6. Le Capitaine

La première heure que j'ai passée sous le soleil plombant, ligotée au mât, était longue, mais acceptable. J'observais, sans dire un mot, les pirates exécuter leur routine habituelle. Le garçon aux cheveux blonds, que j'avais faussement pris pour le capitaine, dirigeait le gouvernail. J'avais d'ailleurs appris qu'il se prénommait Isaac. Jasper, quant à lui, me jetait de temps en temps des regards méfiants, tout en parlant tranquillement à un pirate, adossé contre la rambarde du pont.
Ensuite, il y avait les autres garçons qui étaient regroupés autour d'un baril et s'amusaient avec quelques dés. En les regardant, j'ai rigolé du fait que, antérieurement, j'avais appelé ces pirates des ennemis. De toute évidence, cet équipage n'avait absolument rien de menaçant. Je me suis aussi demandée ce qu'ils faisaient sur un navire à leur âge, sans parent, mais je me suis rappelée qu'ils pourraient dire la même chose à mon sujet.

Or, c'était après la deuxième heure à bord que c'est devenu complètement insupportable. Jamais dans ma vie je n'étais restée immobile aussi longtemps. C'est pourquoi, lorsqu'un garçon de petite taille, un peu gringalet, a arrêté de jouer aux dés et est passé devant moi, j'ai tenté, de ma voix la plus douce :

— Je peux me joindre à votre jeu ?

Il s'est tourné vers moi et j'ai remarqué que c'était le même gamin que j'avais vu la première fois après mon réveil, qui s'était enfui en me voyant.

Et il a fait exactement la même chose. Encore une fois, ses yeux se sont écarquillés lorsqu'il a posé le regard sur moi et il a déguerpi en poussant un hurlement de terreur.

— Je fais si peur que ça ? ai-je plaisanté.

— Ne t'en fais pas, a dit une voix masculine derrière mon dos.

Un garçon s'est posé devant moi. Le premier détail qui m'a frappé a été sa tignasse rousse. Elle contrastait parfaitement avec ses yeux verts, qui traduisaient une certaine espièglerie.

— Il fait ça tout le temps, a-t-il ajouté.

Il s'est assis à mes côtés et je l'ai dévisagé, stupéfaite.

— Tu ne devrais pas faire comme tout le monde et m'ignorer ? ai-je demandé brusquement.

— Bon, si tu y tiens..., a-t-il répondu en commençant à se relever.

— Attends ! me suis-je repris. J-Je veux dire... Tu peux t'asseoir.

Le garçon a souri légèrement et a repris sa place.

— Je savais que tu voudrais de ma compagnie. Moi, c'est Rupert.

Il avait ce petit rictus et ces yeux rieurs qui m'ont tout de suite suscité confiance.

— Et moi, Abigaël. Mais tu peux m'appeler Abby.

Il a hoché la tête, puis a poursuivi :

— Comme je disais, Harold est un peu peureux. En fait, il est terrifié par absolument tout. L'autre jour, Isaac l'a aperçu s'enfuir parce qu'il avait vu son ombre. C'est un drôle de garçon.

Mon quasi nouvel ami a parlé pendant presque une heure. Le soleil commençait à se coucher, mais je ne l'ai pas interrompu une seule fois. Sa compagnie m'a remonté le moral d'une traite et je ne pensais même plus au fait que cela faisait presque quatre heures que j'étais attachée à un mât.

Rupert me racontait absolument tout ce qu'il savait concernant les membres de l'équipage. D'abord, il y avait Isaac qui, malgré son manque de muscle, était un vrai leader parmi le groupe. C'était toujours lui qui s'occupait du gouvernail. Ensuite venait Jasper, dont la rencontre d'il y a quelques heures me tourmentait encore. Il y avait aussi son acolyte, Elijah, que j'avais remarqué plus tôt et qui avait une allure très mystérieuse. Ses longs cheveux noirs de jais cachaient presque entièrement son visage au teint pâle, mais je suis parvenu à voir ses yeux sombres, qui me donnaient la chair de poule. Ensemble, Jasper et lui formaient un duo qui ne me traduisait pas une grande confiance.

— Attends de voir Titus, le cuisiner, a ajouté mon interlocuteur. Il reste toujours dans la cave, et c'est très bien comme cela. Personne ne l'apprécie vraiment, mais au moins il nous fait des repas qui semblent comestibles.

J'ai ri. Cet équipage, malgré qu'il soit assez étrange, possédait tout de même un certain charme.

