Le contre-exemple
L'absence de réflexion et d'anticipation qui caractérise tant l'époque où ils ont vécu devra leur rester comme une marque infamante, au même titre que l'obscurantisme médiéval ou que les dictatures européennes ont indiqué un état de peuple docile et aliéné. L'ère qui nous a précédés et qui a instauré la consommation de masse et l'automatisme des valeurs devrait, dans l'avenir des historiens, servir de contre-exemple à la façon dont une société est capable d'établir une pensée propre et à s'élever vers quelque dépassement conduit par l'effort et par la réflexion. Vraiment, le confort, l'oubli, la grégarité et l'égoïsme des seuls plaisirs n'ont jamais tant signalé une période que celle où mes parents ont vécu : il est temps de leur rappeler la pierre noire de leur vacuité, de leur futilité, et globalement de leur invisibilité individuelle dans un cycle de civilisations où ils ne compteront pour rien, ou, au mieux, pour un vague repère d'immobilisme et de bétail humain.
Toutes leurs gesticulations n'auront consisté qu'en une illusion de volonté, et la façon dont cette période ne constitua qu'une feinte d'individus sera tout ce qu'on retiendra de cette génération veule. Ce sont des masses qu'une poignée a menées un peu au hasard et sans grande difficulté, détermination ni génie, et qui, dans leur faiblesse aisément entretenue, ont seulement cru décider quelques choses mais n'ont même pas eu l'avantage d'une pensée propre. Tout en elles a consisté en une déchéance de valeurs sans remise en cause spirituelle, en une rapide déconstruction de la notion de personnalité et d'élévation morale, en une inertie plutôt prévisible reposant sur des enchainements de conjonctures. Une piètre culture populaire, une soif de justification de tout plaisir, une vacance continue de la pensée appuyée seulement sur des pensées de religion même assez mal comprises ou pas élaborées, le tout infertile en art comme en philosophie et construit essentiellement sur des événements qui les ont incitées à une insouciance d'animaux et à une défiance extrême et auto-préservatrice à l'encontre de toute forme de discrimination. Certes, cette cohorte fut une immense honte, elle ne porta nulle grandeur et n'arriva jamais au bout d'aucun effort. Sa croissance ne fut qu'une pullulation lâche, et ses réussites ne sont dues qu'à des perfectionnements de routine.
Il n'y a pas d'homme de la seconde moitié du XXème siècle ; cette époque n'est pas parvenue à faire émerger un bel idéal d'individu exemplaire et multiplié. Ce fut le temps d'une permissivité instituée en principe et des colossales escroqueries d'art et d'esprit. Une décadence affreuse, la pire peut-être de toute notre histoire. Et, plus sale encore, une décadence fondée sur la spoliation des générations futures. Les historiens en parleront bientôt, des historiens de la morale. Pour l'heure, je suis précurseur en la matière. Les autres viendront après moi déclarer hautement, quand ils seront assez jeunes pour n'en plus faire partie, ce que mes parents ont valu dans leur société nécrosée du divertissement et de l'oubli.
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