ACTE I - Les lois du chaos
Chapitre 1 : Une vérité qui fait mal
- Putain, mais dans quelle merde tu t'es mise ? Elle n'avait pas changé Mathilde. Quand elle découvrait un dossier, elle jurait comme un charretier, fumait comme un pompier, et bossait déjà comme une forcenée. En pyjama dans son salon, accroupie devant sa table basse, la professionnelle jeta le communiqué comme s'il était recouvert d'une substance corrosive.
- Désolé., s'excusa-t-il en baissant la tête. Des mèches noires de ses cheveux lui chatouillèrent le nez, et il se retint d'éternuer pour ne pas réveiller son fils qui dormait dans ses bras. Avec honte, il sentit les premières larmes rouler sur ses joues. Il renifla, mais son amie se rapprocha de lui pour lui tendre un mouchoir. En tissu, comme un indice de sa classe sociale.
- "Désolé.", répéta-t-elle en l'imitant, mais ce comportement eut le mérite de le faire sourire. Sèche-moi tout ça, et laisse-moi prendre ton fils., lui ordonna-t-elle en tendant les mains.
À sa plus grande surprise, il l'écouta. Il passa l'être le plus précieux au monde à son amie. L'enfant passait une nuit paisible. Malgré la soirée chaotique, malgré les heures de route interminables, malgré l'état de son père.
Mathilde reprit le papier, et le relut avec une attention particulière. L'avocate pénaliste était de retour. Il aima la vision qui s'offrait à lui, et qu'il n'avait qu'à la télévision jusqu'à présent. Elle était un officier de justice au sang-froid, d'une intelligence remarquable et d'un sens du détail minutieux.
Cette rigueur se prouvait dans les mots qu'elle soulignait avec son surligneur préféré, le violet. Ex-épouse, communiqué mensonger et diffamant, violences notamment sexuelles... L'avocate soupira. Le garçon devait peser une tonne sur son bras droit. Oui, elle était gauchère. L'homme adorait cette particularité.
Accusations, interpellation, disparition inquiétante, contrôle judiciaire : les mots ne cessaient de monter en puissance. L'homme frissonna. Il but alors une longue gorgée de thé vert au matcha, qui le réchauffa.
Mathilde l'avait accueilli en grandes pompes. En dépit du jour et de l'heure tardive. Un dimanche soir vers 2 heures du matin. Il avait retrouvé son adresse dans la boîte à gants de sa Mercedes, car son instinct lui avait soufflé de la déposer ici en cas d'urgence.
Paris-Lille en une traite. En réalité, un petit village en périphérie. Une maison dans une banlieue pavillonnaire, un jardin et... deux chats noirs, qui se reposaient sur le canapé gris. L'un d'entre eux vint justement se blottir sur ses genoux, et ronronner. Ce geste lui fit du bien, et calma son anxiété... Angoisse qui rebondit lorsqu'il vit toujours Mathilde découvrir les faits.
Procédure de divorce, chantage financier, garde de l'enfant, Police, intentions malveillantes, jugement... Mathilde plia la feuille en deux, d'un geste sec et bruyant.
- Alors, t'en penses quoi ?, osa-t-il lui demander d'une voix si inaudible qu'il dût se râcler la gorge. Il avait profondément honte.
- Je la prends ton affaire., affirma-t-elle en le fixant droit dans les yeux. Elle était déterminée Mathilde. Passionnée, engagée : c'était sûrement pour ces raisons qu'elle gagnait souvent ses procès.
- Ça va te changer un peu de..., il déglutit. Il n'osait pas employer les mots qui fâchaient.
- Des victimes de viol et d'inceste ? Des pédocriminels et des assassins ? Oui., assura-t-elle en posant son regard sur le dossier épais qui lui faisait face. L'homme sentait qu'elle trépignait d'impatience de l'ouvrir. Elle était... Malade, schizophrène, psychopathe ? Même si pour être honnête avec toi, j'aurais préféré te revoir dans d'autres circonstances. Rencontrer ton fils dans une situation plus "normale" pour un garçon de 3 ans. En silence, l'homme lui tendit la boîte de classement. 3 ans de procédures. De malheurs, de chantage, de menaces. Elle le savait. Était-ce pour ça qu'elle sembla hésiter un instant ? Jusqu'à ce que l'italienne au caractère polonais explose. Bordel, mais où est-ce que tu avais la tête ?, serra-t-elle les dents pour ne pas réveiller le petit. Regarde-toi dans quel état tu es..., commença-t-elle avec compassion, jusqu'à ce que son naturel revienne au galop : T'es pathétique. Qu'est-ce qui t'a pris d'épouser une nana... Et de lui faire un gosse ?