— Comment des garçons comme vous êtes devenus pirates ? Et le capitaine, où est-il ? ai-je demandé, des questions qui me trottaient en tête depuis longtemps.

— Ah, le capitaine..., a dit Rupert, ignorant ma première question. Tu as hâte de le rencontrer, n'est-ce pas ? Il ne sort pas souvent de sa cabine, disons que jouer aux dés avec nous, c'est pas trop son truc. En fait, cela fait bientôt deux ans que nous naviguons ensemble et, même moi, qui fourre mon nez partout, ne connaît pas son histoire. Je sais uniquement que ses parents sont morts quand il était petit.

Ce capitaine m'intriguait et j'avais hâte d'en savoir plus sur lui. Pour occuper ce poste, il devait être assez âgé, ce qui veut dire expérimenté. J'adorerais naviguer sur le bateau d'un pirate célèbre, il y aurait toujours pleins d'aventures qui n'attendraient que moi. Et, qui sait, peut-être qu'il avait une renommée encore plus importante que le Capitaine Anger, ce qui me donnerait une certaine satisfaction d'être tombée sur ce navire.

Mais, évidemment, je me trompais.

Le soir venu, quelques pirates se sont dirigés vers l'arrière du bateau, y compris Rupert.

— Vous allez déjà dormir ? lui ai-je demandé.

— Mais non, voyons, a-t-il répondu en riant. C'est l'heure de goûter au repas de Titus.

— Et moi ? Vous allez me laisser mourir de faim ?

Rupert a sautillé sur place, l'air mal à l'aise.

— Je suis désolé, Abby. Ce n'est pas moi qui décide...

J'ai poussé un long soupir. Puis, j'ai regardé Rupert et les autres garçons partir vers la poupe et passer par une porte, qui ne pouvait que donner sur la cabine du capitaine. Je me suis allongée le cou pour voir l'intérieur de la pièce. Les garçons étaient assis à une longue table de bois où étaient disposés des plats remplis de nourriture. J'ai remarqué Rupert qui semblait raconter une blague hilarante, car tous les garçons qui l'écoutaient se sont tordus de rire. J'ai aussi vu Jasper, avec son rictus habituel, qui bavardait avec Elijah.

Et c'est là que je l'ai vu. Le capitaine. Même s'il n'avait pas l'air plus vieux que les autres — il m'a semblé avoir le même âge que Jaden —, ni même plus grand, je savais que ça ne pouvait être que lui, assis sur sa haute chaise au bout de la table, affichant un air de supériorité. Mais sa beauté incontestable m'a tout de suite frappée. Bon, il n'était pas aussi beau que Jaden qui, selon moi, était difficile à battre, mais, tout de même, le capitaine semblait un bon concurrent.

Jaden... Je n'avais pas pensé à lui depuis trop longtemps. C'était la première fois que nous étions séparés pendant une aussi grande durée et cela m'était très pénible. Une soudaine angoisse s'est emparée de moi. Allais-je le revoir un jour ? A-t-il survécu, à bord de la petite embarcation ? Il le fallait. J'étais incapable de concevoir une vie future sans lui. Je revoyais dans ma tête sa manière de se battre à l'épée, sa manière de tenir tête à tous ceux qui se mettait dans son chemin, sa manière de me regarder...

Je me suis ressaisie. Il fallait que je pense à autre chose, pas question de me mettre dans un tel état à cause d'un garçon.

Une odeur de nourriture a soudainement parcouru l'air. Jamais je n'avais eu aussi faim. Sauf peut-être la fois où Jaden et moi avions été privés de nourriture pendant deux jours, à bord du Golden Blood, pour avoir volé un verre de cidre au Capitaine Anger. Une vague de nostalgie m'a emportée de nouveau.

«Pas encore ! Tu es pathétique !», me suis-je dit en chassant ce souvenir aussi vite qu'il était apparu.

J'ai regardé à nouveau le capitaine, qui s'était mis à discuter avec Isaac. Il a pris une bouché de son repas et, en levant les yeux, il m'a aperçu. Brusquement, j'ai détourné le regard. Pas question qu'il pense que je l'espionne ! Puis, quelques instants plus tard, j'ai risqué un nouveau coup d'œil dans sa direction, pour savoir s'il me regardait encore, mais la porte avait été fermée.

Quelle idiote ! J'avais enfin son attention et je n'ai même pas soutenu son regard pour lui faire comprendre que j'étais en train de crever de faim.

