment de s'attarder sur ce genre de questions. Il devait être aux alentours de 17h00 : trop tard pour la sieste, trop tôt pour la nuit, un moment où le Sanctuaire n'était pas des plus remplit. L'occasion parfaite pour mettre en place un stratagème simple et éloigner ces trois gardes de leur poste...

Voyons voir... Qu'est-ce qui pourrait bien les éloigner d'ici...? De la casse ? Bof. Ça ne les retiendrait pas assez longtemps pour me permettre de ressortir tranquille. Et puis, l'un d'eux restera sans doute dans les parages. Une intrusion ? Ce serait gros, certes, mais ça pourrait marcher. Sauf que le problème sera le même : rien ne les oblige à tous partir en même temps... Feindre une attaque ? C'est bien beau tout ça mais, si je suis moi-même l'appât, je serai coincée avec eux. AAAAH pourquoi les choses doivent-elles être aussi COMPLIQUÉES ?!

Eva tourna les talons et s'éloigna pour cacher sa frustration. Ce que la vie de ninja pouvait être dure...! Franchement, qu'est-ce qu'elle avait bien pu faire pour mériter tout ça ?! FRANCHEMENT ! Ce n'était pas suffisant de se faire traquer par une créature mortelle et par une associations de meurtriers, il fallait AUSSI qu'elle se fasse enlever par un psychopathe - qui plus est la seule personne de ce Monde de BOUSEUX à lui donner des informations claires - pour qu'il la pousse à voler quelque chose dont elle ignorait jusqu'alors l'existence ! Mais c'était quoi le problème avec son Karma ?!

- AAAAAAAAARHG !!!

Et voilà qu'elle réussissait à se tordre la cheville SANS TOUCHER LE SOL. Pfff ! Ça ne pouvait arriver qu'à elle, ça ! Tiens !

- Arrêtes de geindre et ramène-moi ce que je t'ai demandé.

Eva cessa brusquement de piétiner et se mit à pâlir. De la télépathie...? Et merde... C'était de mieux en mieux. Et à tous les coups, ce connard pouvait aussi lire dans ses pensées. Bah... Comme si ça pouvait être réellement désastreux. Ce type ne devait pas être bien surprit par la haine qu'elle lui portait. C'était logique de détester la personne qui vous manipulait comme une vulgaire marionnette... Mais... Quand même...

- Eva !

Elle sursauta lorsque Sadie lui attrapa l'épaule. Quoi ? N'était-elle pas censée surveiller ces putains de doubles portes ?!

- Je voulais juste te proposer d'aller voir Clark, l'invita la demoiselle en apercevant son incompréhension. Il est là, lui aussi, et je pense qu'il sera vraiment ravi de te voir saine et...

Son sourire s'estompa.

- Eva...? Est-ce que ça va ? Tu es toute pâle ! Et... Tu te tiens bizarrement... Tu as mal quelque part ?!

L'intéressée déglutit. Cela avait quelque chose de désagréable, mais Sadie venait de lui tendre une perche en or massif incrustée de diamants et de rubis magiques.

- Je...je crois que j'ai aperçu quelqu'un... Souffla Eva, la voix tremblante. J'ai couru mais je me suis t-tordue la cheville et...

- Où ça ? La coupa Sadie.

- Pas loin de...euhm...des vestiaires...

La belle Voyageuse ne se fit pas prier : elle fonça dans la direction indiquée par sa camarade et disparu au coin du couloir en courant. Et de une ! Argh... Ce que ce pouvait être désagréable de se dire ça... Mais Eva n'avait pas vraiment le choix ; et elle avait intérêt à s'habituer avec ça, puisqu'il lui restait encore deux personnes à éloigner de sa mission finale.

Elle boitilla jusqu'aux doubles portes, où les deux autres gardiens continuaient tranquillement de discuter. Lorsqu'ils l'aperçurent s'approcher, qui plus est seule et traînant du pied, leurs sourcils se froncèrent : mais Eva ne les laissa pas poser leur question, préférant lancer son mensonge avant de se défiler.

- J'ai vu quelqu'un près des vestiaires... Souffla-t-elle. Heureusement que j'ai croisé Sadie : elle est allé voir, mais...elle est seule...

Le jeune homme bondit dans le couloir et disparu à la suite de sa collègue. Ne restait plus que la trentenaire aux cheveux noirs qui, les bras croisés et l'air inquiète, se posta fermement devant la pièce secrète. Bien. Il ne manquait plus qu'à trouver un moyen de...

- HEY ! HALTE !

La femme se jeta en avant et couru vers l'un des trois couloirs qui se rejoignaient devant les portes : une silhouette sombre était apparue en plein milieux du chemin, les mains dans les poches, perdue dans des vêtements noirs et un foulard de la même couleur.

- Bouges-toi.

