Tu ouvriras les yeux. Rien. Tu mettras tes mains devant tes yeux. Rien. Tu les poseras sur ton visage. Fraiches. Tu te rendras soudain compte que tu ne sens rien sous tes pieds. Tu te pencheras. Il n'y aura rien sous ta paume. Un étau enserrera ta poitrine. Rien. Seule. Vide. Néant. Asphyxie. Tu t'agiteras dans tous les sens. Toucher quelque chose, voir quelque chose ! Le néant t'écrasera, s'immiscera en toi, froid, gluant. Tu crieras, aucun son. Vide, aveugle. Tu inspireras. Expireras. Inspireras, expireras. Inspireras expireras. Inspireras expireras. Inspireras inspireras inspireras inspireras inspireras inspireras. Panique. Vide, partout, en toi. Vide vide vide jamais plus de lumière. Tu supplies, pleures. Lumière ! Lumière ! Lumière !

              J'ouvre les yeux. Les rayons lumineux explosent en moi. J'expire. Tout va bi
''Maintenant !, m'ordonne la Voix. Tuuue la !''
Je me lève malgré moi. Je tente de lutter. Ma main se referme sur la hache, mécaniquement. Je ne parviens pas à la lâcher. Je me dirige à pas lents vers Héloïse. Mes jambes ne plient pas, je marche comme une statue. Je hurle intérieurement. Je veux être libre ! Si mal à la tête... Coups répétés sur mon crâne. Ça résonne indéfiniment... Respiration hachée. Un pas. Un voile rouge recouvre le monde. Perdue. Dedans ou dehors de moi ? Un pas. Je ne dois pas ! Veux un futur ! Un pas. Ma main se lève. S'abat lourdement. Tranche mon esprit. Clair,

             elle y vit clair ! Elle lâcha la hache. Héloïse l'observait, semblait comprendre une chose qui échappait à sa passagère. Son regard, son regard la troublait. Il lui rappelait quelque chose. Sous sa mémoire. Indéfinissable. Ça l'attirait comme une lumière dans la nuit. Ça la prit dans ses bras. L'enveloppa. C'était lumineux. Doux. Chaud. Ça soufflait sur les braises en elle. Son cœur pleurait. Elle le regarda sans comprendre. Il lui dit qu'il ne veut plus faire partie d'elle. Elle tenta de l'attraper, mais il disparut. Héloïse

             te serrera dans ses bras. Elle entendra ton cœur battre vite, comme s'il courrait loin d'elle. Tu la regarderas, croiras la regarder. Elle te sourira, gênée.
''Tu allais tomber, je t'ai rattrapée...''
Elle ta lâchera et vérifiera que tu t'assois.
''Je m'inquiète pour toi.''
La route ne défilera plus que devant tes yeux, et la nuit tombera sur vous. Tes souvenirs

             défilent dans un ordre insensé. Je les contemple, étrangère. Faux. Je ne suis plus qui j'étais. Je plane au-dessus des fragments de ma vie, comme l'ombre du soleil. Je choisis un souvenir, le déracine de mon esprit, le déchire. J'en prends un autre, le réduis en miettes. Un autre, pluie de fragments irisés. Un autre. Un autre. Un autre. Je suis assise sur un tas de morceaux de souvenirs. J'en prends une poignée, les jette en l'air. C'est si amusant ! Ils retombent lourdement, dans un fracas délectable. Une ombre immense

             te recouvrira. Tu lèveras la tête. Une bouche, un rictus, une parodie de sourire. Elle s'ouvrira et se fermera. Les mots mettront du temps à te parvenir. D'abord faibles, presque inaudibles
''Tuuu es à moiii...''
puis de plus en plus fort. Ouragan. Séisme. Raz-de-marée sonore, presque solide, te submergera, emportera ta conscience au loin, te noiera, pénètrera en toi jusqu'à ce que tu t'effondres sur toi, explose et

             ''Tu vas bien ? Tu viens de crier...
-Elle va bien, répond une voix qui fut la sienne.
-On arrive ce midi'', répond-elle d'un ton rassurant.
Elle se leva. Tituba. Nausée, douleur, pression en elle, partout. Barrage en train de céder. Je ferme les yeux. Tente de maîtriser les battements contradictoires de mon cœur. Je crois que je m'endors. Tu ouvriras les yeux. Les étoiles te fixeront. S'éteindront. Le ciel et la terre se confondront. Tu auras le regard rivé sur le miroir noir qui t'entourera. Tu ne comprendras pas pourquoi tu ne reconnais pas, pourquoi tu devrais te reconnaître. Tu avanceras la main. Ton reflet fera de même. Tu toucheras quelque chose de froid. Est-ce mon bras ? Froid comme la mort. Suis-je morte ? Ma chaleur lutte contre le froid du bras que je tiens. De son bras. Mais je suis en vie. J'ai le corps chaud. J'avance d'un pas Elle recule elle continue d'avancer, et son reflet recula. Elle ne lâcha pas ton bras. Son reflet ferma les yeux, pas elle. Elle tourna autour de son image et recula. L'autre avança. Qui est qui ? Qui était-elle ? Qui seras-tu ? Qui suis-je ? Je tire mon reflet vers moi. Tu avanceras vers lui. Elles fusionnèrent. Aura retentit le rire de laVoix. Le reflet aura ouvert les yeux, et l'autre les aura fermés. Sera guidée.Le bras se sera abaissé. Je deviens tu.Tu deviendras elle. Elle devint je. Je. Tu. Elle. Ouvre les yeux. Je tu-elle-oïse. Je tue Héloïse. Ferme les yeux.