Me maudissant d'avoir laissé passer ma seule chance, j'ai poussé un soupir de découragement en m'adossant au mât, le ventre tellement vide que ça me faisait mal. Les minutes qui ont passé, à écouter les rires provenant de la cabine du capitaine, m'ont parue comme des heures. La fatigue m'emportant, je me suis assoupie lentement. Mais cela n'a pas duré longtemps, car un bruit m'a réveillée en sursaut. Devant moi se tenait le même singe qui m'avait mordue les doigts, ce matin.

— Encore toi ! me suis-je écriée, exaspérée. Tu sembles aimer me réveiller...

Puis, j'ai remarqué ce qu'il avait dans les mains. Dans une, un pichet d'eau et, dans l'autre, une grosse pomme rouge. J'ai poussé un cri, incrédule.

— C'est pour moi ? Viens ici !

La dernière fois que je lui avais demandé de s'approcher, ça avait mal tourné.

— C'est le capitaine qui t'envoie ?

Évidemment, l'animal n'a pas semblé comprendre mes paroles, mais il s'est tout de même avancé lentement. À quelque pas de moi, il s'est arrêté, puis a déposé le pichet d'eau et la pomme par terre. Les mains attachées, il m'était impossible de me rendre à la nourriture.

— C'est une blague ?

Je ne savais pas qu'un singe pouvait rire, mais je vous le jure que c'est ce qu'il a fait. Puis, j'ai sorti mes plus gros yeux en colère et il a arrêté. Une légère satisfaction m'a envahie.

— Tu vas prendre le pichet et me donner de l'eau, ai-je ordonné lentement de ma voix la plus sévère.

S'il avait été capable d'obéir aux ordres du capitaine pour m'envoyer de la nourriture, il était probablement capable d'obéir aux miennes. Et, au début, c'était ce qu'il a fait. Il a pris le pichet et l'a approché de mon visage.

— Oui, c'est ça. Continue.

Le contenant n'était plus qu'à quelques centimètres de moi.

— Maintenant, tu vas doucement verser l'eau dans ma bouche.

Son bras poilu dans les airs, il a soudainement fait basculé le pichet, mais en y versant tout son contenu d'un coup, m'aspergeant tout le visage d'une chute d'eau.

Le singe s'est courbé de rire devant moi, tandis que je pestais tous les jurons possibles, des cheveux trempés dans le visage.

— Quand je vais être libérée, la première chose que je ferai sera de te lancer aux requins !

J'avais seulement réussi à boire une petite gorgée de la cascade d'eau. J'ai regardé la pomme dans la main de l'animal et je me suis dit qu'il n'y avait aucune chance qu'il me donne au moins cela. D'ailleurs, je ne voyais pas comment j'aurais fait pour la manger sans mes mains.

De quelle façon le capitaine pensait que j'allais mangé la pomme ? C'était certain, il avait prévu le coup.

J'ai observé d'un regard haineux le singe qui utilisait maintenant le fruit comme balle, lorsque la porte de la cabine s'est ouverte brusquement. Les garçons ont commencé à sortir en riant. Rupert m'a aperçue et s'est dirigé vers moi, les sourcils froncés.

— Pourquoi es-tu trempée ?

Avant que j'aie répondu, Jasper m'a vu lui aussi et a lancé :

— Il a plu pendant qu'on mangeait ou quoi ?

Elijah, à ses côtés, a pouffé de rire.

— Très drôle, ai-je marmonné.

Une petite foule de garçons curieux commençait à se former devant moi.

— C'est Chuck qui t'as fait ça ? a demandé Rupert en retenant son rire.

Ce satané animal avait un nom.

— C'est ça moque-toi de moi, toi aussi.

— Je ne me moque pas de toi, c'est juste que c'est drôle qu'un animal aussi inoffensif t'ait fait cela.

Il a regardé le singe, qui avait soudainement arrêté de jouer avec la pomme et se tenait assis bien droit, faisant des yeux doux.

— Crois-moi, ai-je râlé, cet animal n'a rien d'inoffensif.

Harold, le petit trouillard, qui observait la scène, a déclaré :

— Je suis d'accord avec elle. Moi, ce singe, il me fait très peur.

Tout l'équipage a poussé un soupir rythmé et Jasper a demandé :

— Est-ce qu'il y a bien une chose qui ne te fait pas peur ?

Harold est resté muet, mais a semblé réfléchir longuement à la question.

