Douleur

             ''Je m'appelle Héloïse, et toi ?'
-Pas de nom, croassè-je difficilement. Inutile. Comme un ballon à l'hélium, je l'ai lâché. Dérive dans le ciel maintenant.
-D'accord. Tu veux sans doute savoir où je t'emmène. A l'Abri. C'est un endroit très bien, avec beaucoup d'autres gens. C'est notre maison, ça peut être la tienne. Il y fait chaud, c'est confortable. Il y a de la nourriture, de l'eau.''
Elle ne ment pas. Elle a l'air en bonne santé. Joues rondes, cheveux coiffés, odeur agréable.
''Tuuues la...'', me chuchote la Voix de sa voix sifflante, lointaine.
Je me pose la question. La Voix m'a toujours donné de bons conseils pour ma survie. Elle apparaît quand j'ai un choix crucial à faire.
''Après, il sssera trop taaard...''
Mais Héloïse semble être honnête, et surtout ne pas présenter un danger.
'' Ça te dit d'y aller ?, insiste-t-elle.
-On y va de toute façon.
-Je peux te déposer, si tu veux.''
Je réfléchis un instant. Mon estomac est douloureux. Ma gorge est sèche. Je suis encore épuisée par ma marche. Ma jambe est en mauvais état.
''On arrive quand ?
-Dans trois jours.''
Je hoche la tête, puis la dépose sur ma main. La forêt défile, interminable, comme si elle tournait en rond. Je ferme les yeux. Le temps défile, ralentit, s'affaisse.

             Tu seras dans un non lieu sans lumière, abysse. Tu fermeras les yeux. Tu seras dans un hémisphère. Une lueur verdâtre émanera des murs. Le sol sera mou, un peu collant, violacé. Tu feras un pas. Tu t'enfonceras un peu. Tu te pencheras alors. Tu pousseras un cri d'effroi. Tu verras des visages, déformés par la peur, la haine, la douleur, tout à la fois. Ils te regarderont fixement. Tu reculeras, mais tu ne pourras pas t'échapper. Les murs se rapprocheront. Un long hurlement d'agonie se répandra en toi. Tu t'enfonceras lentement dans le sol. Tu ne pourras plus bouger, tu auras oublié comment faire. Les visages décharnés, écorchés se rapprocheront. Tu entendras une voix gargouiller ''rejoins-nous'', elle viendra de ton cœur, sanglant. Tu seras immergée dans ce magma de chair jusqu'au cou, tu voudras vomir, tu voudras mourir, tu voudras – tu crieras enfin.

             Elle se redressa d'un coup, trempée de sueur. Héloïse lui jeta un coup d'œil.
''On va s'arrêter quelques minutes.''
Le car ralentit, les battements de son cœur aussi. Elle ouvrit la porte et descendit en titubant. L'air était agréablement chaud, le bois sentait bon les pins. Quelques oiseaux gazouillaient au loin. Tout avait l'ait serein. Héloïse s'étira et bailla.
''Pfiou ! Pas mécontente de faire une pause !''
Elle ouvrit un compartiment latéral du bus et en sortit de la nourriture basique : du riz déjà cuit, deux pommes. Son regard s'attarda sur la jambe de sa passagère.
''Mais... Tu es blessée !''
Elle se précipita pour l'inspecter.
''Il faut désinfecter ça.''
Elle posa sa main sur son front.
''Il est un peu chaud... Tu as des vertiges ? Des délires ?''
Elle n'attendit pas la réponse et ouvrit un autre compartiment, pour en sortir du matériel de premier secours.
''Assieds-toi sur le marchepied.''
Héloïse avait l'air franchement inquiète, sa passagère plutôt mal à l'aise. Elle découpa son pantalon autour de la plaie.
''Tu en auras d'autres à l'Abri, ne t'inquiète pas.''
Elle imbiba de la gaze d'alcool.
'' Ça va piquer un... piquer.''
Elle l'appliqua contre sa jambe. Elle se retint d'hurler de douleur. Héloïse observa ensuite la blessure.
''Elle est assez profonde... Comment tu t'es fait ça ?
-Un chien. L'est plus là maintenant.
-Bon, je vais recoudre rapidement.''

             Une fois l'opération terminée, elle reprit la boite de riz et la partagea dans deux bols. Elle lui donna ensuite une bouteille d'eau. Sa passagère s'empressa de boire et de dévorer son repas, puis elle l'observa. Ses cheveux blonds lui arrivaient aux épaules, ses yeux bruns en amande étaient concentrés. Elle portait des vêtements légers blancs avec un gilet crème. Ses gestes étaient précis, maniérés. Clairement, elle vivait plutôt confortablement. Une fois son repas fini, elles remontèrent dans le car, et le trajet reprit. A la nuit tombée, Héloïse s'arrêta.
''Allons dormir, demain sera assez fatiguant.''

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