Elle avait les larmes aux yeux. La rage, sûrement. La peine, probablement. Mathilde se laissait toujours déborder par ses émotions quand elle était chez elle. En sécurité dans sa maison, en sûreté dans son foyer.
- Je suis profondément...
- Arrête de t'excuser., lui coupa-t-elle la parole. D'énervement (ou d'agacement), elle essaya de se ronger les ongles... Jusqu'à ce qu'elle se souvienne qu'elle avait payé la manucure la veille. Un beau vert. Comme l'espoir, ou comme le sapin de Noël que les français ne tarderaient pas à installer dans leur salon. Mais qu'est-ce qui t'a pris ?, lui posa-t-elle la question pendant qu'elle faisait ce qu'elle préférait dans son métier : ouvrir les paquets.
Il ne répondit rien.
Le silence se réinstalla dans le salon. Mathilde sortit toutes les pochettes, les unes après les autres d'une telle minutie que l'homme eut l'impression qu'elle pratiquait une autopsie. Enlever les couches de peau pour découvrir l'hématome naissant.
- Je peux te prendre le petit si tu veux. La chambre est prête., avoua le mari de Mathilde en dévalant si précipitamment les escaliers que son épouse crut qu'il allait se prendre les pieds dans sa robe de chambre.
C'était un bel homme, Noah. Grand, musclé, bronzé... Et il devait être intelligent, gentil et respectueux, parce que Mathilde lui avait dit oui. Le couple se toisa, et la tante par alliance glissa délicatement le garçon dans les bras de l'homme qu'elle aimait, qui possédait un regard paternel et protecteur. Ses gestes berçants étaient naturels, il fredonna une comptine et tourna enfin les talons.
Cette vision d'amour fit un bien fou à l'homme qui leur faisait face. Alors que lui était dégoûtant, avec ses cheveux sales, mal coiffés et qui sentaient le chien mouillé. En plus, son perfecto en cuir semblait aussi lourd que son chagrin, et il puait des pieds.
- J'étais fou amoureux Mathilde., en sentant sa voix trembler... Jusqu'à ce qu'il lève les yeux vers elle, car il savait qu'elle adorait lorsqu'il prononçait son prénom. Elle resta impassible et imperturbable, son attention concentrée sur les faits. Elle est devenue mon épouse dans une robe de princesse... Et pendant la nuit de noces, on parlait déjà bébé... Tout s'est enchaîné, j'avais l'impression de vivre dans un rêve., se confia-t-il à son amie insensible, dont l'un des sourcils était déjà relevé.
Elle ne pouvait pas comprendre. Parce qu'elle s'était mariée en tailleur pantalon, et qu'elle n'avait jamais voulu d'enfant.
- J'espère que t'es venu ici pour entendre une vérité qui fait mal., confessa-t-elle en rapprochant son dos vers le poêle à bois. Elle était gelée, elle était frileuse. Mathilde ne mâchait jamais ses mots. Elle pouvait représenter à elle seule le titre de son écrivain favori : Marche ou crève, de Stephen King. Elle attendit le consentement de son ami, dont les épaules se recourbèrent. T'as vu sa gueule ? Superficielle, matérialiste... Tu t'attendais à quoi ? Qu'elle travaille, qu'elle soit indépendante, qu'elle élève ton fils ? Elle n'avait pas tort Mathilde, car aucune femme ne pouvait se prétendre plus naturelle : elle oubliait souvent de s'épiler les sourcils, ne se maquillait jamais, ne portait pas de la haute couture, ne possédait pas de sacs de luxe et son placard à chaussures n'était rempli que de baskets. Quelle idée d'aimer une femme à l'humeur vengeresse, et qu'on soumet pas., conclut-elle en étant parcourue d'une vague de frissons. Ils s'engageaient dans une affaire d'un droit sensible : celui de la famille. Dis-moi que t'as fait un contrat de mariage et une reconnaissance de paternité.