Tout à coup, une nouvelle personne s'est avancée en se frayant un chemin à travers les pirates.

— C'est quoi ce rassemblement ?

Le capitaine se tenait devant moi, impatient d'avoir une réponse. Certes, il était encore plus beau de près, mais pas davantage menaçant. En fait, il n'était rien comparé au Capitaine Anger. Et c'est peut-être cela qui m'a poussée à dire, de ma voix la plus rude possible :

— On parlait de cet animal de malheur qui a gaspillé mon seul repas.

Le capitaine a regardé le singe, puis, me laissant complètement ahurie, lui a tapé dans la main, comme pour le féliciter.

— Bien joué, Chuck, a-t-il lancé, un grand sourire hautain aux lèvres.

Chuck a monté sur l'épaule de son maître, visiblement très fier de lui. Il a même tiré la langue en me fixant de son regard perçant. L'avais-je déjà dit que je détestais cet animal ? Or, maintenant, il y avait aussi le capitaine que j'haïssais éperdument.

J'ai poussé un long soupir avant de dire :

— Qu'est-ce que vous comptez faire de moi ? Me laisser ici, sans nourriture, jusqu'à ce que je meure ?

— Tu me donnes de très bonnes idées, a déclaré le capitaine avec un rictus arrogant.

Cette fois, c'en était assez. Je perdais patience.

— Je ne crois pas une seconde que des garçons comme vous puissent commettre un meurtre.

— Elle a raison, a dit Harold en tremblant. Nous n'allons pas la tuer, n'est-ce pas ? Moi, j'ai peur du sang.

— Tais-toi, Harold ! a hurlé le capitaine, puis il s'est retourné vers moi. Et toi... Quel est ton nom déjà ? Je ne m'en souviens plus.

—C'est parce que je ne vous l'ai pas dit, ai-je affirmé en ignorant sa question.

— Et bien, dis-moi le maintenant.

— Seulement si tu me dis le tiens.

— Tu m'appelles Capitaine et c'est tout.

Nos répliques se lançaient à une vitesse impressionnante, tellement que les garçons qui observaient semblaient avoir de la difficulté à suivre, les yeux passant vivement du Capitaine à moi.

— Toi, Rupert, a repris le Capitaine en se tournant vers le garçon aux cheveux roux. C'est ton amie, n'est-ce pas ? Dis-moi son nom.

— Abigaël, mais elle préfère seulement Abby, Cap'tn.

— Merci.

La vitesse à laquelle Rupert a répondu m'a surprise. Le Capitaine avait vraiment une telle autorité parmi ses jeunes garçons ?

— Donc, Abigaël..., a poursuivi le Capitaine.

— C'est Abby, l'ai-je corrigé.

Je détestais quand quelqu'un m'appelait par mon nom complet, ça me rappelait Tante Agathe et je ne retenais qu'un mauvais souvenir d'elle.

— Très bien, Abigaël, a dit le Capitaine en insistant bien sur mon nom, ce qui m'a fait pousser un soupir. Tu crois que, moi, je n'ai pas le courage de te tuer ?

— J'en suis sûre.

— Tu veux que je te prouve le contraire ?

D'un geste expert, il a sorti l'épée qu'il portait à sa ceinture. Les garçons, qui regardaient la scène sans bouger, ont gardé leur souffle.

— Seulement si j'ai le droit de me défendre avec mon poignard, ai-je déclaré.

— Parfait. Si tu crois être de taille avec ta simple dague...

— Si je perds, ce qui n'arrivera certainement pas, tu peux me tuer, si tu t'en crois capable. Par contre, si je gagne le duel, tu auras la chance que je te laisse la vie sauve, mais tu me détacheras du mât et j'aurais le droit à tous les repas, comme les autres. C'est d'accord ?

Devant toutes ces restrictions, le Capitaine n'a pas réussi à me cacher la vague d'hésitation qui est passée quelques secondes dans son regard. Il n'avait pas le droit de refuser cette offre, devant tout l'équipage qui n'attendait qu'un duel.

— Marché conclu, a déclaré le Capitaine avec assurance.

Et, sincèrement, je ne savais pas si ce que je venais de faire était un acte courageux ou tout simplement très stupide...







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Chapitre 6!!!!!!
Il est trèèès long donc ça a pris beaucoup de temps à écrire, sorry pour l'attente. Le prochain va être plus rapide !
Ne vous gênez pas à commenter et donner votre avis ❤️❤️❤️

Bisouuuuu
xxx

– cristal_sky

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