Seule

            Elle marchait, marchait, difficilement, dans la douleur. Sa jambe n'était plus qu'une bouillie de souffrance qui pulsait lentement. Du sang gouttait, petites billes écarlates, et s'écrasait avec un son inaudible sur les feuilles marrons, amollies par la pluie. De la main qui ne tenait pas une lourde hache, elle écartait les branches basses. Ses habits étaient déchirés à de multiples endroits. Son visage était tendu, comme verrouillé par sa bouche, et ses yeux... avaient dû être bleus. A présent, ils n'étaient plus qu'une sorte de bouclier d'argent terne, qui ne cessaient de virevolter.

             Elle devait trouver un abri. La nuit était tombée depuis longtemps déjà. La brume s'accrochait aux arbres, piliers d'un temple oublié, s'effilochait pour former des nuages vaporeux, comme une sorte d'écume sortie de terre, ou les doigts d'une main fantomatique. Le vent soufflait, glacé, comme un cocon de froid, se resserrant continuellement autour de son corps épuisé. Elle était une épave qui n'attendait plus qu'on la saborde. Elle hurlait intérieurement à sa jambe blessée d'arrêter de se trainer. La douleur aiguisait sa colère.

             ''Je veux pas crever ici !'', hurlè-je aux dieux.
Seul le silence, presque moqueur, me répond. Je halète, frissonne. Mon corps est un bloc de chair meurtrie. Je ne sens plus le sang couler hors de ma jambe, et la douleur s'est muée en une mélodie grinçante à l'arrière de mon esprit. Je sens en moi se répandre comme un poison insidieux la terreur, la panique. Vivre ! Est-ce trop demander ? Je serre fort ma hache dans ma main droite crispée par le froid. Un instrument de mort, mon salut tranchant et pesant. Ma défense.

             J'ai perdu le compte des heures depuis que j'ai pénétré cette forêt maudite. Je ne fais plus que clopiner et mon existence me semble réduite à cela. Avancer. Encore. Sortir de cette armée de troncs. J'ai l'impression que mes pensées ont fini par claudiquer elles aussi. Je ne suis plus un humain, mais un instinct. Jambe gauche en avant, tirer jambe droite. Jambe gauche en avant, tirer jambe droite. Finalement, que suis-je d'autre ? Deux membres désaccordés au milieu du néant. C'est tout.

            Une énième branche me fouette le visage, comme si la forêt elle-même avait décidé de me bloquer le chemin avec ses griffes voraces. Ses longs bras squelettiques s'étendent vers moi pour m'agripper. Je me débats, agite ma hache, tranche une ou deux branches, de la sève jaillit. La forêt semble soudain se retirer, comme effrayée par un monstre encore plus terrifiant qu'elle.

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