Le type pivota sur lui même et se mit à courir dans la direction opposée à celle de sa poursuivante. Hein...? Parce qu'il venait l'aider, maintenant...? Et pourquoi ne s'occupait-il pas d'aller chercher son truc tout seul si c'était pour débarquer comme ça dans le Sanctuaire ?! N'importe quoi ! Aussi furieuse que paumée, Eva balaya les alentours du regard : plus personne. Alors elle avança vers les portes et posa les mains sur les deux battants, aussi froid et lisses que du métal.

Fermés.

Bien sûr.

- Autour de ton cou, débile.

Ah.

Oui, en effet.

Il y avait une grande clef multicolore pendue au bout de la chaîne qui entourait son cou. Et v'là autre chose...

La jeune fille laissa sa perplexité de côté et retira vivement son nouveau collier : la clef tourna dans la cellule avec un gros « clic ! » franchement pas discret et alors, seulement alors, les doubles portes s'ouvrirent avec lenteur sur la pièce la mieux gardée de tout le Sanctuaire.

Elle était immense, gigantesque...et pourtant si vide, au point où le claquement des portes se refermant à la suite d'Eva perdura entre les murs de la salle pendant de longues secondes. Les murs, le sol, le plafond étaient entièrement métallique, un peu comme dans la pièce de replis du type et...comme les armes anti-imagination. Ah... Les choses avaient beaucoup plus de sens, d'un seul coup...

...Exceptée cette pièce. Il y avait un espèce de piédestal au centre, sur lequel reposait un objet encore trop éloigné pour être définissable. L'adolescente se rapprocha. Après quelques pas, l'éclat blafard d'une fiole de verre lui parvint : il s'agissait d'une adorable petite bouteille, pas plus grande qu'un échantillon de parfum, remplie d'un liquide entièrement transparent. Et c'était tout ? Rien ne laissait présager que cet objet était aussi... Dangereux...? Précieux...? Puissant...? Eva laissa échapper un petit rire nerveux. La situation ne s'y prêtait franchement pas, mais...ce pauvre flacon lui rappelait l'épisode où Titeuf faisait brûler un échantillon d'eau stérilisée dans le four de ses parents en pensant qu'il s'agissait de sperme et qu'un enfant allait apparaître après la cuisson...

Le sourire aux lèvres, elle tendit la main. Enfin. Un problème de moins. Elle passa la paume au dessus de l'objet : rien ne se passa. Pas de piège. Parfait. Elle sourit de plus belle et laissa ses doigts se refermer autour du flacon.

- EVA !

Sa poigne se resserra autour d'un bras inconnu. La salle, le Sanctuaire, le flacon... Tout avait disparu au profit de la chambre de la jeune fille et du regard exorbité d'Allan qui, penché au dessus d'elle, la secouait doucement par les épaules.

- ... Est-ce que ça va ? Qu'est-ce que tu fait allongée par terre ? Tout va bien ?!

QUOI ?! Mais qu'est-ce qu'il foutait là, lui ? Est-ce qu'il venait de la réveiller ? Et au PIRE des moments, en plus ?!

Son poing aurait volé si elle ne sentait pas aussi faible. Allan, toujours aussi paniqué, ne sembla pas capter sa colère et continua de l'interroger sur un ton saturé d'inquiétude :

- J'ai essayé de t'appeler toute la journée ! Pourquoi tu n'a pas répondu ? Qu'est-ce qu'il s'est passé cette nuit ? J'espère que ce fils de pute ne t'a rien fait...

- Où est Lauren ?

Allan fronça les sourcils.

- Lauren...?

- Elle était là avant que je réussisse enfin à m'endormir après la saloperie de nuit blanche que je viens de vivre, cracha Eva en se redressant péniblement.

- Une nuit blanche ? Comment ça ?! Et fais attention ! Tu es toute pâle, tu devrais...

- La ferme ! Siffla Eva en frappant la main qu'il lui tendais. Qu'est-ce que tu fous là, de toute façon ?! Qu'est-ce qui t'autorise à débarquer chez moi et à venir me faire CHIER pendant que je dors ?

- Je... Je m'inquiétais parce que tu ne répondais pas...

- Et si je n'avais simplement PAS ENVIE de te répondre ?!

Avec ce qu'il s'était passé dans la salle d'armes, peu de temps avant la catastrophe, Eva avait toutes ses raisons de penser ça. Et elle qui avait finit par se persuader qu'Allan n'était pas si stupide que ça... Il venait de tout griller en moins de 24h. Au moins paraissait-il en être conscient au silence qui fut sa réponse. C'était déjà ça. Mais il pouvait lui faire tous les regards déchirants qu'il voulait, Eva était hors d'elle.

- J'ai réussit à fuir le type, siffla-t-elle en se relevant, mais la panique générale a déteint sur moi et ça m'a réveillé. Je n'ai pas réussit à me rendormir depuis, jusqu'à il y a environ DIX MINUTES. Mais bon. Maintenant que tu es au courant que je vais bien, tu vas pouvoir te casser d'ici et me foutre la paix, non ?

- Il faut qu'on discute.