Ils restèrent un instant silencieux.
- Je pourrais te retourner la question : comment tu as su que ton mari était l'homme de ta vie ?, tenta-t-il de renverser la situation, alors qu'il savait très bien qu'il allait perdre sur ce terrain-là.
- D'abord parce qu'il travaille dans la justice. Ça nous fait un premier point en commun., rétorqua-t-elle en tournant les feuilles comme si elles étaient tachées de sperme. Une substance gluante, collante et inodorante qui la dégoûtait.... Contrairement au sang qui ne l'aurait pas dérangé, car elle y était habituée.
Les effusions, la scène de crime, la reconstitution : ces éléments ne la choquaient même plus, parce que c'était ça son quotidien : la défense, les parties civiles, les procès... Elle était devenue une avocate redoutée, car elle était féroce, brillante, et gagnante du concours d'éloquence.
- Ça m'étonne pas... Il est quoi ? Juge ? Procureur ?, chercha-t-il les métiers avec précipitation. Mathilde ne lui accorda aucune attention... Et paradoxalement, cette ignorance excita l'homme. Non, me dis pas qu'il est greffier...
- Il est médecin légiste. Les paroles de Mathilde tombaient souvent comme un cheveux sur la soupe.
L'homme eut un haut-le-cœur. Cadavre, décomposition, putréfaction, odeur, insectes, meurtre, suicide, noyade, corps gonflé : les images racontées dans les livres du Docteur Philippe Boxho prirent soudainement vie sous ses yeux.
- Et les autres points en commun ?, l'interrogea-t-il en retenant un long bâillement face aux signes corporels de Mathilde.
- Elle est drôle, généreuse, authentique, spontanée. Elle exerce un métier passion, elle a une sacrée réputation, mais ne pose pas un pied en dehors de la propriété quand elle est en congés., lui expliqua Noah en ouvrant doucement la porte coulissante qui séparait les pièces de vie de la partie chambres. Il s'assit en tailleur à côté de son épouse, et frôla intentionnellement sa bague de fiançailles en émeraude et son alliance en or blanc. Mathilde et Noah étaient très complices, mais ne regrettaient qu'une chose : de ne pas pouvoir se réserver assez de temps. La faute à leurs horaires non-conventionnels qui les faisaient se lever très tôt le matin, ou les faisaient se coucher très tard le soir. En tant qu'homme avec une conscience professionnelle, il ne put s'empêcher de chercher le rapport médico-légal dans le tas de documents. Ils lurent en silence, jusqu'à ce qu'ils commencent à trouver des incohérences. La plainte de ton ex-femme concerne un viol, mais je ne constate aucun examen médical... Noah était aussi perspicace que son épouse.
- Elle ne s'est présentée à aucune convocation, même pour le divorce., révéla l'homme en palpant machinalement son annuaire de la main gauche. Excusez-moi de vous avoir réveillé à une heure aussi...
- Mon réveil est programmé dans deux heures. Je dois pratiquer une autopsie tôt demain matin, avant de me présenter en début d'après-midi à une audience.., Noah se permit d'interrompre l'homme, parce qu'il anticipa la réaction houleuse de sa bien-aimée.
- On devrait tout recommencer du début., trancha Mathilde en remettant en ordre ses idées sur un petit bloc-note souvent offert dans les hôtels. Elle écrivait également avec un stylo acheté dans un célèbre parc animalier. On se croirait dans une fanfiction Wattpad mal écrite., déclara-t-elle en rassemblant ses cheveux, tout ça pour que les mèches finissent dans un chignon décoiffé, ou dans les branches de ses lunettes. Car je sais pas ce qui a été le plus choquant lorsque j'ai ouvert la porte : voir que tu étais vivant, que tu étais marié ou que tu étais père., compta-t-elle sur ses doigts avant de porter un regard que l'homme n'attendait pas : celui du désolément.
- Pardonne-moi de pas t'avoir prévenue., Il regretta immédiatement ses paroles, parce qu'il savait que le comportement de Mathilde allait être terrible.
Pas manqué : elle bondit sur ses pieds comme si elle était une championne olympique de sa discipline et... Tomba à genoux près de l'homme, dont elle saisit les mains froides et rugueuses. Elles ne ressemblaient en rien à celles sensuelles et réconfortantes qui avaient caressé son corps des années auparavant.