Eva lui lança le regard le plus assassin de toute sa vie. Non, Allan. Ce n'était pas le moment. Pas après le fiasco qu'il venait de causer. C'était même le pire moment qu'il aurait pu choisir.

- Non.

- C'est important.

- Non !

- Eva ! S'il te plais ! J...

- Vas te faire voir, cracha-t-elle en lui ouvrant la porte de sa chambre. Tu pourras me dire tout ce que tu veux, je n'en ai rien à foutre. Ça ne rattrapera jamais tout ce que tu as fait.

Le jeune homme haussa imperceptiblement les sourcils.

- Ce n'est pas de ça dont je voulais te parler...

- Arrêtes. Tu ne sais parler que de ça. Franchement, sois honnête : ça te fait tant plaisir que ça de me faire du mal ?

- Je n'ai jamais voulu te faire de mal...

- Et moi, j'ai toujours rêvé de te détester.

Silence. La détresse d'Allan se heurta à la colère d'Eva sans la moindre chance de pouvoir la percer. Il ne parviendrait pas à lui parler. Pas aujourd'hui. Et pas avant très longtemps.

- D'accord... Finit-il par lâcher. Je comprends. Je comprends parfaitement ce que tu ressens. Et je comprends aussi que tu me détestes au point de ne plus vouloir m'adresser la parole. Je sais que je suis complètement con, ne t'en fais pas. On est tous les deux d'accord sur ce point. Je n'ai pas à essayer de me défendre là dessus.

Le visage d'Eva se crispa. Un lointain sentiment de culpabilité lui serra le cœur, brisant presque la coquille de haine qui s'était formée tout autour.

- Tu as raison, lâcha-t-il ensuite. Je ne devrais pas m'obstiner à essayer de te parler. J'ai tout merdé. Tu m'as déjà laissé beaucoup plus de chances que ce que je méritait, alors... Je vais juste partir.

Il leva les yeux vers elle. Il ne l'avait plus regardé comme ça depuis très longtemps. La poitrine de la jeune fille se serra douloureusement.

- ... Je serais toujours là si besoin. Je tiens à toi. Tant pis si tu ne me crois pas, je veux au moins que tu le saches. Désolée de t'avoir dérangé alors que tu reposais. Mais il faut au moins que tu saches que...

La porte d'entrée claqua, suivit d'un éclat de voix féminin, familier. Allan baissa les yeux, sortit de la chambre d'Eva et lui lança un dernier regard.

- Fais bien attention. Je tiens vraiment à toi.

Puis il tourna les talons et disparu au bout du couloir.

Débarqua alors Lauren, regardant le jeune homme passer devant elle d'un air outré, un voisin sur les talons : Mr Nills, médecin à la retraite, sans doute harcelé par la grande gaillarde pour qu'il vienne prendre soin de son amie. Cette dernière, plus pâle encore qu'elle ne l'était avant sa petite sieste, lança un faible sourire au vieil homme.

- Je vais bien, le rassura-t-il. Je n'ai juste pas dormi de la nuit... Ce devait être un petit malaise vagal...

Mr Nills, peu convaincu, s'apprêtait à répliquer une de ses vieilles phrases de médecin lorsque Lauren lui coupa la parole :

- Ce doit être ça... Insista-t-elle, consciente que le vrai malaise de son amie venait tout juste de quitter la maison. Désolée de vous avoir dérangé, Monsieur Nills !

Le temps qu'elle guide le vieil homme jusqu'à la porte d'entrée, son amie ne bougea pas d'un pouce : les bras ballants devant la porte de sa chambre, blême, tremblante, l'esprit en miettes. Lauren revint rapidement et la prit tendrement dans ses bras, rassurante.

- Allez, Ev. Ça va aller. On va passer un peu de temps toutes les deux et parler de tout ça à tête reposée. Je crois qu'il est temps que tu libères un peu ta conscience. D'accord ?

Eva hocha lentement la tête. Machinalement, elle partit se changer et rassembler quelques affaires : des vêtements de rechange, un pyjama propre, des affaires de toilettes, son porte monnaie, son chargeur de téléphone... Une petite lumière blanche clignotait sur le devant de l'appareil, témoignant des nombreux messages reçus depuis la veille. La jeune fille alluma l'écran et sentit son expression se décomposer un peu plus.

Allan.

Elle n'avait pas appuyé sur le bouton supprimer qu'un nouveau message du détestable destinataire fit son apparition.

« Je suis stupide mais je sais que quelque chose s'est mal passé la nuit dernière. Et pas à cause de moi. Je sais ce que ce type voulait te faire, et je sais qu'il n'a pas réussit. Mais je sais aussi qu'il s'est passé quelque chose avec lui la nuit dernière. Je te connais, Eva : tu as besoin d'aide et...même si tu ne veux pas de moi, peut-être que je pourrais t'apprendre des choses utiles... »

*******

- Parler à Lauren ?

- Parler à Allan ?

- Autre chose ?

À vous de choisir...

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