- Si tu t'excuses encore une fois !, le menaça-t-elle de son poing... Avant d'entourer le visage de l'homme dont elle avait tant d'affection depuis leur rencontre. Pourtant, j'ai pas manqué les occasions de te donner de mes nouvelles., chuchota-t-elle en rapprochant son front du sien.
L'homme fut secoué par une vague de sanglots. Il ne parvenait pas à dissimuler son émotion. Pas ce soir. Il était vulnérable à souhait, mais il accordait paradoxalement une confiance aveugle à la femme qu'il avait aimé.
- J'ai tout gardé Mathilde. Ta lettre qui me prévenait de la réussite de ton concours, la photo où tu as enfilé ta première robe d'avocate, l'invitation à votre crémaillère, votre annonce de fiançailles, le faire-part de votre mariage... Tout est conservé soigneusement en secret sous mon siège conducteur.
Mathilde laissa tomber son dos contre la hauteur d'assise du canapé. Son dos craqua, et elle leva les yeux en signe d'agacement. Elle s'était rendue chez l'ostéopathe 15 jours avant cette nuit qui semblait interminable.
Noah et l'homme détestaient quand elle restait silencieuse, car il savait que cette introspection ne présageait rien de bon. Elle rassemblait ses idées avant de faire sa plaidoirie.
- Dans ton communiqué, tu as parlé de l'école de ton fils... Dont je connais d'ailleurs pas le prénom., annonça-t-elle avec un sourire malicieux du coin des lèvres.
- Jack., Il préféra ne pas faire durer le suspens : ce n'était ni l'occasion, ni l'endroit, ni l'heure.
- Comme Jack London, ton auteur préféré... Quelle coïncidence., Le bonheur ne quittait pas son visage.
- Je pensais plutôt à Jack Sparrow. Ou Jack Nicholson., alimenta Noah en s'étirant, pour que ses longs bras atteignent l'une des bibliothèques de la maison. Le Vagabond des étoiles... Je te voyais plus lire Le Horla ou Risibles amours., l'embêta-t-il avec sa culture aussi immense que les piles à lire présentes dans l'entrée, le salon et la salle à manger.
- Très drôle., finit-il par admettre ironiquement. Pour te répondre Mathilde, ce sont les vacances. Congés que tu dois pas beaucoup prendre au vu de tes petits yeux endormis, tes cernes de pandas et tes rides.
- Tiens, tiens... L'Eden que j'ai toujours connu est de retour. Il t'en aura fallu du temps pour te sortir la tête de l'eau., railla-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine. Elle n'avait pas peur de l'affrontement Mathilde.
C'était en vacances que l'homme l'avait connu, parce qu'il s'était perdu un jour dans le quartier étudiant. En vérité, pas vraiment... Sa présence n'avait rien d'hasardeuse : il aimait se promener dans la ville Lumière, surtout pour admirer les monuments. La faculté de droit profitait justement de cette journée des portes ouvertes pour mettre en valeur ce qu'elle avait de mieux : ses étudiants orateurs.
À cette époque, Mathilde préparait le concours pour le Barreau. Elle ressemblait à une italienne à force de parler avec les mains. L'homme avait été charmé par cette prestance et cette fierté. Jamais il n'avait rencontré une femme comme Mathilde. Charismatique, digne, naturelle.
Ce soir, il devait redevenir l'homme qu'il avait été pour elle : attentif, charmeur, et terriblement agaçant... Qui la châtait, qui la choyait, qui lui résistait.
- En parlant d'eau, tu peux aller prendre ta douche. La salle de bain se trouve en face de mon bureau, qui est devenu la chambre de ton fils. Je t'ai préparé une serviette propre, et une tenue plus sèche que celle que tu portes. Tu peux tout mettre dans le panier à linge, je vais faire une lessive., lui dévoila Noah en se levant pour préparer des cafés corsés. Mathilde, Eden et lui en auraient bien besoin jusqu'au petit matin.
Eden acquiesça, et ses genoux craquèrent si bruyamment qu'il fut dévisagé par le couple. Il s'excusa silencieusement, et monta les marches avec l'impression désagréable de peser une tonne. Devant la pièce de Noah, il hésita un instant à aller embrasser son fils, jusqu'à ce qu'il se souvienne que le sommeil d'un enfant était précieux.
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